Innsbruck, Festival de Musique Ancienne 2023

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VIVALDI L'OLIMPIADE 8.VIII.2023

Tiroler Landestheater, Großes Haus, Tuesday 8 August 2023, 6.30pm

Antonio VIVALDI: «L'Olimpiade» RV 725 (Opera in three acts) 

Libretto by Pietro Metastasio (in an arrangement by Bartolomeo Vitturi) 

First performance: Venice, Teatro Sant'Angelo, February 17, 1734 

Edition: Critical edition by Alessandro Borin and Antonia Moccia (Ricordi, Milan) 

Performance in Italian with German surtitles

aproximately 4h including 2 intermissions 

Coro Maghini (Elena Camoletto)

Innsbrucker Festwochenorchester

Alessandro De Marchi Musical Direction

Stefano Vizioli Stage Direction 

Emanuele Sinisi Set 

Anna Maria Heinreich Costumes

Un divertissement léger mais émouvant

          Après quelques concerts en juillet, voilà que le festival de Musique Ancienne d'Innsbruck ouvre véritablement son édition avec une œuvre d'Antonio Vivaldi. Un opéra, au sujet quelque peu surprenant pour notre époque : les olympiades ! Il faut savoir qu'au dix-huitième siècle, ce thème fascinait. D'ailleurs, le livret de Pietro Metastasio a fait l'objet de nombreuses mises en musique. Pour information, et circonstances obligent, cet opéra sera présenté sur la scène du Théâtre des Champs Élysées à la veille des Jeux Olympiques de Paris, dans une nouvelle production d'Emmanuel Daumas

Ces olympiades fournissent surtout un contexte inhabituel et original à une série d'imbroglios amoureux. En effet, Licida qui a délaissé Argene, souhaite épouser Aristea, la fille du roi Clistene. Ce dernier promet au vainqueur des Jeux Olympiques la main de sa fille. Aussi Licida, pour mettre toutes les chances de son côté, enjoint son fidèle ami et très athlétique Megacle à concourir sous son nom. Megacle accepte mais réalise peu après que celle qu’il va pousser dans les bras de son ami n’est autre que sa bien aimée Aristea (qui l’aime en retour). 

Sans grande surprise, Stefano Vizioli donne un cadre de salle de sport à son spectacle. Les personnages s’entraînent (sauts d’arçon, espaliers, figures aux anneaux, etc…), et mènent le spectateur en salle de massage ou bien au sauna, à l’atelier de couture (dans lequel les drapeaux olympiques de chaque nation sont confectionnés), devant les affiches de propagande des jeux, ou encore dans des lieux plus intimes comme la chambre d’Argene.

On se laisse volontiers porter par ce spectacle léger et divertissant, mais on reste également dans l’attente d’idées géniales qui viendraient pimenter cette bonne base de mise en scène, en vain. Heureusement, quelques scènes fortes en émotion apportent consistance et relief à cette comédie bon enfant, comme la scène où l'on assiste au tourment d'Argene, seule dans sa chambre et priant pour que son bien aimé lui revienne : tremblante, elle allume une bougie sous son portrait, aria 'Piu non si trovano'. Ou bien lorsque des fleurs se mettent à pousser spontanément à ses côtés comme des lueurs d’espoir. A tour de rôle, chacun des personnages vient exprimer son atroce tourment, ce qui donne lieu à toute une série de scènes poignantes. 

Le tout est émaillé de pointes d’humour tel que l’instant comico-dramatique dans lequel Aristea confie son tourment à Argene pendant qu'Aminta empêche Megacle d'attenter à ses jours : les dialogues s’entremêlent, mettent la pagaille au point de ne plus rien y comprendre. 

De plus, le spectacle a été savamment conçu pour que chaque personnage accède à son moment de gloire tel le show, irrésistible, de Bruno De Sá, aria 'Siam navi all'onde algenti'.

Il semblerait qu’il soit bon, voire indispensable actuellement que les chanteurs s’adonnent à des shows de danse de cabaret ou de comédie musicale. Presque aucun spectacle n’y échappe ces derniers temps. Tout récemment, dans la production munichoise de Semele, Jakub Orlinski (sans surprises) mais plus étonnamment Michael Spyres nous ont fait un show de danse invraisemblable. 

Côté distribution, pas grand chose à redire, quasiment que du bon et du beau chant avec une distribution homogène. D'ailleurs, les trois contre-ténors engagés pour ce spectacle, chacun très différent de l'autre, n’ont eu aucun besoin de se disputer la vedette. Bejun Mehta, ne cesse de surprendre et de gagner en qualité : sa voix de contre-ténor alto, ronde, souple, consistante et éminemment expressive nous comble. Raffaele Pe, qui jouit d’une technique solide, n’a pas de mal à valoriser les airs de son personnage. Quant à Bruno De Sá, il sait comme personne rendre poignants les moments élégiaques et tristes ou déployer un feu d’artifice de virtuosité. Une fois n’est pas coutume, son rôle est interprété par un homme (habituellement, une soprano est engagée pour ce rôle aigu d'homme). 

Quant à ces dames, deux voix basses, elles n’appellent, elles aussi, que des éloges, surtout le fascinant contralto de Margherita Maria Sala : si délicat et fort à la fois. Benedetta Mazzucato n’est pas en reste : le public a pu apprécier l’étendue de sa voix et sa large palette de couleurs. 

Enfin les deux voix basses masculines, le roi Clistene et son acolyte Alcandro, ont été gratifiées de deux superbes voix même si chacun d'eux n'avait qu'un rôle secondaire. Belle prestation que celle de Christian Senn en roi mégalomane. Brillante prestation que celle de Luigi De Donato dont la profondeur et la noirceur de la voix ne cessent de nous surprendre. A ce titre et à ce niveau de carrière, il aurait mérité de chanter le rôle du roi même s’il se retrouvait ainsi privé d´un air génial 'Sciagurato in braccio a morte'. Un 'ordre des choses' qui sera rétabli à Paris l´an prochain.

Cette production n’aurait pas eu le succès reçu sans l’investissement et le travail formidables de l’orchestre, du chœur et du chef Alessandro De Marchi. Un bonheur de beau son et de force dramatique. 

Les amateurs de la musique du Prete Rosso n'ont pas fini de se régaler. En effet, le festival leur réserve deux autres productions, que BAROQUENEWS ne manquera pas de couvrir : l'opéra La Fida Ninfa et l'oratorio Juditha Triumphans. Les réjouissances ne font que commencer. 

                                    Ruggero Meli

Raffaele Pe (Megacle) & Margherita Maria Sala (Aristea) © Birgit Gufler
Bejun Mehta (Licica) © Birgit Gufler
Bruno de Sá (Aminta) © Birgit Gufler
Luigi De Donato  (Alcandro) & Christian Senn (Clistene)© Christine

Stabat Mater / Marianne Beate Kielland

Eglise des Jésuites le 11 août 2023 à 20h (concert sans pause) 

Marianne Beate Kielland, mezzo-soprano   

Concerto Italiano

Orgue & direction : Rinaldo Alessandrini 

Marianne Beate Kielland, mezzo-soprano
Il Concerto Italiano, Rinaldo Alessandrini

Un Stabat Mater comme une prière

      Ce n’est pas si souvent que le public a l’occasion d’entendre la mezzo-soprano Marianne Beate Kielland en récital. C’est donc une belle opportunité que le festival de musique ancienne d’Innsbruck nous offre en cette soirée du vendredi 11 août 2023 en l’église des Jésuites. Accompagnée pour l’occasion par l’ensemble Il Concerto Italiano et par son chef Rinaldo Alessandrini, des spécialistes émérites de Vivaldi et de musique baroque en général, la cantatrice nous offrait un programme de pièces sacrées de Vivaldi, Caldara et Galuppi, entrecoupé de pièces instrumentales du Prete Rosso, un compositeur décidément à l’honneur en cette 47° édition du festival.

          Le concert, savamment construit, est allé crescendo en émotion. Il a débuté par un motet virtuose de Vivaldi pour s’achever par un autre motet de Vivaldi, absolument bouleversant : le Stabat Mater. Entre les deux, deux motets, très courts, d’Antonio Caldara mais surtout un divin Ave Regina de Baldassare Galuppi. Un petit bijou de musique sacrée que Marianne Beate Kielland a su sublimer de sa voix chaude et du crémeux de son timbre. 

          Mais c’est bien dans le Stabat Mater de Vivaldi que le public a pu ressentir le grand frisson : une interprétation toute de retenue, d’une touchante simplicité et d’une douleur contenue. En effet, les artistes ont pris le parti d’une interprétation religieuse, sans éclats et portée par des tempi très lents. Une souffrance douce amère qui aura fait monter quelques larmes parmi l’auditoire. Vingt minutes de pure extase.  

          Pourtant le concert n’avait pas idéalement commencé. En effet, le motet virtuose ‘Longe mala’, avait laissé entrevoir quelques difficultés techniques de la part de la chanteuse. Les vocalises étaient loin d’être impeccables et pas toujours agréables à écouter : légèrement savonnées, avec du souffle dans l’émission, ce qui avait tendance à lui faire reprendre trop souvent son souffle et lui faire perdre de sa projection. D’ailleurs il nous a semblé relever de l’erreur que de reprendre la fin de ce motet en bis. Même si la chanteuse ne déméritait pas franchement, il ne la mettait pas non plus en valeur. Force est de constater que les airs lents et élégiaques lui seyaient  davantage. 

Saluons enfin la grande aisance, le travail et le professionnalisme du chef Rinaldo Alessandrini, du premier violon Boris Begelman et de l’orchestre Il Concerto Italiano

                                                            Ruggero Meli

La Prima Donna / Francesca Aspromonte

Château d'Ambras, salle espagnole, le 12 août 2023 à 20h

***

Francesca Aspromonte, soprano

Ensemble La Floridiana 

Clevecin et direction : Nicoleta Paraschivescu 

Francesca Aspromonte © Ribalta Luce Studio
Ensemble La Floridiana

Une vraie primadonna !

          Cantatrice fascinante, dotée d’un tempérament incandescent, d’un enthousiasme communicatif, et d’une irrésistible espièglerie, Francesca Aspromonte a offert une brillante prestation au public  du château d’Ambras, à Innsbruck, en cette soirée du 12 août 2023.

Un cocktail nécessaire pour faire briller la musique d’un certain Pietro Giuseppe Sandoni qui aurait bien pu paraître un brin fade dans le gosier d’autres chanteuses. 

          Accompagnée avec passion et talent par l’ensemble La Floridiana et de sa cheffe lumineuse Nicoleta Paraschivescu, elle nous proposait donc un programme de cantates. Un compositeur baroque absolument méconnu mais qui a travaillé dans l’ombre de Georg Friedrich Haendel. En effet, Pietro Giuseppe Sandoni fut l’élève de Giovanni Bononcini et devint rapidement un talentueux claveciniste et compositeur. Haendel le prit à son service et lui confia la tâche d’aller recruter les meilleurs chanteurs d’Italie. C’est lors d’un de ses voyages, que la célèbre cantatrice Francesca Cuzzoni et lui, tombèrent amoureux. Il écrivit ces cantates à son attention. 

          Des cantates qui parlent d’amour, de fidélité, de trahison, etc…, et qui prennent vie avec la voix fruitée, généreuse, facile et hyper expressive de notre soprano italienne. Une incarnation réaliste, passionnée, comme si Francesca Aspromonte jouait sa vie. Même les récitatifs sont investis et vous saisissent : chaque mot, chaque syllabe s’anime de sentiments, on entend les consonnes claquer et les ‘R’ rouler. Une expressivité à fleur de peau donc et une clarté du texte absolument limpide. La technique est remarquable, les vocalises fusent et jaillissent avec facilité. Rien ne semble manquer à cette primadonna, et l’on reste bluffé également par la projection insolente de la voix, qui semble en quelques années avoir pris un important volume et qui devrait porter la chanteuse vers des répertoires plus tardifs. 

          Signalons que de très jolies pièces de Marcello et de Sandoni sont venues s’intercaler entre les cantates, notamment une pièce remarquable d’inspiration du baroque français, prélude et ciaccona, brillamment jouée au clavecin solo par Nicoleta Paraschivescu.

          Ce programme a fait l’objet d’un enregistrement cd par ces mêmes interprètes. Et l’on nous signale déjà la toute récente sortie d’un programme d’œuvres de Marcello en compagnie, cette fois, de la soprano Nuria Rial.

                                             Ruggero Meli

Carnaval de Venise / Hanna Herfurtner & Matthias Vieweg

Château d'Ambras, salle espagnole, le 13 août 2023 à 20h

«Der angenehme Betrug, oder Der Carneval von Venedig» 

Musiques de Reinhard Keiser & Christoph Graupner (Hamburg, 1707), Johann David Heinichen (Leipzig, 1709) et André Campra (Paris, 1699).
Reinhard Keiser (1674 - 1739)

Intrada (Sinfonia) zu einer unbekannten Oper'

«Der Karneval: Die Befreiung von Gesellschaftszwängen»

Reinhard Keiser / Christoph Graupner (1683 - 1760)

Aria der Celinde «Ein schön' und recht vergnügtes Leben»

Aria des Leander «Lieben ist ein schön' Vergnügen»

Reinhard Keiser

Bourrée - Passepied

Aria der comiquen Masken «Wir lachen und scherzen»

Passepied

«Amouröse Abenteuer ohne Bindungszwang»

André Campra (1660 - 1744)

La Vénitienne

Reinhard Keiser / Christoph Graupner

Aria der Celinde «Grata mercê di costante fé»

André Campra

La Vénitienne

Reinhard Keiser / Christoph Graupner

Aria des Leander «Ch'io mi leghi à chi non ti piace»

André Campra

La Vénitienne

Reinhard Keiser / Christoph Graupner

- Aria en Menuet (Celinde) «Ach Liebe, bilde dir dieses nicht ein»

«Wahre Liebe und ewige Treue»

Johann David Heinichen (1683 - 1729)

Aria à 2 (Leander & Isabelle) «Unsre Liebe bleibt beständig»

André Campra

Chaconne

Reinhard Keiser / Christoph Graupner

Aria à 2 (Leander & Isabelle) «Unsre Liebe bleibt beständig»

«Venezianische Lebensfreude»

Reinhard Keiser

Entrée der Gondolieri

Reinhard Keiser / Christoph Graupner

Villotta der Gondolieri «Weichet ihr Sorgen und Schmerzen»

André Campra

Forlana

«Der verliebte Italiener: Eifersucht und Leidenschaft»

Reinhard Keiser / Christoph Graupner

'Aria des Rudolffo «Ohn' Eifersucht zu lieben»

Christoph Graupner

Largo

Reinhard Keiser / Christoph Graupner

Aria des Rudolffo «Non soffro rivali»

-PAUSE-

«Ein Theater der großen Gefühle - Die Verzweiflung»

Reinhard Keiser / Christoph Graupner

Aria der Leonore «Voglio morir!»

Reinhard Keiser

Rondeau - Bourrée

«Die Hoffnung»

Reinhard Keiser / Christoph Graupner

Aria des Rudolffo «Sei standhaft und hoffe

Reinhard Keiser

Menuet

«Der Zweifel»

Reinhard Keiser / Christoph Graupner

Aria des Rudolffo «Blasser Mond, dein Silberschein»

André Campra

Canarie

«Die Trauer»

Johann David Heinichen

Aria der Leonore «Bist du tot, mein wertes Leben»

Largo - Allegro 

«Die Wollust»

Johann David Heinichen

Aria des Leander «Herz und Fuß eilt mit Verlangen» 

André Campra

Rigaudon

«Die Rache»

Reinhard Keiser / Christoph Graupner

Aria der Isabelle «In prova del tu' affetto»

«Epilog: Ein Loblied auf die Freiheit»

Christoph Graupner

Sarabande - Gavotte en rondeau

Reinhard Keiser / Christoph Graupner

Aria der Celinde «Frei von Lieben, frei von Leiden»


Bis 1 : Reinhard Keiser / Christoph Graupner

Aria der Celinde «Frei von Lieben, frei von Leiden» (repris en duo) 


Bis 2 :Reinhard Keiser / Christoph Graupne

- Aria en Menuet (Celinde) «Ach Liebe, bilde dir dieses nicht ein»


Bis 3 : pièce instrumentale

Hanna Herfurtner, soprano 

Matthias Vieweg, baryton

Barockwerk Hamburg   

Clevecin & direction : Ira Hochman

Venise en fête

          En cette soirée du dimanche 13 août 2023, l’ensemble Barockwerk Hamburg proposait au public du château d’Ambras, un programme tout à fait original et festif. En effet, nous étions conviés à des festivités vénitiennes sur fond d’intrigues amoureuses et de jeu de la séduction. Étonnamment, aucun compositeur italien au programme. Trois compositeurs allemands se partageaient les parties vocales en solo ou en duo : Reinhard Keiser, Christoph Graupner et Johann David Heinichen, tandis que des pièces instrumentales de Keiser et surtout du français André Campra venaient s’intercaler dans un programme assez dense mais aux pièces plutôt courtes. Autre élément qui aura pu surprendre les auditeurs : certains airs étaient en italien. Une pratique courante au XVIII° siècle. En effet, de nombreux opéras notamment de Keiser ou même de Haendel (on pense à son opéra de jeunesse Almira) font se côtoyer, dans une même œuvre, la langue italienne à celle allemande.  

          Deux chanteurs pour valoriser ce programme, la divine soprano Hanna Herfurtner, que l’on connaît bien pour ses engagements aux côtés de l´ensemble Lautten Compagney Berlin et son chef Wolfgang Katschner (Alcina, Il Parnasso in festa, Rinaldo, Messiah) ainsi que le vaillant baryton Matthias Vieweg. Pour information, Hanna Herfurtner avait décroché le troisième prix lors du premier concours Cesti, ici même à Innsbruck. 

          Comment ne pas tomber sous le charme de cette soprano allemande, dont l’instrument souple, facile, limpide et brillant sonne comme un ravissement pour l’oreille. On retiendra surtout la ritournelle ou valse ‘Ach Liebe’ qui pourrait bien devenir un tube tant sa mélodie vous prend au cœur. D´ailleurs, elle sera reprise en bis. 

Certains airs, au rythme lancinant, deviennent même addictifs : ils vous accrochent et ne vous quittent plus tel le tout premier air ‘Ein schön’ und recht vergnügtes Leben’ ou bien l’air ‘Grata merce’ dont les ralentis et accélérations se succèdent pour laisser place à des vocalises 

infernales jusqu’à des éclats de rire. Signalons également l’air rageur et éclatant de virtuosité ‘In prova del tu’affetto’ très similaire à l’incroyable air de l´opéra Fredegunda de Keiser : 

‘Lass sich die Wolken’. S’il ne fallait connaître qu’un seul air de Keiser, ce serait ce dernier. 

            Le baryton, quant à lui, même s’il n’était pas au niveau de sa collègue, n’a pas démérité pour autant. Le public aura pu apprécier l’exécution impeccable de ses vocalises, sa voix longue qui passait facilement des notes graves à celles aiguës et inversement. Jolie gestion des changements brusques de rythmes dans l’air ‘Weichet Ibrahim Sorgen und Schmerzen’ rehaussé du tambourin. D’autres airs nous ont quasi envoûtés comme celui au basson obligé ‘Sei standhaft’ ou bien celui à la flûte ‘Blasser Mond’ tel une berceuse, ou bien encore celui au violon ‘Herz und Fuss’. 

          Bref, un programme d’airs et de musiques aux mélodies répétitives et addictives et aux sons enjôleurs notamment grâce à l’intervention de la flûte, du basson ou bien de percussions diverses er variées au point parfois de nous faire oublier qu’il s’agit de musique baroque. Un genre qui a eu tendance à s’effacer pour nous donner l’impression de nous retrouver au cabaret. 

          Saluons enfin, l’ensemble Barockwerk Hamburg, admirablement bien préparé et mené avec passion par leur cheffe et claveciniste Ira Hochman.
                                                  Ruggero Meli

Hanna Herfurtner © Theresa Pewal
Matthias Vieweg © Matthias Vieweg
Ira Hochman © Ydo Sol

VIVALDI LA FIDA NINFA

Haus der Musik, Kammerspiele, 14, 16, 17 & 19 août 2023 19h

Antonio Vivaldi: «La fida ninfa» RV 714 (Opéra en trois actes) Livret de Scipione Maffei 

Première représentation : Verone, Teatro Filarmonico, le 6 janvier 1732 

Edition: Critical edition by Marco Bizzarini and Alessandro Borin (Ricordi, Milan) 

Chanté en italien avec des surtitres en allemand. 

Durée approximative 2h et un entracte. 

Direction : Chiara Cattani 

Mise en scène & lumières : François de Carpentries 

Décors & costumes : Karine Van Hercke 

Eline Welle (Elpina) avec son costume de Gorgone © Birgit Gufler
Chelsea Zurflüh (Licori) & Nicolò Balducci (Osmino) © Birgit Gufler
Vojtěch Pelka (Morasto) & Eline Welle (Elpina) © Birgit Gufler
Yevhen Rakhmanin (Oralto) © Birgit Gufler
Kieran White (Narete) © Birgit Gufler

Une féerie légère et naïve

          Vraie gageure, pour tout metteur en scène ainsi que son équipe, de proposer un spectacle sur un livret aussi alambiqué et en manque cruel d’action que celui de l'opéra La Fida Ninfa de Vivaldi. D’ailleurs, le synopsis est quasiment impossible à raconter, et nous ne nous y risquerons pas.

Reproduire fidèlement le livret sur scène aurait certainement conduit à un fiasco ou à un ennui mortel. C’est sûrement la raison pour laquelle le metteur en scène François de Carpentries a choisi de présenter l’œuvre sous forme de conte, ou d’une féerie légère et délicieusement naïve. Très jolie ouverture de rideau avec son fond de scène piqué de petites lumières, ses arbres en carton pâte (référence à ce qui se pratiquait au XVIIIe siècle) et ses personnages romanesques : un berger, un pirate et des captifs. Une impression de bande dessinée voire de dessin animé. Dans la première partie les personnages se retrouvent au cœur d’une forêt à la faveur d’une nuit étoilée, égarés (dépaysés) et en proie à des créatures étranges voire menaçantes. Dans la seconde, ils semblent évoluer parmi les rochers d’une plage. Le pirate Oralto, impitoyable et sanguinaire, règne en maître sur cette île mystérieuse et hostile. Tirsis et Morasto sont à son service. Il a fait captif le berger Narete et ses deux filles Licori et Elpina, tous trois terrorisés face aux dangers de l’île. 

En effet des créatures fantastiques et mythologiques peuplent cet endroit. Ils nous rappellent que nous sommes effectivement en Grèce, conformément au livret. On peut y croiser une licorne, un Minotaure, le Dieu Pan, la Gorgone, le chien Sirius, ou la chouette de Minerve. A ce titre, certains costumes sont prodigieux, surtout celui de la Gorgone, d’un vert éclatant, ou de la licorne parée de ses immenses ailes blanches, ou celui du pirate en redingote XVIII° siècle ou bien encore celui de Tirsis en satyre. Seul celui de Morasto laisse à désirer, il ne le met pas en valeur et tend même à le ridiculiser (sorte de berger-chasseur). Il s’agit là pourtant d’un personnage central, sinon le plus important, le prince charmant de cette histoire. Ce n’est pas pour rien que Vivaldi lui a réservé des airs exceptionnels : le divin ‘Dolce fiamma’ mais surtout le redoutable et hyper virtuose ‘Destino avaro’. Certainement l’un des airs les plus périlleux, acrobatique, infernal de toute l’histoire de la période baroque. Dommage. 

De plus, il semble que chaque personnage possède son équivalent mythologique : Licori est associée à la Licorne, le pirate au dieu Pan, Elpina à la Gorgone, Tirsis au Minotaure, Morasto au chasseur Orion et son chien noir Sirius… Des créatures mythologiques qui ne font que passer sur scène et qui ne représentent finalement pas vraiment de menace réelle

          Une féerie légère donc, qui se laisse apprécier, voire déguster avec les yeux d’un enfant à l'écoute d´un conte de fée. Certes, on ne s’ennuie pas, mais l’on pourra déplorer, parfois, une carence en direction d’acteurs. En effet, les personnages ne savent pas toujours quoi faire, redoutent des dangers qui n’arrivent jamais, ou bien se bousculent et se repoussent à volonté. 

Des similitudes avec la production du metteur en scène Johannes Pölzgutter à Regensburg en 2019, qui avait également opté pour le conte de fée et la féerie. Une féerie plus touchante encore et surtout plus subtile, qui cachait un message universel fort : la culture et notamment la lecture comme échappatoire aux tyrans de ce monde. Ici, on reste au stade du joli de la fantaisie, d’une esthétique certes réussie, aux références mythologiques intéressantes. 

           Musicalement, la partition est défendue avec conviction et enthousiasme par une équipe  et une cheffe, en l´occurrence Chiara Cattani, hyper investies. On notera l’ajout du début du concerto dit alla rustica en guise de transition scénique : un instant bucolique et un pique-nique qui va tourner en cauchemar avec la menace du Minotaure. Quelle cruauté d’avoir coupé le da capo de deux airs majeurs de Morasto : 'Dolce fiamma' au premier acte et ‘Fra inospite rupi’ au troisième acte. Mention spéciale aux ensembles (duo, trio, quatuor) : absolument remarquables. 

          Vocalement, une distribution assez solide et une équipe de valeureux jeunes lauréats issus du concours Cesti.

           Chealsea Zurflüh, dans le rôle de la nymphe Licori, possède une voix très intéressante : un soprano clair, flexible, long, qui se charge de couleurs sombres et prend de la consistance à mesure qu’elle descend. Elle s’est montrée de bout en bout admirable sauf peut-être dans le très attendu et virtuose ‘Alma oppressa’ dont les vocalises de la première partie nous ont semblé un brin trop blanches, comme dépourvues de personnalité. Des remarques qui se sont éclipsées dans un da capo, allégé, avec moins de notes à exécuter. Surprenant dernier air ‘Dalla gioia’ pris dans un tempo extrêmement rapide. Il faut avoir écouté Ann Hallenberg dans cet air pour décoller, elle en fait une prière qu’on emporterait sur une île déserte. D'ailleurs, les passionnés ne manqueront pas de se procurer le concert d’Ambronay diffusé par Radio Classique. Une merveille avec notamment, une Alexandrina Pendatchenska hallucinante.

          Quel dommage que le rôle d’Elpina soit si restreint et finalement frustrant, car on aurait aimé profiter de la divine voix d'Eline Welle. Chacune des interventions de ce beau mezzo a été remarquable.

          Le géniteur Narete, incarné par le superbe ténor Kieran White a fait notamment sensation dans sa longue plainte 'Deh ti piega' : un moment sublime qui refermait la première partie. A vous tirer les larmes. 

          Le baryton basse Yevhen Rakhmanin qui incarnait le rôle du pirate Oralto, aux moyens intéressants, s’est montré éclatant d’autorité et de panache. Peut-être, aurait-il dû juste éviter la note caverneuse dans la cadence de l’air 'Chi dal cielo' qui ne faisait que mettre en exergue son incapacité à la chanter. 

          Superbe jeu d’acteur de la part du contre-ténor Nicolò Balducci, passionnant à regarder, et absolument crédible en satyre faussement servile vis à vis du pirate Oralto. Libidineux à souhait avec ces dames, sa voix n’en était pas moins facile et percutante. Il laisse éclater sa joie face aux avances de Licori dans un air virtuose absolument irrésistible ‘Qual serpe tortuosa’. On se demande s’il n’aurait pas pu chanter le rôle de Morasto. 

          Enfin, reste le cas du contre-ténor tchèque Vijtech Pelka dans le fameux rôle de Morasto. Sans franchement démériter, il n’a pas non plus pleinement convaincu. Un rôle, il est vrai, périlleux. Nous le disions, deux airs quasiment inchantables lui incombent : les très virtuoses 'Destino avaro' et ‘Fra inospite rupi’. Même avec quelques écueils, il s’y est montré vaillant et il faut vraiment saluer la performance. En revanche, le très épuré et délicat ‘Dite ohimè’ a mis en exergue des graves peu homogènes avec le reste de la voix et une note aiguë forcée que l’on aurait aimée au contraire aérienne. 

          Après deux spectacles vivaldiens de bonne facture, l’Olimpiade et cette Fida Ninfa, nous attendons avec impatience la production de l’oratorio latin Juditha Triumphans.

                                             Ruggero Meli

TRAETTA REX SALOMON

Maison de la musique, Grande salle le 18 août 2023 à 20h 

Tommaso Traetta : Rex Salomon, oratorio en deux parties 

Livret de Domenico Benedetti, révision de Pietro Chiari (Venise, 1766/1776) 

Édition : Simone Laghi   

Chœur Novo Canto   

Orchestre Theresia 

Clavecin & Direction : Christophe Rousset 

Attention, chef-d'oeuvre !

        Choc musical de taille et soirée absolument extraordinaire à la maison de la musique hier soir, vendredi 18 août 2023, dans le cadre du Festival de Musique Ancienne d’Innsbruck. Un compositeur, injustement méconnu, à l’honneur : Tommaso Traetta et son oratorio Rex Salomon. L'occasion d'une découverte majeure d’une partition absolument grandiose. Une œuvre qu’on imagine sortie des archives où elle dormait depuis des siècles et n’attendait que le baiser du prince charmant pour reprendre vie. C’est ce qu’a réalisé Christophe Rousset pour notre plus grand bonheur. Ce n’est pas la première fois que ce chef s’intéresse à ce compositeur (Stabat Mater, Antigona, Ippolito ed Aricia…), et on l’espère, pas la dernière. 

          Pas vraiment d’action dans cet oratorio si ce n’est la visite de courtoisie de la part de la Reine de Saba et la menace du personnage Adon qui voudrait s’introduire dans le palais sans se plier aux usages religieux. Mais rapidement il sera frappé par la révélation divine et se convertira. Il s’agit plutôt d’un hymne à la figure du bon roi Salomon, qui lui même vénère, le plus humblement du monde, le Dieu tout puissant. 

          La musique ? Somptueuse, brillante, virtuose, attachante au point de ne plus vous quitter. Il vous prend comme une envie de pleurer, saisi par un trop plein d’émotion à l'écoute de cette splendeur musicale. On a d’abord le sentiment d’entendre un Vivaldi tardif exécuté à l’Ospedale de la Pietà de Venise, où seules les jeunes filles œuvraient. On pense bien évidemment à sa Juditha Triumphans avec tous ses rôles féminins et chanté en langue latine.

          Mais l’on a surtout le sentiment d’entendre une musique aux accointances mozartiennes troublantes et patentes. L’on pense notamment, à ses fameux et redoutables airs de concert. A ce titre, le dernier air de l’oratorio chanté par Susanne Jérosme, s´est révélé être le bouquet final d’un feu d’artifice vocal de deux heures. Certainement l’air le plus brillant de toute la partition avec son infernale pulsation. On croirait entendre le Mitridate de Mozart. 

Dix airs au total, plus un duo et trois parties chorales. Chacune des solistes avait donc deux airs à interpréter, un dans chaque partie. Des airs plutôt virtuoses et longs, entre 5 et 10 minutes chacun, servis par cinq chanteuses d’exception. On ne saurait laquelle des solistes choisir tant chacune d’elles nous a fait vibrer. 

           Honneur au Roi Salomon, interprété par le divin soprano de Susanne Jérosme, dont nous disions que son deuxième air était époustouflant. Avec son timbre radieux, la souplesse de sa voix et une aisance confondante dans les vocalises notamment, elle a enflammé la salle. Rien ne semble résister à cette jeune soprano que nous avions eu la chance de découvrir sur la scène du théâtre d'Aix-la-Chapelle en Bellezza dans l'oratorio Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, puis elle avait confirmé son talent dans le rôle de Morgana de l’opéra Alcina à Nancy. Voir notre compte rendu

          Même chose concernant la soprano Eleonora Bellocci, une habituée du festival (Leonora de Paër, il Messia de Haendel, etc...), elle a conclu la première partie avec un air éclatant, aux vocalises débridées et vaillamment exécutées. Bravo pour la performance. 

          Grace Durham affiche, elle aussi, un timbre somptueux. Sa voix semble avoir encore pris de la rondeur et de l’éclat. Le concours qui l’avait élue grande gagnante 2019 ne s’était pas trompé.

          Nous connaissions les talents de ces trois chanteuses pour les avoir entendues précédemment, mais le choc est venu d’une inconnue : la soprano Marie-Eve Munger qui chantait une Reine de Saba à tomber ! Ce timbre, divin, ces aigus de toute beauté vous touchent au cœur comme le ferait une flèche décochée par Cupidon. Son deuxième air, spectaculaire et pétillant comme le champagne, nous a tout simplement émerveillé. 

          Enfin la contralto Magdalena Pluta, nous a vraiment impressionné par la profondeur et la solidité d’une voix peu commune. Son premier air a été une franche réussite. On regrettera juste une incertitude palpable ainsi qu'une petite erreur dans son second air. Rien de dommageable. 

          Il va nous falloir un certain temps avant de pouvoir nous remettre du coup de massue reçu par ce choc musical. Un choc comme il vous en arrive rarement dans une vie. 

          Saluons le travail impeccable du chef Christophe Rousset, à la tête des très jeunes membres de l'orchestre Theresia, ainsi que du chœur de jeunes filles Novo Canto. Des artistes en herbe qui nous ont bluffé.

          Enfin, bonne nouvelle, l’œuvre a été enregistrée dans la semaine précédant ce concert pour une future sortie discographique.
                                    Ruggero Meli

Reine de Saba : Marie-Eve Munger, soprano
Salomon : Susanne Jérosme, soprano
Abiathar : Eleonora Bellocci, soprano
Sadoc : Grace Durham, mezzo-soprano
Adon : Magdalena Pluta, contralto

VIVALDI JUDITHA TRIUMPHANS 25.VIII.2023

Tiroler Landestheater, Großes Haus, le 25 août 2023 à 19h

Antonio Vivaldi: «Juditha triumphans» RV 644, oratorio en deux parties, sur un livret de Giacomo Cassetti

première représentation : Venise, église Santa Maria della Pietà, 1716

Edition: Günter Graulich (Carus-Verlag, Leinfelden-Echterdingen)

Chanté en latin avec des sous-titres allemands et anglais. 

Coro Maghini* (Claudio Chiavazza)

Innsbrucker Festwochenorchester 

Alessandro De Marchi Musical Direction 

Elena Barbalich Stage Direction 

Massimo Checchetto Stage Design 

*Cristina Camoletto, Noemi Cavallo, Elisa Fagà, Chiara Lazzaro, Teresa Nesci, Emilia Russo, Federica Salvi, Karin Selva, Francesca Sicilia, Ilenia Tosatto (Soprano); Stefania Balsamo, Elena Camoletto, Manuela Cattaneo, Isabella Di Pietro, Clara Giordano, Daniela Lavagna, Federica Leombruni, Eleonora Maag, Laura Realbuto, Svetlana Skvortsova (Contralti)

Sophie Rennert (Juditha) © Birgit Gufler
Anastasia Boldyreva (Holofernes) & Lorrie Garcia (Ozias) © Birgit Gufler
Arianna Vendittelli (Vagaus) & Chor © Birgit Gufler
Anastasia Boldyreva (Holofernes) & Sophie Rennert (Juditha) © Birgit Gufler
Emilie Renard (Abra), Sophie Rennert (Juditha) & Lorrie Garcia (Ozias) © Birgit Gufler
Arianna Vendettelli (Vagaus) © Birgit Gufler

Une splendeur !

          Spectaculaire, somptueux, éclatant, classieux, éblouissant, incandescent, stratégique, subtil : quelques-uns des termes qui viennent à l’esprit lorsqu’on a eu la chance d’assister à ce spectacle qui mettait en scène l’oratorio latin du Prete Rosso : Juditha Triumphans. Pourtant la gageure n’était pas des plus simples face à un livret si avare en action : Juditha pour sauver son peuple se présente chez l’ennemi vainqueur pour tenter de séduire le tyran Holofernes. Ce dernier, après avoir festoyé et être tombé sous son charme, s’assoupit. Juditha en profite pour lui trancher la tête. 

          Après une ouverture sensationnelle et l’intervention percutante du chœur Maghini, une fumée blanche envahit toute la scène et lui confère une atmosphère vaporeuse et mystérieuse. Un décor visuellement très léché et absolument séduisant, tout comme l’ensemble des costumes qui allient l’ancien au moderne, la grâce à l’élégance. Somptueuses toges rouges et noires des choristes notamment. 

          Une fois n’est pas coutume, l’élément déterminant de cette mise en scène va être un jeu de lumière constant, modulable, subtil. En effet, il va permettre de créer, d’emblée, un suspense tendu d’un jeu périlleux, comme si les personnages et le public jouaient sur le fil du rasoir. Des faisceaux lumineux quadrillent la scène et nous suggèrent une partie d’échec et mat, et la mise en place d’une stratégie qu’il va falloir jouer serré, en avançant ses pions avec méthode et tact. Juditha s'y emploie dans un jeu de va et vient tendu avec Holofernes, elle le séduit mais se dérobe à lui, revient puis repart, lui résiste, feint de lui céder. Sa complice, Abra, l’encourage et la conseille. De son côté Vagaus, au service d’Holofernes, encourage cette ‘union’ pour la paix des peuples. 

Ces faisceaux lumineux mutent en permanence et prennent d’autres fonctions. Juditha semble recevoir la lumière divine et se charge de courage au contact de la lumière. 

           Le deuxième élément qui fera la force de cette mise en scène, sera la représentation christique du repas organisé par Holofernes. En effet, la fameuse Cène de Léonard de Vinci se forme sous nos yeux. Les costumes éclatent de couleurs vives. La peinture se fige puis prend vie tout comme la symbolique forte du sacrifice de Jésus / Juditha pour sauver l’Homme, le peuple de Bethulie en l’occurrence. Du plus bel effet.

           Enfin, le dernier élément qui va rendre ce spectacle attrayant et donner du mouvement sera les déplacements frontaux des chanteurs et du chœur. En effet, les personnages viennent régulièrement chanter leur da capo face au public en empruntant une passerelle placée devant l’orchestre. Une proximité et une intimité qui donnent l’impression qu’ils nous chantent directement au creux de l’oreille comme si nous étions leur confidents. Un processus qui rend ces personnages plus crédibles encore et qui donne force et conviction à leurs propos. 

          Nous aurions peut-être pu nous attendre à une scène de la décapitation plus spectaculaire si ce n’est cette chute brutale et violente d’une pluie de sang. Et toute la scène de se charger d’une couleur rouge vive. La metteuse en scène Elena Barbalich a préféré la sobriété d’un masque blanc plutôt qu’une tête dégoulinante de sang. Holofernes n’est désormais plus qu’un visage blanc immaculé, totalement vidé de son sang.

          Côté solistes : une distribution forte en personnalités, avec cinq voix de mezzo-sopranos (chacun pourra chipoter sur qui tire plutôt vers le soprano ou le contralto) d’exception, toutes différentes et bien typées. 

          Impressionnante présence scénique et vocale que celle d'Anastasia Boldyreva dans le rôle du tyran Holofernes. Sa voix solide, pleine d’autorité et dotée d’une projection généreuse rend le personnage parfaitement crédible. 

          La Juditha de Sophie Rennert a tout de l’élégance, la force émotionnelle, la subtilité des mots et des couleurs. On comprend aisément que le tyran soit séduit avec une voix aussi ensorcelante. Public et personnages sont sous le charme. 

          La servante Abra et l´intendant Vagaus, respectivement incarnés par Emilie Renard et Arianna Venditelli, ont été particulièrement remarquables. Surtout Arianna Venditelli qui a su ‘sortir de ses gonds’ et insuffler une intensité et une force émotionnelle rare à son personnage, notamment dans le fameux et foudroyant air ‘Armatae face’. 

          Enfin, Lorrie Garcia nous a fait également forte impression dans le rôle d’Ozias qui n’intervient que dans la seconde partie. Son séduisant contralto seyait parfaitement au rôle du grand prêtre. 

          Cinq mezzo-sopranos donc, toutes des guerrières, ont su donner vie, force et conviction à leur personnage et contribuer largement à la réussite de ce spectacle. 

          Elles étaient accompagnées et soutenues par les forces du Innsbrucker Festwochenorchester, dont les solistes, émérites, ont eu fort à faire, et de leur chef Alessandro De Marchi qui signait là, sa dernière production après 14 ans de bons et loyaux services au festival de Musique Ancienne d’Innsbruck. Un concert d’adieu est d’ailleurs prévu ce mardi 29 août 2023.
                                            Ruggero Meli

Giulia Semenzato 26.VIII.2023

Château d'Ambras, salle espagnole, le 26 août 2023 à 20h

Drottningholmsteaterns Orkester 

Direction, clavecin et orgue : Francesco Corti 

Giovanni Porta (um 1675 - 1755)

(Quelle: D-DI Mus.2788-N-3)

Allegro-Andante-Adagio - Allegro

(Quelle: I-Sd 2767/12)

Aria «Volate gentes, venite cum me». Allegro

Recitativo «Fulcite me floribus»

Aria «Cari flores grati odores». Andante

Alleluia. Allegro

Antonio Vivaldi (1678- 1741)

Andante - Allegro - Largo e Cantabile - Allegro

Nicola Porpora (1686- 1768)

(Quelle: I-Vc Fondo Giustiniani, B.42n7; Originaltonart: F-Dur)

Salve Regina. Adagio

Ad te clamamus. Moderato

Ad te suspiramus. Allegro

Ela ergo. Adagio

Et Jesum benedictum. Andantino

*** Pause ***

Antonio Vivaldi

Largo - Allegro - Largo - Allegro molto

Andrea Bernasconi (1706 - 1784)

(Quelle: I-Vc Fondo Correr Esposti, B.5 1 n6; teilw. rekonstruiert von Deniel Perer)

Aria «Cessate irae furores». Allegro Aria «Te iam amo mi deus». Andante

Aria «Turtur a fido nido». Andantino affettuoso Aria «Sic longe a te cor clamat». Allegretto

Alleluia. Allegro

Giulia Semenzato, © Mona Wibmer
Francesco Corti, orgue, clavecin et direction

L´Ospedale della Pietà de Venise en fête

          Concert particulièrement festif par son programme, bien plus virtuose qu’indiscipliné, comme le titre le suggérait. Justement, une discipline et une rigueur de fer étaient nécessaires pour affronter des pages aussi virtuoses. En effet, le programme concocté pour l’occasion, ne ménageait ni les instrumentistes et encore moins la voix de la diva de la soirée : la divine Giulia Semenzato. Une interprète qui nous avait déjà fait bonne impression lors de son récital au Festival Haendel de Halle 2022, ainsi que sur scène (Orlando et Saul à Vienne, Rinaldo à Glyndebourne). La tâche était d’autant plus ardue, qu’elle et l’ensemble du Théâtre de Drottningholm, sous la direction de Francesco Corti, se sont attaqués à un tout nouveau programme constitué principalement de pièces et de compositeurs apparemment sortis des oubliettes. Des compositeurs, qui avaient, semble t’il, en commun, comme Vivaldi, d’avoir séjourné et composé pour l’Ospedale della Pietà de Venise. 

          Le recital s’est ouvert avec deux œuvres de Giovanni Porta : une sinfonia et un motet. Toutes deux fraîches et pétillantes. D’emblée, les vocalises fusent, fluides et virtuoses. La soprano s’envole les bras chargés de fleurs et d’amour (référence au texte de ce motet latin) et nous emporte avec elle dans un voyage à la découverte d’étonnantes et séduisantes mélodies. La voix, brillante dans sa partie haute, bénéficie d’un médium solide et même de notes graves uniformes. Des armes absolument nécessaires pour affronter la tessiture longue de cette œuvre ainsi que des autres. 

          Accompagnée par des spécialistes du répertoire baroque, et surtout par le très virtuose et jeune chef italien Francesco Corti, qui a fait forte impression à l’orgue comme au clavecin, Giulia Semenzato ne pouvait que briller. 

           Étonnamment, nous avons eu du mal à reconnaître la pâte du Prete Rosso dans la sonate RV 779, si ce n’est pour son dernier mouvement. Vivaldi n'a décidément pas composé 400 fois le même concerto comme l'affirmait injustement Stravinsky. 

          Après un charmant Salve Regina de Nicola Porpora, la troisième pièce au programme nous conviait à la paix et à l’amour avec la métaphore de la tourterelle. La série de vocalises descendantes de ce motet d’Andrea Bernasconi n’a pas ménagé la chanteuse. Un défi qu’elle a su relever avec panache, avant d’entamer une partie plus élégiaque et poétique, et terminer par un Alleluia particulièrement brillant.

          Mais c’est avec un autre Alleluia que le concert s’est véritablement refermé : celui du motet de Giovanni Porta, repris en bis.
                                                Ruggero Meli

Concours de chant Cesti, 27.VIII.2023

Finale du 14e Concours de chant baroque Cesti 

Haus der Musik Innsbruck, Großer Saal 

tours preliminaires ouverts au public and entrée gratuite : 

1er tour : 23 - 24.VIII, 10h30 a.m. - 17h 

2e tour : 25.VIII : 10h30 - 17h 

Airs tirés de l´opéra  «Arianna in Creta» (1734) de Georg Friedrich Händel et d´autres opéras baroques.

9 finalistes: 

Barockorchester:Jung 

Angelo Michele Errico, direction musicale


Jury

Nicole Braunger

Operndirektorin am Badischen Staatstheater Karlsruhe und Künstlerische Leiterin der Internationalen Händel-Festspiele Karlsruhe

Ottavio Dantone

Dirigent, Cembalist und des. Musikalischer Leiter der Innsbrucker Festwochen der Alten Musik

Alessandro De Marchi

Dirigent, Cembalist und Intendant der Innsbrucker Festwochen der Alten Musik

Samantha Farber

Geschäftsführende Direktorin bei Sono Artists

Hein Mulders

Intendant der Oper Köln

Susanne Schmidt

Casting Direktorin der Vlaamse Opera Antwerpen/Gent

Sebastian Schwarz

Jury-Vorsitz, Künstlerischer Leiter des Festival della Valle d'Itria


Programme

Antonio Caldara (1670-1736) aus dem Oratorium «Maddalena ai piedi di Cristo»

Sinfonia


Antonio Vivaldi (1678-1741) aus der Oper «Teuzzone»

Base al regno e guida al trono (Sivenio)

Rory Green


Johann Adolph Hasse (1699- 1783) aus der Oper «Marc'Antonio e Cleopatra»

Quel candido armellino (Cleopatra)

Neima Fischer


Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736) aus der Oper «L'Olimpiade»

L'infelice in questo stato (Alcandro)

Andrea Gavagnin


Antonio Caldara aus dem Oratorium «Maddalena ai piedi di Cristo» 

In lagrime stemprato il cor qui cade (Maddalena)

Maria Hegele


Georg Friedrich Händel (1685-1759) aus der Oper «|| Muzio Scevola» 

Volate più dei venti (Porsenna)

Alexandre Baldo


aus der Oper «Arianna in Creta»

Dille, che nel mio seno serbo (Carilda)

Mathilde Ortscheidt


aus der Oper «Ezio»

Se povero il ruscello (Massimo)

Antonin Rondepierre


aus der Oper «Arianna in Creta» 

So che non è più mio (Arianna)

Charlotte Bowden


aus der Oper «Il Muzio Scevola» 

Volate più dei venti (Porsenna)

Giacomo Nanni


*** Pause ***


Antonio Vivaldi aus der Oper «Teuzzone»

Base al regno e guida al trono (Sivenio)

Alexandre Baldo


Georg Friedrich Händel aus der Oper «Arianna in Creta»

Salda quercia in erta balza (Teseo)

Maria Hegele


aus der Oper «Arianna in Creta»

Dille, che nel mio seno serbo (Carilda)

Andrea Gavagnin


aus der Oper «Arianna in Creta»

Se ti condanno (Minos)

Rory Green


aus der Oper «Arianna in Creta»

Sò che non è più mio (Arianna)

Neima Fischer


Antonio Caldara

aus der Serenata «La concordia de' pia

Tal se gemma (Mercurio)

Antonin Rondepierre


Antonio Vivaldi aus der Oper «Teuzzone»

Base al regno e guida al trono (Sivenio)

Giacomo Nanni


Johann Adolph Hasse aus der Oper «Marc'Antonio e Cleopatra»

Quel candido armellino (Cleopatra)

Charlotte Bowden


Antonio Vivaldi

aus der Oper «L'incoronazione di Dario» 

Ferri, ceppi, sangue, morte (Argene)

Mathilde Ortscheidt

1er prix : Mathilde Ortscheidt. © Lisa Lesourd
2e prix : Charlotte Bowden
3e prix : Giacomo Nanni
Prix du public : Alexandre Baldo

Niveau tiède au concours Cesti 2023

          Disons le d’emblée, après une première partie dans laquelle chaque candidat a eu la possibilité d’interpréter un air, une certaine déception nous a gagné : un concours au niveau général plutôt tiède. 

Cependant, dès son premier passage, une candidate se démarque nettement : la mezzo-soprano française Mathilde Ortscheidt, très expressive, passionnante à écouter et surtout dotée d’un timbre de mezzo-soprano voire de contralto des plus séduisants. Elle confirmera son avance dans la seconde partie en interprétant un air virtuose de Vivaldi ‘Ferri, ceppi’ qui, même s’il a été brillamment interprété a aussi révélé un léger manque de souplesse des vocalises. Somme toute, elle remporte, haut la main, le premier prix de ce 14e concours de Chant Cesti,. 

          Après la pause, ô surprise, les candidats semblent avoir opéré le sursaut d’une première partie léthargique. Tous ont dévoilé des capacités intéressantes et ont su sortir de leur réserve (sauf peut-être le contre-ténor, qui a chanté un air de la même teneur qu’en première partie), sans toutefois relever significativement le niveau du concours. 

          Étonnamment, les 9 candidats issus des sélections sont tous assez âgés (entre 26 et 32 ans) sauf une soprano allemande Naïma Fischer, 21 ans, pour laquelle on s’est demandé comment elle avait pu passer le seuil de la demi-finale avec une voix encore 'verte' et au dosage vocal mal contrôlé. Cette voix innocente a pourtant réussi l’impossible en seconde partie, avec une interprétation touchante de l’air ‘So che non e piu mio’ de l’opéra Arianna in Creta de Haendel. Sa cadence finale nous a particulièrement ému. Elle a d’ailleurs obtenu le prix du jeune talent. 

          Le seul contre-ténor de cette compétition, Andrea Gavagnin, était doté d’une belle voix mais sa passivité physique et vocale l’ont privé de toute récompense. 

          La soprano Charlotte Bowden nous est apparue assez inégale, avec une partie haute de la voix plutôt jolie et qui s’épanouissait bien, mais un médium qui a eu tendance à s’éteindre. Cela ne l'a pas empêché de rafler le deuxième prix de cette compétition. 

           En revanche, nous avions pronostiqué une récompense (pas forcément la meilleure) pour la mezzo-soprano Maria Hegele, dont le timbre nous a particulièrement séduit même si elle manquait un peu de notes graves. Déception pour cette allemande de 29 ans : aucune récompense au final. Saluons sa prise de risque car elle est la seule à avoir choisi un air virtuose et périlleux ‘Salda quercia’ de l’œuvre imposée cette année, Arianna in Creta de Haendel, quand les autres candidats se sont 'contentés' d’aborder des airs quasi sans écueils. Avec une telle œuvre, nous aurions pu nous attendre à un feu d’artifice de vocalises dont la partition regorge. On attendait notamment des airs tel que : ‘Nel pugnar’ ou ‘Qui ti sfido’ de Teseo, ‘Sdegno’ d’Arianna, ‘Qual Leon’ ou  ‘In mar tempestoso’ de Tauride. Personne ne s´y est risqué, un constat certainement révélateur du niveau général.

          Le seul ténor de la cette finale Antonin Rondepierre s’est montré plutôt inégal : manque de projection, un premier air trop bas pour sa voix, une note aiguë pas très convaincante dans une cadence. En revanche, il vocalise à merveille, il sait se montrer expressif et affronter le public en le regarder droit dans les yeux. 

          Enfin, trois barytons (-basses) se sont confrontés les uns aux autres, en interprétant peu ou prou les mêmes airs. Alexandre Baldo, prix du public, possède une voix solide et attrayante mais semble limité dans sa tessiture. Giacomo Nanni a également fait preuve de belles qualités avec sa voix uniforme et son ‘italianita’ qui lui permet de faire ressortir le texte à merveille. Il obtient d'ailleurs un troisième prix. Enfin les superbes et impressionnantes notes aiguës de Rory Green n’ont pas suffit à le qualifier. 

          Tous les candidats étaient accompagnés avec ferveur et professionnalisme par un orchestre (sans nom) et son chef Angelo Michele Errico

          Il va tout de même falloir que ces jeunes procèdent à un bond en avant, en une année, pour pouvoir affronter la redoutable partition d’Arianna in Creta, un opéra qui sera donné l’an prochain par certains des lauréats du concours. Mais faisons confiance au travail admirable que fait le festival chaque année en direction des jeunes chanteurs. Gageons qu’ils sauront les faire évoluer et mettre à profit leurs ressources pour nous offrir un beau spectacle. 

                                                              Ruggero Meli

RESULTATS DU CONCOURS CESTI 2023

1. Prix : Mathilde Ortscheidt, mezzo-soprano (FRA)

2. Prix : Charlotte Bowden, soprano (GBR)

3. Prix : Giacomo Nanni, baryton (ITA)

Prix du public : Alexandre Baldo, baryton (FRA)

Prix jeune talent : Neima Fischer, soprano (DE)

Charlotte Bowden, Mathilde Ortscheidt & Giacomo Nanni.