Handel ALCINA, Caen 06.V.2022

HANDEL ALCINA

Dramma per musica en trois actes sur un livret anonyme d’après Alcina delusa da Ruggiero d’Antonio Marchi inspiré d'Orlando furioso de Ludovico Ariosto et créé à Londres en 1735

Théâtre de Caen, vendredi 06.V.2022 20h


Karina Gauvin Alcina

Mirella Hagen Morgana

Ray Chenez Ruggiero

Václava Krejčí Housková Bradamante

Krystian Adam Oronte

Andrea Široká Oberto

Tomáš Král Melisso

Sdenek Backo Le Magicien

Danseurs


Collegium 1704

Collegium Vocale 1704

Václav Luks Direction

Jiří Heřman Mise en scène

Dragan Stojčevski Décors

Alexandra Grusková Costumes

Daniel Tesař Lumières

Jan Kodet Chorégraphie

Patricie Částková Assistante mise en scène

Kateřina Nováčková Assistante chorégraphie

Crédit photo © Marek Olbrzymek

         Amazing staging in Versailles of the opera Alcina by Handel this month, under the vivid baton of Vaclav Luks along with a cast close to perfection. 

          Somptueux spectacle au théâtre de Caen en cette longue et passionnante soirée du vendredi 6 juin 2023 qui mettait en scène une Alcina de Haendel d´une richesse infinie. Décors et costumes grandioses au service d’une mise en scène divertissante et hautement théâtrale. Une maison "hantée" ou "magique" trône sur une île face à l’océan. L'atmosphère tamisée d’un bleu nuit est annonciatrice d'une tempête. Une atmosphère partagée entre réalisme et conte de fée ou monde fantasmagorique. Pendant l'ouverture le spectateur entrevoit par l'une des fenêtres de la bâtisse Alcina entrain de se quereller avec son amant qu’elle transformera aussitôt en bête sauvage, tandis que le bateau de Ruggiero vient s’échouer sur l’île. Il sera le nouvel amant d’Alcina, qui dans cette production est secondée par un nain "maléfique" qui semble tout orchestrer à sa demande.

           Les décors offrent un écrin de luxe aux personnages: des jardins et des colonnes aux perspectives baroques vertigineuses ou bien encore des éléments naturels impressionnants tels que le désert, l’océan, ou d’immenses feuilles de bananier. Cette profusion de décors et de mouvements ne fait que souligner plus cruelement encore la solitude et la détresse d´une femme désespérée de ne pas trouver l'être de ses rêves.

          Les miroirs, nombreux, décuplent la taille des espaces qui semblent varier à l'infini, laissant parfois entrevoir de grandes vitrines d’animaux : la collection d’Alcina. Les nombreuses portes donnent l'impression d'un dédale sans fin et permettent aux personnages de disparaître et réapparaître en un clin d’œil. Mention spéciale pour la porte en trompe l’œil au bout de la perspective des colonnes. On est à Versailles !

          Enfin, une autre thématique baroque importante vient ponctuer le spectacle : celle aquatique avec la présence notamment d'un énorme coquillage ornant le côté gauche de la scène, mais surtout la coquille St Jacques qui fait office de trône à la reine Alcina et qui recèle en son cœur une perle baroque précieuse d'où semble provenir tous ses pouvoirs magiques. Elle sera brisée à la fin de l'opéra.

          De plus, le spectacle est agrémenté d'élégants ballets (d'animaux ou d'hommes ailés) et de chorégraphies soignées et  divertissantes voire bluffantes quand l’une d'elles met le personnage même d'Alcina à contribution dans une danse baroque fort gracieuse. 

          Notons quelques touches d’humour, peu nombreuses, juste ce qu’il faut, tout à fait bienvenues : le pingouin tombé en syncope et ranimé par le nain qui lui pratique le bouche à bouche, Oronte qui pêche un poisson plein d’épines pour l'offrir à sa belle, ou bien qui se met à nu pour que Morgana puisse admirer ses muscles. Cette dernière se rira de lui après avoir jeté un coup d'œil à l’intérieur de son caleçon. La présence et la performance incroyablement vraisemblante d'une autruche avec des jambes et un  bras (en guise de cou) interminables.

          Le metteur en scène Jiri Herman a su habilement concilier modernisme et tous les éléments de l'art baroque, humour et sérieux de l'affaire et nous révéler la détresse infinie d´une femme meurtrie par la déception sentimentale à l´image de ce moment de grâce qu´a été l´air "Ah mio cor".  


         Côté distribution, l'Alcina de Karina Gauvin, désormais coutumière du rôle, possède une classe et un mordant peu communs. De plus, sa voix charnue ajoutée à un timbre de miel dans un medium extrêmement sollicité par la partition est un ravissement pour l'auditeur. Une interprétation humaine, sensible, à fleur de peau. La prière de "Mi restano le lagrime", la blessure de "Ah mio cor" ou le désespoir de l'air "Ombre pallide" émeuvent profondément. Soulignons la grande clarté du texte et le mordant des consonnes. Ses pianissimi de miel certes vous enchantent mais a contrario certains moments nécessiteraient davantage de volume. Par ailleurs, les cadences et autres fioritures dans les da capo restent avares de notes aiguës et empêchent la soprano de véritablement briller parfois, limitée par un ambitus très central. 

Pourtant, le moment le plus intense de la soirée nous aura été offert par Karina Gauvin, transcendant l'air "Ah mio cor" en une force émotionnelle  d´une intensité hors normes. Le temps s´est arrêté quelques minutes. 

Récemment Jeanine De Bique donnait une toute autre dimension au personnage d'Alcina à l'opéra Garnier, voir notre compte-rendu.

          Si l'on recherche une interprétation pyrotechnique et un festival de notes suraiguës, il faudra passer son chemin, car la Morgana de Mirella Hagen offre bien d'autres qualités: une voix toute de délicatesse et de charme servie par un timbre fruité et rond ainsi que des trilles à se damner. Une véritable bénédiction pour l'écoute. Nous avions déjà pu l'apprécier dans ce même rôle sur la scène viennoise en septembre 2018.

          Le ténor Krystian Adam  dans le rôle d'Oronte provoque souvent les rires: un amant éconduit qui tente maladroitement de reconquérir sa belle. Cela n'empêche pas le chanteur d'affirmer sa forte personnalité et de faire de son personnage une figure centrale de l´opéra.

          Václava Krejčí Housková dans le rôle de Bradamante affiche une voix (trop) claire et des vocalises murmurées. Sa performance vocale paraît incertaine. L'interprète choisit la facilité dans les da capo et l'orchestre est contraint de jouer en sourdine pour ne pas couvrir la voix dans l'air "Vorrei vendicarmi" notamment.

          Andrea Široká se montre plutôt efficace et convaincante dans le rôle du petit Oberto sans toutefois enthousiasmer.

          C´est un bien noble Melisso qu’interprète  Tomáš Král. Même si ce rôle mineur ne lui permet pas de déployer tout son talent, c´est avec panache qu´il s´affirme dans son unique air "Pensa a qui geme". BAROQUENEWS avait pu l'apprécier avec grand bonheur dans le rôle du cyclope dans Acis & Galatea de Haendel à Dortmund dans une fabuleuse mise en scène de Vit Brukner en juin 2017 et plus encore dans l'opéra Riccardo Primo toujours de Haendel à Giessen en mai 2015, où il nous avait enthousiasmé  dans le rôle titre.

          Enfin, le contre-ténor Ray Chenez incarne un passionnant et très  convaincant Ruggiero. Sa voix ronde, uniforme et brillante fait mouche dans un rôle pourtant exigeant. Expressif à souhait, il n´hésite pas a malmener parfois sa voix à des fins interprétatives ou à déployer des cadences tout a fait personnelles et spectaculaires comme à la fin de l´air "Di te mi rido". Il éclipse facilement la prestation quelque peu caricaturale et la voix très inégale du contre-ténor Kangmin Justin Kim dans ce même rôle et même production à Versailles il y a deux mois environ. Et quelle bonne idée d´avoir ajouté au rôle l'air de bravoure "Bramo di trionfar". Un air que l'on entend pour ainsi dire quasi jamais, que Haendel avait décidé d'omettre à la création de l'œuvre, pourtant il confère dès le premier acte une dimension héroïque au personnage. Un air dont s´acquitte avec panache Ray Chenez à l'aide notamment de vocalises à profusion. 

          Musicalement, le chef Vaclav Luks, ajoute des effets personnels à la partition : tambourins, tambours ou clochettes afin d'intensifier les effets magiques, solennels ou festifs de la mise en scène. Le ballet de l'Acte II se retrouve en début de spectacle pour accompagner la tempête qui fera s'échouer l'embarcation de Ruggiero. Autre surprise de taille : la présence de chœurs presque toujours omis qui apportent grandeur et solennité à la reine Alcina.