HALLE : FESTIVAL HAENDEL weekend n°1 26-29.V.2023. Une splendeur !

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HAENDEL SERSE, Opéra de Halle, 27.V.2023 ★★★★☆

Opéra de Halle Vendredi, 26.05.2023 à 19h

Georg Friedrich HAENDEL : SERSE HWV 40 (nouvelle production) 

En ouverture officielle du Festival Haendel 2023. Organisé par la 'Bühnen Halle'.

Handel Festival Orchestra Halle

Directeur musical: Attilio Cremonesi 

Mise en scène : Louisa Proske 

Décors : Jon Bausor 

A l'issue de la première, Anna Bonitatibus a reçu le prix 2023 de la ville de Halle décerné par la Fondation de la Maison de Haendel. Ce prix d'honneur n'a pas de valeur financière. Le discours a été mené par le chef Attilio Cremonesi.

L'envol de Serse

          Homme d’affaires détestable et véreux, qui fait du commerce de pétrole et semble pratiquer le recel d’œuvres d’art. Voici comment est dépeint le personnage de SERSE dans cette nouvelle production de Louisa Proske. Tout se passe à l’intérieur et à l’extérieur d’un avion. Tyrannique, il décide pour un oui ou pour un non d’éliminer quiconque s’oppose à son pouvoir et à sa volonté. Il pense qu’il peut tout acheter, même Romilda, l’hôtesse de l’air éprise de son frère Arsamene. Tous les personnages sont à son service : Atalanta est elle aussi hôtesse de l’air, Amastre est à la fois technicien et pilote (comme le veut l'histoire, elle est déguisée en homme). Quant à Elviro, le steward, il vend divers alcools à bord (au lieu des traditionnelles fleurs). Toute cette joyeuse équipée nous embarque dans un voyage jonché de gags et autres situations loufoques, éminemment désopilantes. La transposition contemporaine fonctionne plutôt bien. On rit de bon cœur, c’est léger, c’est frais. Mais un poil trop lourdeau, diront certains.

Il se joue pourtant en parallèle, des événements plus sérieux. En effet, le spectacle met en exergue certaines revendications qui tendent à donner un peu de consistance à cette sympathique farce : 


          Étonnamment, le Serse d'Anna Bonitatibus fait bonne figure sur scène : physiquement crédible, voire irrésistible dans son costume de mafieux. Elle mène son monde à la baguette et avec un aplomb confondant. Tout comme son Ruggiero dans l’opéra Alcina récemment donné en tournée (voir notre compte-rendu), ses carences en terme de virilité vocale sont compensées par la finesse d’un chant qui cisèle les mots en leur conférant une forte théâtralité. Difficile de résister à ce grain de voix si séduisant et cet irrésistible vibrato qui vous procurent une émotion unique. Son italianita fait des ravages surtout dans les récitatifs. Ces derniers prennent toute leur importance et passionnent tout autant que les airs. Délicat et touchant ‘Ombra mai fu’, sensuel et lascif ‘Piu che penso’ et pour finir un ‘Crude furie’ explosif.

Quel chemin parcouru depuis que nous l’avions découverte ici même à Halle en 2001 dans l’opéra Tamerlano (rôle d’Irene). Un parcours admirable, fait de travail minutieux, de passion, de respect des compositeurs, du refus du star système. En cette première, elle repart récompensée par un prix spécial de la ville décerné juste après le rideau de fin. Un prix amplement mérité, qu’elle a souhaité honorer en entonnant le fameux Largo ‘Ombra mai fu’ accompagné du public. Un moment de grâce et de communion dont on se souviendra longtemps.            

          A ses côtés, la Romilda de Yewon Han qui chantait du fond de la fosse d'orchestre et qui remplaçait au pied levé la soprano Franziska Krötenheerdt, a su faire briller son personnage, même si l’on aurait aimé davantage de finesse. Nous l'avions tout récemment entendue dans ce même rôle à Winterthur (voir notre compte-rendu).          

          Dans le rôle d’Amastre, la mezzo Yulia Sokolik s’est véritablement distinguée en offrant une prestation passionnée du rôle. Elle a su incarner à la fois la force et la vulnérabilité de son personnage avec maestria. D’autant qu’un air inattendu lui a été octroyé : l’air pyrotechnique d’Imeneo ‘Sorge nell'alma mia' avec lequel elle a remporté un vif succès.            

          Leandro Marziotte, que l’on avait pu, jusqu’à présent, admirer uniquement dans des petits rôles (Acis and Galatea avec Leonardo Garcia Alarcon à Paris, L'Orfeo de Monteverdi à Nancy) n’a franchement pas démérité face à ses partenaires. Même si sa voix de contre-ténor mériterait de progresser encore, il a fait montre d’une belle présence scénique et a assuré sa partie vocale avec panache. Signalons que le rôle est avare de virtuosité (il aurait mérité un air similaire à celui attribué à Amastre) et qui plus est, sa partie a fait les frais de coupes injustes.   

          Bien que Vanessa Waldhart ait montré des faiblesses dans sa maîtrise du médium, elle a su tirer avantage de la partie haute de sa voix en offrant de l’éclat et de la brillance à son rôle d’intrigante.    

          Elviro, incarné par Andreas Beinhauer quant à lui, naviguait admirablement entre baryton et contre-ténor. Son jeu de scène en hôtesse de l’air était impayable.  

          Enfin l’Ariodate de Michael Zehe nous a particulièrement convaincu avec sa voix souple et bien timbrée dans son premier air. Le second était malheureusement moins audible, chanté du fond de l’avion.    

          Quel dommage que tant de coupures aient été à déplorer, alors que l’on se trouve au cœur même du plus grand festival consacré au Caro Sassone. Heureusement, le très enjoué Attilio Cremonesi à la tête de l'orchestre Handel du festival de Halle, a su porter avec enthousiasme un spectacle léger, et surtout plein d’humour qui fait du bien. 

Ruggero Meli




Serse : Anna Bonitatibus, mezzo-soprano © Anna Kolata
 © Anna Kolata
Arsamene: Leandro Marziotte, contre-ténor © Anna Kolata

HAENDEL ALESSANDRO SEVERO, 28.V.2023 ★★★★★

Samedi 27 mai 2023 à 14h30, Théâtre Goethe à Bad Lauchstädt. 

Alessandro Severo HWV A13  (Nouvelle production)   

Pasticcio de G. F. Haendel

Collegium Marianum (coproduction avec le Collegium Marianum) 

Direction musicale: Jana Semerádová 

Mise en scène: Monika Hliněnská 

Décors: Linda Holubová 

Lumières: Jan Komarek 




Alessandro : Raffaele Pe, countertenor © Thomas Ziegler

Pasticcio de toute beauté qui a consacré Raffaele Pe roi du baroque

          Spectacle éminemment baroque au sein du divin petit théâtre de Bad Lauchstädt, qui a conservé tout son charme. Situé à trente minutes d’autobus environ du centre de Halle, il accueille chaque année quelques productions scéniques. En ce jour de première, vendredi 27 mai 2023, le festival nous proposait une rareté absolue: le pastiche Alessandro Severo composé en 1738 (musique entièrement de Haendel, avec des airs tirés principalement de ses opéras Arminio, Giustino et Berenice) mis en scène par Monika Hlimenska. Tout ici, est une invitation à l’élégance et au charme des scènes du XVIIIem siècle : costumes (plumes comprises) et gestuelle baroques, sans oublier les fameux éléments de décors : les châssis alignés latéralement sur la scène, placés en perspective et dont les intervalles permettent les entrées et sorties des chanteurs. Ajouté à cela, un élément de décor intrigant : une porte ou un miroir magique. Il s'agit en fait d'un encadrement de porte ou de miroir illuminé par une série d'ampoules, qui semble avoir des fonctions magiques. En effet, il permet de faire disparaître des personnages dans une autre dimension, ou de connaître leur sentiment en parallèle de ce qui se passe sur scène, ou bien encore d’épier la scène au travers de ce miroir sans tain (fictif), etc… Un procédé simple mais ingénieux, entre rêve et réalité. A cela s'ajoute une ambiance bucolique délicieusement naïve, ingénue mais touchante. On se laisse alors porter par les péripéties de deux couples. L’intrigante Giulia, mère d’Alessandro, s’exhorte à l’éloigner de son amante Salustia tandis que Claudio et Albina jouent au chat et à la souris. C’est léger, c’est frais, c’est même un délice baroque.

          Dès les premières notes, nous sommes saisis par la beauté de la musique et du son de l’orchestre Collegium Marianum, finement dirigé par la cheffe Jana Seleradova. Une cheffe fascinante qui sait insuffler confiance et énergie aux membres de l'orchestre. On passerait volontiers son temps à l'observer tant l'élégance de sa direction s'apparente à de la danse baroque.

          Joli plateau vocal réuni pour l’occasion. A commencer par un Raffaele Pe triomphant, qui nous a fait un festival de virtuosité et de bravoure. Un véritable tour de force conclu en apothéose sur l’air d’Ariodante ‘Col l’ali di costanza’. Malgré certains sons désagréables, il réalise l’exploit de faire briller ses airs avec panache au point de remporter un triomphe mérité auprès d’un public déchaîné. Des applaudissements, après plusieurs de ses airs, que la cheffe a eu un mal fou à calmer.

          L’autre personnage fort et prégnant de cette production aura été la mère nomée Giulia, incarnée par l’extraordinaire et complètement méconnue Sylva Čmugrová (LA bonne surprise de cette production) dont la voix de mezzo-soprano flexible et percutante a marqué les esprits. Une voix qui culminait parfois vers des notes etonamment hautes de toute beauté lors de cadences. Et pour ne rien gâcher, sa forte présence scénique aura aussi marqué cette matinée. Quel talent !

          Un autre personnage fort sympathique et touchant nous a fait littéralement fondre : l’ingénu Claudio, interprété, avec une délicatesse et une sensibilité confondantes, par Helena Kalambová. Ce soprano léger, limpide et souple joue les amoureux timides à la perfection. Ce chant sobre, accompagné d'une pointe de fragilité nous a vraiment ému.

          Sa bien aimée, Albina, incarnée par Tereza Zimkova, que nous avions tout récemment vue dans l'opéra Serse à Winterthur, dans le rôle bas d’Amastre, tire mieux son épingle du jeu dans ce rôle de soprano. La voix est claire et souple et la chanteuse s’acquitte avec honneur de sa partie. Le couple qu'elle forme avec Claudio est irresistible et tellement touchant.

          Le baryton-basse Jaromir Nosek, qui incarnait le rôle de Marziano, n’a pas démérité face à ses acolytes et s’est acquitté, lui aussi, honorablement de ses deux airs.

          Reste le cas d’Anna Blazikova, à peine reconnaissable, tant la voix a baissé en qualité. Elle qui jouissait d’une belle carrière solo ces dernières années avec une voix intéressante et prometteuse, sa prestation s’est apparenté malheureusement à celle d’une amatrice. Cependant, sa voix fragile et incertaine s'est révélée en adéquation avec ce personnage de Seleuste innocente, fragile et victime de machinations et du rejet des autres.

          En bref, un spectacle naïf, frais et touchant, aux décors, costumes et gestuelle baroques très aboutis qui a consacré Raffaele Pe roi du baroque.

Ruggero Meli

HAENDEL IL MESSIA, 28.V.2023 ★★★★☆

Samedi, 27.V.2023, 19h Cathédrale de Halle 

Il Messia (version florentine de 1768, en italien). Oratorio de G. F. Haendel

Chœur Maghini 

Academia Montis Regalis 

Direction musicale: Alessandro de Marchi 

(coproduction avec le festival de musique ancienne d'Innsbruck) 

Surprenant Messie

        Œuvre monumentale devant l'éternité, le Messie de Georg Friedrich Haendel, n'a pas fini de livrer ses secrets. Voilà que le festival Haendel de Halle, en coopération avec le festival de musique ancienne d'Innsbruck,  nous a déniché une partition posthume (ca. 1768-1770) de l'oratorio avec la particularité d'être en langue italienne et d'avoir une durée réduite de moitié par rapport à la version "traditionnelle" ( 1h16 de musique environ). D'aucuns diront qu'il ne reste plus grand chose de l'oratorio de Haendel quand d'autres parleront d'une version plus concentrée, allant à l'essentiel. C'est finalement un peu des deux car l'œuvre semble plus équilibrée avec ses deux parties d'une durée équivalente (deux fois 38mn) et niché en son centre, le célèbre Alléluia qui culmine et clôt la première partie. Mais elle laisse aussi son lot de frustrations car nombre d'airs manquent à l'appel tel que le fameux 'Rejoice greatly'. Des frustrations d'autant plus grandes lorsque certains récitatifs restent bien esseulés, privés  de leurs airs, comme celui (accompagné) déclamé par Luigi De Donato 'Eccomi a decifrarvi alto mistero' (l'équivalent de 'Behold, I tell you a mistery') directement suivi du choeur final alors que l'on s'attendait au fameux air à la trompette 'The trumpet shall sound'.

         Les toutes premières notes de l’œuvre ont provoqué un certain étonnement voire une incrédulité palpable au sein du public. En effet, on ne reconnaît qu'à peine la partition de Haendel dans le premier mouvement de l'ouverture, qui laisse place à des variations déroutantes du premier violon. Le second mouvement va rassurer les plus sceptiques : la musique du Messie redevient reconnaissable. De plus, alors que l'on s'attendait à l'entrée en matière du ténor, c'est la soprano qui interprète 'Confortati o Sion...Ogni vale' ('Comfort ye...Ev'ry valley'). Elle raflera également le récitatif et arioso 'L'acerba tua censura...Deh dimmi' ('Behold and see') laissant le ténor totalement dépourvu de musique. Il ne chantera guère que dans l'irrésistible quatuor avec chœur 'For unto us a child is born' ('Ecco già nato un pargoletto'): une pièce à la joie communicative. Même si ce quatuor est une surprise, il ne constitue pas une nouveauté. En effet, il est possible de l'entendre dans la version Mozart du Messie (en allemand).

         Au delà de l'intérêt d'entendre une nouvelle version de cette pièce intemporelle, on pourra se demander ce qu'elle lui apporte: une certaine fraîcheur et légèreté et peut être une plus grande théâtralité par le biais de la langue italienne comme l'air 'He was despised' qui est traduit par 'Tormento atroce, disprezzo e croce dovra soffrir' avec des mots encore plus incisifs. Une version qui tend davantage vers le profane que le sacré.

         Les solistes réunis pour l'occasion frisaient tout bonnement la perfection même avec des interventions limitées. A commencer par l'hyper talentueux Luigi De Donato : une voix de basse miraculeuse, solide et noire comme le jais. Il surprend par le délié et la flexibilité de ses vocalises, la clarté du texte en prime ! Son interprétation possède ce quelque chose de passionant qui fait que l'on se délecte de suivre ses variations de couleurs et les atmosphères qu'il dépeint lorsqu'il raconte notamment avec intensité que la terre se recouvrira d'un voile ténébreux 'Coprira il mondo un tenebroso velo'. On retiendra également son aplomb dans l'air virtuose 'Perche con fremito' ('Why do the nations') accompagné d'un audacieux da capo ainsi que d'une vertigineuse cadence (un air habituellement court, prolongé par une intervention chorale).

         Margherita Maria Sala (gagnante du concours Cesti 2020) aux interventions limitées, a pu tout de même se distinguer grâce à un seul air mais un air immense 'Tormento atroce' ('He was despised') que sa voix chaude et pénétrante de véritable contralto a magnifié (avec une partie centrale éminemment théâtrale).

         Eleonora Bellocci, certes brillante et percutante mais parfois trop piquante, n'a pas totalement convaincu, notamment dans son entrée en matière qui aurait certainement gagné en émotion avec davantage d'épanchement et de réconfort.

         Toujours est-il que l'intérêt majeur de cette distribution résidait dans le choix de quatre voix extrêmement distinctes et fortement contrastées.

         La réussite de ce Messie n'aurait pas été possible sans les interventions remarquées du choeur Maghini, somptueux d'uniformité, de souplesse et de générosité sonore ainsi que de l'orchestre et de son chef Alessandro De Marchi, dynamiques et percutants. Ensemble, ils ont su sublimer le chef-d'œuvre de Haendel avec notamment les deux grands chœurs, l'Alleluia et le final 'Degna e la vittima' absolument éclatants.

         Signalons que les amateurs pourront retrouver cette version en cd puisque le concert, donné il y a un an environ à Innsbruck, a été capté live. Et pour ceux qui voudraient explorer les nombreuses versions alternatives du Messie, l'enregistrement de Nicholas McGegan est une mine d'information et offre de nombreux appendices.

                                                                                                                                 Ruggero Meli





Choeur Maghini
Maria Margherita Sala, contralto
Luigi De Donato, basse

'Cieco amor', Sergio Foresti, 28.V.2023 ★★★★☆

Dimanche 28.V.2023 à 11h, Halle, Aula der Martin-Luther-Universität  

Les airs de Giuseppe Maria Boschi 

Airs de G. F. Haendel et de G. Bononcini 

Abchordis Ensemble

Direction musicale: Andrea Buccarella (clavecin)

PROGRAMME

Georg Friedrich Händel (1685-1759) 

Ouverture (Alessandro HWV 21) : Ouverture - Allegro - Lentement 

Giovanni Bononcini (1670-1747) 

Ouverture (Muzio Scevola)

*** PAUSE *** 

Giovanni Bononcini (1670-1747) 

Georg Friedrich Händel (1685-1759) 




Sergio Foresti, baryton-basse
Ensemble Abchordis

Le redoutable programme de Giuseppe Maria BOSCHI

          Quelle savoureuse idée que de proposer un récital avec un baryton-basse en vedette. Une configuration suffisamment rare pour s’en réjouir. Et pour ne rien gâcher, le programme proposé fait tout bonnement rêver : un réctal qui reprend les plus grands airs de la plus célèbre des basses du début du XVIIIem siècle, le fameux Giuseppi Maria Broschi. Les plus beaux airs de Georg Friedrich Haendel sont mis en miroir avec ceux de Giovanni Bononcini. Ce dernier s’est fait engager à Londres par le comte de Burlington, chez qui Haendel avait habité en 1713, afin qu’il rehausse le lustre de la Royal Academy et y instaure une saine émulation. Bononcini n’a alors, qu’un objectif : conquérir les salons de l’aristocratie et évincer Haendel. Et il y parviendra presque, grâce notamment à son opéra Astarto, qui supplantera (grâce à sa distribution prestigieuse) l’opéra Radamisto de Haendel. Mais ce dernier saura se ressaisir en composant un magistral Ottone et en y engageant la fameuse Francesca Cuzzoni. Aujourd'hui, avec le recul, et après maintes écoutes des œuvres de Bononcini, sa musique aussi intéressante soit-elle, n’a jamais suscité d’émoi particulier, et nous semble d’une qualité moindre. D’ailleurs, ce récital va de nouveau nous le confirmer en partie. Est-ce parce que nous sommes tellement familiers à l’écriture du Caro Sassone et que celle de Bononcini nous reste encore étrangère ?      

          Sergio Foresti est plutôt rare à la scène. On le connaît plutôt par le biais de quelques enregistrements de Vivaldi notamment. Mais il est venu, en compagnie de l’ensemble Abchordis dirigé par l’excellent Andrea Buccarella, présenter le programme de leur nouveau cd : ‘Cieco amor’.  La voix du baryton-basse, souple et bien timbrée a su rendre justice, avec un certain panache, à des pages tirées des opéras Agrippina, Giulio Cesare, Radamisto de Haendel. Côté Bononcini, on aura apprécié tout de même, les menaces de l’air ‘Gran nume’ où les sauts d’octaves du redoutable ‘Cieco amor’.  Il ne manquait qu’à cet interprète quelques notes graves supplémentaires et un timbre plus sombre encore. Quelques raucités à déplorer. La particularité de cette voix réside dans le fait que ses entrées en matière quelque peu légères et en manque de consistance se chargent très vite d’une épaisseur intéressante et très appréciable au point de s’imposer avec prestance. L’ensemble Abchordis, impressionnant de justesse, de tonicité et de beau son nous a comblé. Ainsi, l’interprète de la matinée, disposait d’un écrin absolument comfortable. Difficile de comprendre alors pourquoi il semblait si inconfortable. Son stress était palpable et le chanteur ne parvenait pas à établir une véritable connexion avec le public. Son regard se portait au sol ou loin dans les airs. Le lâcher prise n’est pas une chose simple, nous qui sommes tant habitués à voir des artistes totalement libérés et plein d’aisance.  Il aura fallu attendre l’avant-dernier air pour enfin assister à la libération de l’interprète qui nous a offert un ‘Nel mondo e nell’abisso’ tiré de l’opéra Tamerlano de Haendel, explosif et jubilatoire. Avec un Da capo ambitieux et virtuose. Alleluia !
                                                                                                                              Ruggero Meli

Anna Prohaska & Bejun Mehta, 28.V.2023 ★★★☆☆

Dimanche 28.V.2023 à 19h30, Konzerthalle Ulrichskirche 

Duos de G. F. Haendel et musiques de Haendel, Rebel et Rameau 

Lautten Compagney Berlin   

Direction musicale : Wolfgang Katschner

PROGRAMME

Georg Friedrich Haendel (1685-1759) 

Suite Nr. 1 de la Water Music HWV 348 : Ouverture 

duo Nitocris & Cyrus „Great Victor" (Belshazzar HWV 61)

duo Alexander & Cleopatra „Hail wedded love" (Alexander Balus HWV 65)

duo Theodora & Didymus „To thee, thou glorious son of worth" (Theodora HWV 68)

duo David & Michal „At Persecution I can laugh" (Saul HWV 53) 

Suite Nr. 1 de la Water Music HWV 348 : Andante - Allegro - Air - Presto - Bourrée - Hornpipe - Minuet 

duo Cleofide & Poro „Caro / Dolce amico amplesso" (Poro, re dell'Indie HM 28) 

duo Serse & Amastre „Gran pena è gelosia" (Serse HWV 40) 

duo Armida & Rinaldo "Fermati! No, crude!." (Rinaldo HWV 7a/b)

- PAUSE -

Jean-Féry Rebel (1666-1747)

Les Éléments Chaos : Chaconne - Sicillienne - Tambourin 

Georg Friedrich Haendel (1685-1759) 

duo Almirena & Rinaldo „Scherzano sul tuo volto" (Rinaldo HWV 7a/b)

duo Ottone & Poppea „No, no, ch'io non apprezzo" (Agrippina HWV 6)

Jean-Philippe Rameau (1683-1764) 

Chaconne aus: Hippolyte et Aricie (Paris 1733) 

Georg Friedrich Haendel (1685-1759) 

duo Rodelinda & Bertarido „lo t'abbraccio" (Rodelinda HW 19)

duo Angelica & Orlando „Finché prendi ancora" (Orlando HW 31)

Antonio Vivaldi (1678-1741) 

Sinfonia (Bajazet RV 703) : Allegro - Andante molto 

Georg Friedrich Haendel (1685-1759) 

duo Didymus & Theodora „Streams of Pleasure" (Theodora HWV 68)

duo Esther & Ahasverus „Who calls my parting soul" (Esther HWV 50b)

duo Iphis & Hamor„These labours past" (Jephtha HWV 70)

Un récital entièrement constitué de duos 

          Le festival Haendel de Halle nous proposait un récital de duos fort intéressant du point de vue du programme. En effet, les duos choisis mettaient en exergue des musiques de Haendel plutôt méconnues. Au lieu des traditionnels ‘Cara, bella’ de Giulio Cesare ou autres tubes, le programme proposait des petits bijoux de duos tel que celui d’Alexander Balus, ou d’Esther, etc… Pour faire briller ces pages, le festival a fait appel à deux vedettes du baroque, prisées du public : la soprano Anna Prohaska et le contre-ténor Bejun Mehta.   

Ce dernier, en grande forme, nous a régalé de son timbre chaud et consistant, de sa voix souple, facile, et virtuose mais aussi de sa forte personnalité vocale. Il semble toutefois vouloir constamment contrôler un vibrato que l’on sent prêt à l’envahir.  Très concentré et très professionnel, peut-être un peu trop d’ailleurs, il aura pu paraître un peu trop froid aux yeux de certains spectateurs. Ces derniers auraient certainement souhaité une forme de lâcher-prise et une interaction plus prégnante avec la salle. Sa partenaire, Anna Prohaska, semblait manquer de projection de l’endroit où nous étions placés, ce qui a eu pour effet un déséquilibre patent malheureusement. Même si la soprano a fait de son mieux pour rendre ce concert plaisant et donner le change à son partenaire, on déplore des attaques pas toujours impeccables et surtout une voix un peu trop rêche à notre goût. Ce n’est pas la première fois que nous entendons cette voix en live (Saul à Vienne, récital à la philharmonie de Luxembourg, etc…) et franchement nous restons perplexes quant à sa notoriété.  

          Bref, un récital fort intéressant mais pas très passionnant malheureusement. Finalement, l'intérêt s'est davantage porté sur les pièces orchestrales, dont le chef Wolfgang Katschner a émaillé son programme : une Water music absolument grandiose, le très déconcertant mais fascinant chaos de Rebel qui vous fait grincer des dents, l’élégante et foisonnante chaconne de Rameau (Hippolyte et Aricie) ou bien la brillante sinfonia de Bajazet de Vivaldi (certainement la plus belle des ouvertures que Vivaldi ait composé). Des pages, qui au delà de leur caractère esthétique d’exception, agissaient en miroir de ce qui se faisait en Europe au même moment que les compositions haendéliennes.
                                                                                                                                    Ruggero Meli

Anna Prohaska, soprano © Harald Hoffmann
Bejun Mehta © Marco Borggreve

Meili Li, contre-ténor, 29.V.2023 ★★★★☆ 

Lundi 29.V.2023 à 12h Maison de Haendel 

Lunchtime Concert II 

Asako Ogawa, clavecin 

airs de G. F. Haendel

En collaboration avec le Festival Haendel de Londres

Meili Li, contre-ténor 
Asako Ogawa, clavecin  © Eric Richmond

Un contre-ténor à connaître

          Le festival de Halle proposait, tout au long de ses trois semaines, une série de concerts gratuits. Que l’on ne s’y trompe pas : ‘gratuit’ ne signifie pas que les concerts seront de moindre qualité. Il s’agit d’artistes moins connus ou en devenir mais très talentueux. D’ailleurs le public, très connaisseur, est venu nombreux à ces rendez-vous au point d’être partiellement refoulé parfois !  C’était le cas avec le récital du contre-ténor Meili Li, qui proposait en l’espace d’une heure un programme extrêmement ambitieux et varié de tubes de Georg Friedrich Haendel. Et rien ne résiste à Meili Li qui vocalise comme un diable et fait montre d’un bel héroïsme dans des airs virtuoses tels que ‘Venti turbini’ (Rinaldo) ou ‘Furibondo’ (Partenope) ou ‘A dispetto’ (Tamerlano) ou encore 'Al lampo dell’armi’ (Giulio Cesare). Un dernier air qui fait valoir son souffle infini. Doté d’un beau timbre de contralto et d’une voix ronde et solide, cet interprète sait également rendre justice avec sensibilité et émotion à des pages élégiaques telles que ‘Cara sposa’ (Rinaldo), ‘Verdi prati’ (Alcina) ou ‘Pena tiranna’ (Amadigi).

Sa prestation n'aurait pu être aussi brillante sans le soutien encourageant de la claveciniste Asako Ogawa au tempérament bien trempé.
          Ce n’est pas la première fois que nous avons l’occasion d’apprécier le talent de ce chanteur. En effet, nous l’avions vu précédemment notamment dans l’opéra Tolomeo de Haendel dans lequel il chantait le second rôle de Alessandro à Karlsruhe (lire notre compte rendu), puis le rôle titre de ce même opéra sur la scène du théâtre de Lübeck. C'est certainement la raison pour laquelle il s'est particulièrement distingué dans le fameux air de Tolomeo ‘Inumano fratello…Stille amare’.           

          En cadeau, ils nous ont offert le petit joyau d’air qu’est ‘Sweet rose and lily’ de l’oratorio Theodora, dont les paroles ‘A smile be my reward’ semblaient nous être adressées : ‘qu’un sourire soit ma récompense’. Ovation d’un public conquis.            

          Bref, un contre-ténor peut-être pas tout à fait au niveau des plus grands de ce monde mais qui en prend le chemin. A suivre donc.

                                                                                                                                        Ruggero Meli

Aci, Galatea e Polifemo, 29.V.2023 ★★★★★

Lundi, 29.V.2023, 16h, Aula der Martin-Luther-Universität 

Aci, Galatea e Polifemo HWV 72. Serenata a tre de G. F. Haendel  

Modo Antiquo  

Direction musicale: Federico Maria Sardelli

Un Polifemo d'anthologie : la prodigieuse performance de Luigi De Donato

          Aci Galatea e Polifemo est un concentré d'opéra qui s’écoute comme on lit un livre passionnant dont on ne peut plus se défaire. C’est d’autant plus vrai lorsque l’on tient trois solistes d’exception comme ceux réunis pour ce concert unique, organisé par le festival Haendel de Halle. Ajouté à cela, un chef et son orchestre des plus brillants : Federico Maria Sardelli à la tête de son Modo Antiquo. Disons le d’emblée, le public se souviendra longtemps de cette performance qui aura été certainement le highlight absolu de ces trois semaines de festival. Une réussite qui relève surtout du choix pertinent d’une distribution très typée et contrastée. 

          Le candide Aci est incarné par la voix fragile, fraîche et innocente de Federico Fiorio. Son contre-ténor, délicat mais extrêmement souple, virtuose et au souffle infini nous a touché en plein cœur. Avec en point culminant son déchirant ‘Verso gia l'alma', qui aura fait verser plus d’une larme dans la salle. Ce rôle aigu d’Aci est traditionnellement chanté par une soprano alors que le personnage est un homme. Cette fois, grâce à cette distribution, aucune ambiguïté possible pour le public.           

          La contralto Maria Marguerite Sala, toute d’amour et de détermination, manie admirablement l'art de faire varier sa voix et ses couleurs. Elle passe aisément du contralto au soprano, pour donner force ou fragilité à son personnage. Vibrante d’émotion, sa Galatea est absolument criante de vérité et d’humanité.           

          Enfin, c’est la basse Luigi De Donato qui incarnait le rôle inhumain du monstrueux cyclope Polifemo. Son implication met le texte au premier plan et son impact est saisissant. Tout devient vivant et tellement crédible dans le gosier de ce chanteur d’exception. L’étendue de sa voix couvre l’impossible tessiture du redoutable ’Fra l’ombre e gli orrori’, dont les redoutables  sauts d’octave nous ont littéralement bluffés. Les récitatifs, font frémir, et prennent une dimension telle, qu’ils ont tendance à gommer la structure récitatifs / airs pour ne devenir qu’une passionnante suite musicale logique. Cette basse d'exception, frappe fort dès son entrée avec un fracassant ‘Sibilar l'angui d'Aletto' qui révèle la brillance et la virtuosité d’une voix qui semble ne pas avoir de limites. Bref, chacune de ses interventions vous marque au fer rouge tant l’interprétation est poussée à l’extrême et criante de réalisme.  

          Une version d’Aci, Galatea e Polifemo exceptionnelle donc, interprétée. par une équipe entièrement italienne qui fera date dans la mémoire du public qui aura eu la chance d’assister à ce concert.
                                                                                                                                  Ruggero Meli

Luigi De Donato © Javier del Real
Federico Fiorio, contre-ténor