Handel ALCINA, Versailles 13.III.2022

HANDEL ALCINA 

Dramma per musica en trois actes sur un livret anonyme d’après Alcina delusa da Ruggiero d’Antonio Marchi inspiré d'Orlando furioso de Ludovico Ariosto et créé à Londres en 1735

Château de Versailles, Théâtre Royal, dimanche 13.III.2022 15h


Karina Gauvin Alcina 

Mirella Hagen Morgana 

Kangmin Justin Kim Ruggiero 

Václava Krejčí Housková (Monika Jägerová le 11) Bradamante 

Krystian Adam Oronte 

Andrea Široká Oberto 

Tomáš Král Melisso

Ladislav Mikeš Le Magicien

Danseurs


Collegium 1704 

Collegium Vocale 1704

Václav Luks Direction 

Jiří Heřman Mise en scène

Dragan Stojčevski Décors

Alexandra Grusková Costumes

Daniel Tesař Lumières

Jan Kodet Chorégraphie

Patricie Částková Assistante mise en scène

Kateřina Nováčková Assistante chorégraphie

Crédit photo © Marek Olbrzymek

          Amazing staging in Versailles of the opera Alcina by Handel this month, under the vivid baton of Vaclav Luks. This could have been fully successful if the cast had not been so unbalanced. 

          Somptueux spectacle à l’opéra Royal de Versailles de l’opéra Alcina de Haendel ce dimanche 13 mars 2022 en matinée. Décors et costumes grandioses au service d’une mise en scène divertissante et hautement théâtrale. Une maison "hantée" ou magique trône sur une île face à l’océan. La luminosité tamisée d’un bleu nuit est annonciatrice d'une tempête. Une atmosphère partagée entre réalisme et conte de fée ou monde fantasmagorique. Pendant l'ouverture le spectateur entrevoit par l'une des fenêtres de la bâtisse Alcina entrain de se quereller avec son amant qu’elle transformera aussitôt en bête sauvage, tandis que le bateau de Ruggiero vient s’échouer sur l’île. Il sera le nouvel amant d’Alcina, qui dans cette production est secondée par un nain maléfique qui semble tout orchestrer à sa demande.

           Les décors offrent un écrin de luxe aux personnages: des jardins et des colonnes aux perspectives baroques vertigineuses ou bien encore des éléments naturels impressionnants tels que le désert, l’océan, ou d’immenses feuilles de bananier.

          Les miroirs, nombreux, décuplent la taille des espaces qui semblent varier à l'infini, laissant parfois entrevoir de grandes vitrines d’animaux : la collection d’Alcina. Les nombreuses portes donnent l'impression d'un dédale sans fin et permettent aux personnages de disparaître et réapparaître en un clin d’œil. Mention spéciale pour la porte en trompe l’œil au bout de la perspective des colonnes. On se croirait à Versailles !

          Enfin, une autre thématique baroque importante vient ponctuer le spectacle : celle aquatique avec la présence notamment d'un énorme coquillage ornant le côté gauche de la scène, mais surtout la coquille St Jacques qui fait office de trône à Alcina et qui recèle en son cœur une perle baroque précieuse d'où semblent provenir tous ses pouvoirs magiques. Elle sera brisée à la fin de l'opéra. L’embarcation de Ruggiero, la mer en arrière plan, etc.

          De plus, le spectacle est agrémenté d'élégants ballets (d'animaux ou d'hommes ailés) et de chorégraphies soignées et divertissantes (l’une d'elles met même le personnage d'Alcina à contribution avec grâce).

          Notons quelques touches d’humour, peu nombreuses, juste ce qu’il faut, tout à fait les bienvenues : le pingouin tombé en syncope et ranimé par le nain qui lui pratique le bouche à bouche, Oronte qui pêche un poisson plein d’épines pour l'offrir à sa belle, ou bien qui se met à nu pour que Morgana puisse admirer ses muscles. Cette dernière se rira de lui après avoir jeté un coup d'œil à l’intérieur de son caleçon. La présence et la performance incroyablement crédible d'une autruche avec des jambes et un  bras (en guise de cou) interminables : absolument bluffant.


         Côté distribution, l'Alcina de Karina Gauvin, désormais coutumière du rôle, possède une classe et un mordant peu communs. De plus sa voix charnue ajoutée à un timbre de miel dans un medium extrêmement sollicité par la partition est un ravissement pour l'auditeur. Une interprétation humaine, sensible, à fleur de peau. La prière de "Mi restano le lagrime", la blessure de "Ah mio cor" ou le désespoir de l'air "Ombre pallide" émeuvent profondément. Soulignons la grande clarté du texte et le mordant des consonnes.

Reste que les cadences et autres fioritures dans les da capo manquent de notes aiguës et empêchent la soprano de véritablement briller parfois, limitée par un ambitus central. On aurait aussi apprécié un brin de volume supplémentaire.

Récemment Jeanine De Bique donnait une dimension plus forte encore au personnage d'Alcina à l'opéra Garnier, voir notre compte-rendu.

          Si l'on recherche une interprétation pyrotechnique et un festival de notes suraiguës, il faudra passer son chemin, car la Morgana de Mirella Hagen offre bien d'autres qualités: une voix toute de délicatesse et de charme servie par un timbre fruité et rond ainsi que des trilles à se damner. Une véritable bénédiction pour l'écoute. Nous avions déjà pu l'apprécier dans ce même rôle sur la scène viennoise en septembre 2018.

          Le ténor Krystian Adam  dans le rôle d'Oronte provoque souvent les rires: un amant éconduit qui tente maladroitement de reconquérir sa belle. Cela n'empêche pas le chanteur d'affirmer sa forte personnalité.

          Václava Krejčí Housková dans le rôle de Bradamante affiche une voix (trop) claire et des vocalises murmurées. Sa performance vocale paraît incertaine. L'interprète choisit la facilité dans les da capo et l'orchestre est contraint de jouer en sourdine pour ne pas couvrir la voix dans "Vorrei vendicarmi" notamment.

          Andrea Široká et Tomáš Král, respectivement Oberto et Melisso, se montrent bien efficaces et plutôt convaincants sans toutefois enthousiasmer.

          Reste le cas du contre-ténor Kangmin Justin Kim en Ruggiero (que l'on avait déjà pu entendre dans ce même rôle à l'opéra de Nancy, voir notre compte-rendu). La voix détimbre parfois et laisse paraître des sons pointus voire acides, un bas medium plus intéressant mais in fine une voix qui manque d'homogénéité comme si le rôle était chanté par deux voix distinctes. Certains éclats de voix très féminins frisent la Tragic Queen ce qui a tendance à le décrédibiliser. Pourtant il parvient à nous toucher notamment dans l'air "Mi lusingha". Signalons également sa belle maîtrise du soufflet qui fait grand effet et ses valeureuses cadences. Le public l'a ovationné.

          Musicalement, le chef Vaclav Luks, ajoute des effets appréciables à la partition : des tambourins, des tambours ou des clochettes afin d'intensifier les effets magiques, solennels ou festifs de la mise en scène. Le ballet de l'Acte II se retrouve en début de spectacle pour accompagner la tempête qui fera s'échouer l'embarcation de Ruggiero. Ce dernier jouit d'ailleurs d'un air inattendu et plein de panache "Bramo di trionfar".

          Signalons que ce spectacle a déjà tourné en Tchéquie, avant trois représentations à Versailles et sera repris très bientôt à l’opéra de Caen avec un changement de distribution: Ray Chenez dans le rôle de Ruggiero.