Haendel ALCINA, Nantes 25.X.2022

HAENDEL ALCINA, opéra en trois actes sur un livret anonyme adapté du livret de l'opéra L'Isola d'Alcina composé par Riccardo Broschi, d'après le texte de l'Orlando Furioso de Ludovico Ariosto. Première représentation en avril 1735 au Covent Garden de Londres. 

Opéra en version de concert donné à Nantes, à la Cité des Congrès, le mardi 25 octobre 2022 20h (durée : 2h50 entracte compris)

Coréalisation : Angers Nantes Opéra, La Cité des Congrès de Nantes, et dans le cadre du festival Baroque en Scène

Alcina : Karina Gauvin, soprano 

Morgana : Elsa Benoit, soprano 

Ruggiero : Maite Beaumont, mezzo-soprano 

Bradamante : Teresa Iervolino, mezzo-soprano 

Oronte : Nick Pritchard, ténor 

Melisso : John Chest, basse 

Les Talens Lyriques

Direction musicale : Christophe Rousset 

A Nantes, la magie d'Alcina a opéré !

          Hasard du calendrier, la veille de cette version de concert de l’opéra Alcina de Haendel, BAROQUENEWS assistait à une autre Alcina à Florence, en version scénique avec notamment Cecilia Bartoli. Difficile alors de ne pas procéder à une petite comparaison. Et disons-le d’emblée, les deux versions diamétralement opposées, se sont révélées excellentes, chacune à sa manière. Alors qu’il y a quelques années Christophe Rousset était considéré comme précurseur d’un mouvement baroque novateur, avec un sens de la direction moderne, tonique et rafraîchissant, voilà que sa lecture paraît aujourd'hui, comparativement à celle de Gianluca  Capuano et ses Musiciens du Prince-Monaco, un brin trop sage, ou en tous cas plus orthodoxe. En effet, la nouvelle génération va très loin dans l’interprétation en réorchestrant notamment certaines parties de la partition et / ou en détournant le sens de certains airs ou certains passages, en modifiant subitement le tempo d'un air… Nous apprécions cette hardiesse et cette manière de redécouvrir ces œuvres baroques que l’on pensait connaître par cœur, mais cela ne signifie pas pour autant que nous n’apprécions pas les autres types d’interprétations, en l’occurrence celle de Christophe Rousset : tantôt incisive, tonique, tantôt touchante voire déchirante. 

          Alcina est à n´en pas douter l'œuvre que le chef français aura le plus dirigé dans sa carrière. On ne compte plus les fois où il a interprété l’œuvre et BAROQUENEWS en a d´ailleurs vu un certain nombre (7 en tout à partir de 2003. Karina Gauvin était déjà présente) : 

          Citons dans l'ordre : ALCINA - MORGANA - RUGGIERO - BRADAMANTE - ORONTE - MELISSO - OBERTO

          En effet, Karina Gauvin n´en finit plus de chanter ce rôle qui lui sied si bien (très récemment sur scène à Versailles et à Caen sous la direction de Vaclav Luks, voir nos comptes-rendus : Versailles et Caen). Comme Cecilia Bartoli, la soprano canadienne possède une voix centrale riche qui lui permet d’investir pleinement la tessiture du rôle mais, à contrario, elle ne possède pas les suraigus que certains pourraient attendre dans les cadences et autres fioritures. La force de la soprano canadienne réside essentiellement dans l’intensité qu’elle apporte à chaque note, une intensité chargée d’une tension dramatique et émotionnelle dévastatrice. On écoute alors à genoux son 'Ah mio cor' qui vous anéanti littéralement. Rien que pour ces 10mn de musique, ce concert aura valu la peine d'être vécu. On apprécie aussi le côté rageur voire cruel et vindicatif de son interprétation de l'air "Ma quando tornerai" (au tempo un peu lent) tout comme de l'air "Ombre pallide" chanté comme si sa vie en dépendait. Toutefois, quelques fébrilités ont été perçues face aux redoutables vocalises de l'air 'Ombre pallide', des vocalises allégées pour tenter de leur donner davantage de fluidité. Il n'empêche que le texte est déclamé avec un mordant qui n'a pas son pareil et les consonnes claquent ! Rarement on aura entendu le surprenant récitatif accompagné 'Ah Ruggiero' aussi théâtralisé

          Face à cette prestation de chair et de sang, ses partenaires n'ont pas démérité à l'image d'une Maite Beaumont très impliquée qui sait donner à son Ruggiero une infinie tendresse 'Mi lusingha' mais aussi véhémence martiale quand nécessaire 'Sta nell'Ircana' avec cette voix d'un clair-obscur fascinant. Mais ce qui fait surtout la particularité de cette chanteuse espagnole et qui donne de la crédibilité à son personnage c'est surtout cet incomparable panache, cette impétuosité et cette superbe vocale qui fait de Ruggiero un personnage racé. 

          La surprise est venue de la soprano Elsa Benoît qui remplaçait au pied levé Rachel Redmond souffrante dans le rôle de la soeur d'Alcina : Morgana. Elle avait déjà chanté le rôle à la scène en alternance avec Sabine Devieilhe l'an dernier à Garnier (voir notre compte-rendu). Quel bonheur de la retrouver, après sa toute récente et marquante prestation du rôle de Semele à Lille (voir notre compte-rendu). Sa Morgana est un véritable rayon de soleil. Le fruité, la brillance et la virtuosité de sa voix font des étincelles notamment dans l'air 'Tornami a vagheggiar'. On en ressort des étoiles plein les yeux.

          Et que dire de ce Bradamante de luxe offert par la mezzo-soprano Teresa Iervolino au timbre si sombre et tellement prégnant. Sa virtuosité échevelée et son souffle impressionnent dans les airs 'E gelosia' et 'Vorrei vendicarmi'. Deux airs redoutables dont elle ne fait qu'une bouchée. Cette grande dame du chant rossinien nous fait un véritable cadeau en chantant ce répertoire et l'on se prend à rêver de l'entendre dans des rôles davantage à sa mesure tel que Rinaldo, Giulio Cesare, Ruggiero (Alcina), Ariodante ou tout autre rôle des grands castrats. Une voix que Christophe Rousset semble particulièrement apprécier puisqu´on a eu l'occasion de les entendre dans les oeuvres de Tamerlano et Giulio Cesare à Ambronay et récemment dans le Stabat Mater de Pergolèse avec la soprano Marie Lys au festival d'Heidelberg. 

          Le ténor Nick Pritchard ne cesse de monter en notoriété. Après l'avoir découvert avec bonheur il y a quelques années à Londres dans la version anglaise de l'oratorio The Triumph of Time & Truth de Haendel, puis dans un Messie à Sarrebruck et enfin dans Alcina sur scène à Leeds l'an dernier (voir notre compte-rendu), il reprend le rôle d'Oronte qui lui va si bien : à la fois distingué avec cette British touch mais d'une émouvante simplicité dans son air du troisième acte 'Un momento di contento' et dans lequel il pardonne l'infidélité de sa Morgana. 

          Enfin, signalons l'autre surprise de cette distribution : l'excellent John Chest dans le petit rôle de Melisso. Avec son seul air (un air pourtant pas vraiment des plus brillants) 'Pensa a chi geme', il parvient à s'imposer avec un engagement dramatique d'une rare intensité. Son timbre si envoutant parvient à ouvrir les yeux de Ruggiero, jusque-là aveuglé par l'enchantement d'Alcina. Récemment BAROQUENEWS a pu l'admirer dans le rôle de Figaro dans l'opéra de Mozart Le Nozze di Figaro au Grand Théâtre de Luxembourg et précédemment dans l'Orlando de Haendel à Essen. Notons qu'il a enregistré une superbe version de la cantate Apollo e Dafne de Haendel en compagnie de la fulgurante soprano Kathryn Lewek.    

          Avec une distribution qui frise la perfection, Christophe Rousset et ses Talens Lyriques offrent au public nantais peut-être leur meilleure version d'Alcina et ouvrent avec éclat, par la même occasion, le très intéressant et fort prometteur festival Baroque en Scène qui donne la furieuse envie d'habiter Nantes et sa région.  

          A noter que le rôle d'Oberto (le petit garçon à la recherche de son papa) a été tronqué dans cette version ainsi que quelques airs (notamment celui de Morgana au deuxième acte 'Ama, sospira') et quelques da capo, (notamment celui du dernier air d'Alcina 'Mi restano le lagrime' ou bien le trio 'Non e amor, ne gelosia'). 

Si l'on veut retrouver Karina Gauvin dans Alcina, il existe deux intégrales: l'une propose le rôle de Morgana, l'autre le rôle d'Alcina (sans compter quelques extraits phonographiques que l'on peut retrouver dans ses récitals).