RODELINDA, GÖTTINGEN 11.VIII.2021

HANDEL RODELINDA

Göttingen Handel Festival 11.IX.2021


Anna Dennis, Rodelinda 

Christopher Lowrey, Bertarido 

Thomas Cooley, Grimoaldo 

Franziska Gottwald, Eduige 

Julien Van Mellaerts, Garibaldo 

Owen Willetts, Unulfo 


FestspielOrchester Göttingen

Laurence Cummings, Direction 

Dorian Dreher, Mise en scène 

Hsuan Huang, Décors, Costumes 

Markus Piccio, Lumières 

All pictures © Alciro Theodoro da Silva

Unusual staging of the Handel masterpiece Rodelinda, ful of art and depicting a woman fighting to survive and exist in a man world. 

The excellent orchestra of the Göttingen Festival, brilliantly conducted by Laurence Cummings could not "save" an unbalanced cast. 

          Alors que la tendance ces dernières années au festival Haendel de Göttingen était de remettre des ouvrages méconnus sur le métier (Arminio, Lotario, Faramondo), voilà que l’édition 2021 (qui se tient en septembre et non en mai, crise sanitaire oblige), met à l’honneur l’une des œuvres les plus populaires du compositeur: Rodelinda, Regina de Longobardi. Hasard ou choix délibéré pour “relancer” la fréquentation ? Ce chef-d’œuvre, mis en scène ici par Dorian Dreher, transpose les personnages dans les années 20. Pour les accueillir, un salon cossu avec cheminée pour seul décor tout au long des trois actes. Un mobilier chic et élégant, et des vêtements somptueux. Rodelinda, élégamment apprêtée, le port altier, chignon en couronne, vient de perdre son trône mais surtout son amant Bertarido, que tous pensent mort. Elle est courtisée, par voie de chantage par le tyrannique Grimoaldo, secondé par le non moins ignoble Garibaldo. Rodelinda est présentée dans cette production comme une femme digne, fière et combative. Elle défend bec et ongle son honneur, ses convictions et refuse de céder à Grimoaldo. Une femme moderne, qui choisi son destin, et souhaite garder son libre arbitre, son pouvoir décisionnel face à des hommes qui pensent avoir tout pouvoir. Une vision de la femme constamment mise en parallèle avec des œuvres d’art surprenantes qui semblent appartenir au mouvement dadaïste. En effet, les œuvres s’invitent tout au long de l’opéra de façon inattendue: statues, livres, peintures, et objets insolites tel cet énorme éléphant à cornes qui explose littéralement l’un des murs du salon et envahi la pièce. L’art, la culture semblent avoir ici le rôle d’exhausteurs de prise de conscience, de réflexion, d’affirmation de soi, et bousculent les idées reçues, en l’occurrence l’asservissement de la gente féminine par les hommes. Une invitation au réveil des consciences et au combat des idées. Une mise-en-scène en miroir de l’actualité: liberté, épanouissement et instruction des femmes sont  mis gravement en péril à l’heure actuelle. Des femmes prises pour des marionnettes que l’on manipulerait à son gré, tel Grimoaldo qui se met à contrôler à distance les mouvements de Rodelinda et même Bertarido. Par voie de conséquence, l’art est perçu par les tyrans comme un danger (car plus encore que la réflexion, il suscite la contestation) à leur pouvoir et de fait, s’affairent à le détruire. C’est d’ailleurs la vision finale de cet opéra: Garibaldo, vêtu tel Mephistopheles s’apprêtant à brûler une pile immense de livres. 

           Le sujet est plutôt intéressant et colle assez bien au livret, mais ne passionne pas non plus, les actions restent parcimonieuses et le décor unique (bien que toutes les parois disparaissent dans le 3ème acte pour ne laisser que les 2 grandes portes de part et d’autre, tel l’esprit débarrassé de ses œillères) peut finir de lasser. De plus, cet hymne à la création artistique sous toutes ses formes, pourra sembler bien opaque pour une partie du public. Le lien avec le livret est loin d’être évident et pourra laisser perplexe.


          La soprano Anna Dennis incarne une Rodelinda de grande prestance, toujours digne et majestueuse, une classe qui suscite le respect qu’elle parvient à imposer à ses tyrans. Vocalement, elle sait également s’imposer, avec sa voix solide dotée d’une bonne technique, dont on appréciera surtout les piani de toute beauté. Pourtant, nous restons sur notre faim. Sa Rodelinda ne possède pas la grâce, la légèreté, la séduction que l’on pourrait en attendre. Anna Dennis s’était montrée tellement plus convaincante, voire magistrale dans le rôle de la Reine de Saba dans l’oratorio Solomon du même Haendel en Écosse il y a quelques années, que l’on a du mal à cacher une certaine déception. 

          Son assaillant, le tyran Grimoaldo, tout de noir vêtu et le regard charbon, interprété par le ténor Thomas Cooley, peine plus encore à convaincre. Quelque peu dépassé par le rôle, il laisse un goût d’inachevé. Il reste cependant un peu meilleur dans les airs vifs et véhéments que dans les airs lents, à la recherche de piani et mezza voce. Une voix qui se rapproche davantage désormais d’une “voix parlée” plus que lyrique. On se souvient l’avoir découvert avec grand bonheur dans le Messie de Haendel à Strasbourg. Mais voilà, une petite vingtaine d’années est passée par là. Notons que Grimoaldo n’est pas le tyran sanguinaire et sans cœur qui aurait pu coller au propos de cette mise-en-scène mais plutôt un amoureux transi dépité et pitoyable à l’image d’une Armide amoureuse incapable d’achever son Renaud.

          Dans le rôle d’Eduige, sœur de Bertarido, rivale puis alliée de Rodelinda, la mezzo-soprano Franzisca Gottwald s’affirme discrètement sans enthousiasmer. Son timbre séduit, sa technique aussi mais il manque une certaine dose de volume et des airs qui ne lui permettent pas non plus de véritablement briller. 

          Reste trois bons chanteurs heureusement. A commencer par le baryton Julien Van Mellaerts dans le rôle de Garibaldo, à la voix éclatante et insolente de bravoure. Il joue à merveille son personnage vil et sadique et excelle dans la vocalise notamment dans l’air “Tirania”, tellement véhément. Une belle découverte. On croit entendre Giuseppe Maria Boschi, fidèle chanteur de Haendel dont on disait qu’il était toujours en colère.

          Le contre-ténor Owen Willetts confirme au fil de ses prestations qu’il fait partie des très bons contre-ténors actuels (on se souvient notamment de son excellente prestation dans le rôle-titre d’Orlando de Haendel à Wiesbaden) avec la particularité de posséder un timbre de contralto au son moiré, rond et souple. Surprise de la soirée l'un de ses airs diffère de celui que l'on connaît, un nouvel air sur le même texte (certainement écrit plus tard lors d’une reprise avec de nouveaux chanteurs). Un air moins enjoué avec une touche dramatique tout à fait opportune dans cette mise-en-scène.

          Reste la prestation de Christopher Lowrey, qui a fait un véritable triomphe, amplement mérité, dans le rôle de Bertarido. Sa technique et ses capacités vocales sont hors normes et suscitent l’enthousiasme: ses soufflets admirablement réalisés et si poétiques dans l’air “Dove sei” prennent ici les traits d’une prière, ou encore son aplomb et ses vocalises endiablées dans l’air « Vivi, tiranno » dont on se souviendra longtemps. Sans oublier un texte d’une grande expressivité et sensibilité ainsi que de vraies belles trilles. Enfin, signalons que l’air « Confusa si miri » se réinvente ici en véritable air de folie, le personnage est halluciné à l’image du Désespéré de Courbet.


          A noter, une autre surprise au niveau de la partition, l’air de Rodelinda au 3ème acte: après avoir découvert des vêtements maculés de sang appartenant à Bertarido, elle le pense de nouveau mort et s’épanche dans son air déchirant “Se il mio duolo non e si forte” ici remplacé par un air que nous ne connaissions pas « Ahi, perché, giusto ciel » moins douloureux mais extrêmement touchant portant la voix et les objets en lévitation. En effet une immense clé, une épée et quelques autres objets planent au dessus de la scène, montent et descendent en décalé tout en douceur. Serait-ce la menace d’une mort certaine si nous relâchions notre vigilance et laissions le monde aux mains de régimes totalitaires qui nous priveraient de culture, d’instruction, de liberté ? La fragilité de notre monde ?


           Enfin, soulignons la grande forme de l'orchestre du Festival de Göttingen sous la direction impeccable et inventive de Laurence Cummings (qui se permet comme dans Ariodante la veille) de petites fantaisies rythmiques fort appréciables. A noter, que certains instruments comme le hautbois et les flûtes ont pris place dans les loges latérales, un procédé qui permet principalement de mettre véritablement en valeur le hautbois, instrument fétiche de Haendel.