Jakub ORLINSKI, Eroe 2 dialogues, Froville 27.VI.2022

Récital du contre-ténor Jakub ORLINSKI au Festival de Froville, lundi 27 juin 2022 20h

programme : EROE 2, Dialogues


Jakub Jozef ORLINSKI contre-ténor 

Ensemble IL GIARDINO D’AMORE 

Stefan PLEWNIAK - violon solo 

Ludmina PIESTRAK - violon 1 

Reynier GUERRERO - violon 2 

Magdalena CHMIELOWIEC-KOZION - viole 

Katarzyna CICHON - violoncelle 

Lukasz MADEJ - contrebasse 

Etienne GALLETIER - theorbe 

Ewa MROWCA-KOSCIUKIEWICZ - clavecin



          A rather short recital made of well known arias by Vivaldi and Handel, given by the excellent and somewhat revolutionary ensemble Il Giardino d'Amore under the devilish first violin Stefan Plewniak, all surprisingly playing without scores and the Polish countertenor Jakub Orlinski in the divine Roman church of Froville. It seems the artists decided to play and sing their programme in a light and cheerful way (even if this could deprive the arias of their initial feelings) in front of a very enthiusiastic audience.  

Le chouchou du public

        Après son récital Purcell accompagné du seul piano à la Philharmonie de Luxembourg, une combinaison à priori douteuse mais au final gagnante, voilà que le contre-ténor Jakub Orlinski se lance déjà dans une nouvelle tournée avec un nouveau programme en compagnie de l’ensemble Il Giardino d’Amore. Un programme consacré aux deux compositeurs phares du baroque : Vivaldi et Haendel. Et c’est dans le cadre idyllique et intimiste de l’église romane de Froville que ces artistes ont décidé d´y consacrer leur première (signalons au passage que les jardins attenants à l’église sont une pure splendeur). 

          Le concert débute alors que seul le violoncelle est installé sur scène. Le public perplexe, perçoit alors quelques notes provenant de l’arrière de l’autel. Surprise, les musiciens entrent sur scène les uns après les autres : une entrée en matière tout en douceur et un son qui croît progressivement pour atteindre un mouvement d´un concerto de Vivaldi enflammé voire endiablé grâce notamment à la présence charismatique et totalement engagée de Stefan Plewniak, premier violon et chef de l’ensemble. Notez que la plupart de ces musiciens sont également membres de l'orchestre de l´opéra royal de Versailles. 

          Même si le programme est essentiellement composé d’airs que le jeune contre-ténor maîtrise  à la perfection (pour les avoir déjà chantés sur scène), saluons sa prise de risque de chanter tout le concert dépourvu de partition. Une façon de favoriser plus encore la liberté d’expression ainsi qu'une complicité avec les membres de l’orchestre : une invitation aux dialogues (sous-titre de ce concert). Cela lui permet également d´occuper l’espace différemment : en chantant parfois appuyé contre un pilier ou bien en s’asseyant sur les marches qui mènent au chœur. Cette prise de risque, plutôt répandue auprès des chanteurs lors des récitals en solo, l'est beaucoup moins en revanche, de la part des musiciens. En effet, c’est la première fois que nous assistons à un concert servi par un orchestre jouant totalement par cœur. La prouesse est totale et bluffante, rarement l´on aura assisté à une telle témérité maîtrisée. En effet, l´orchestre favorise grandement les contrastes et une interprétation tonique émaillée de fulgurances inattendues. Le public est constamment bousculé, surpris, interloqué, voire désorienté lorsque une pièce vivaldienne se mue en un morceau de musique quasi contemporaine. D’aucuns pourront être troublés voire agacés par tant d’esbroufe, quand d’autres trouverons la performance moderne, jubilatoire, dépoussiérant plus encore l’interprétation baroque. La relève est bien là et Spinosi et son ensemble semblent subitement bien sages en comparaison.

          Jakub, le chouchou du public, d’emblée acquis à sa cause, figure charismatique du paysage baroque, a choisi un programme « de confort », des airs qu’il maîtrise à la perfection, rompus à la scène pour la plupart, des airs héroïques vivaldiens et haendéliens. Rappelons que la première fois que Baroquenews a eu l’opportunité de connaître Jakub Orlinski  sur scène remonte au 20 juin 2014 dans l’opéra Alcina de Haendel au théâtre d’Aix La Chapelle où il interprétait le rôle de Ruggiero, certes encore timidement mais sa notoriété et sa carrière vont rapidement  décoller. Puis, au delà des récitals divers et variés, nous avons pu l’apprécier sur scène dans les rôles de Rinaldo (Francfort puis Glyndebourne où il avait été initialement distribué en Eustazio puis le rôle titre lui avait échu suite à la désaffection de la mezzo-soprano américaine Elizabeth DeShong, lire notre compte-rendu), Unulfo (Rodelinda à Lille), Tolomeo (Karlsruhe, lire notre compte-rendu). 

          Après un premier air ébouriffant de Vivaldi tiré de l'opéra La Fida Ninfa, un air qui vous emporte dans un tourbillon lancinant à vous donner le tournis, avec en contraste sa partie centrale plus apaisée et tendre, Jakub Orlinski poursuit son récital avec l'incontournable et sublimissime "Sovvente il sole", toujours de Vivaldi et tiré de son opéra Andromeda Liberata. Un air qui révèle tout le génie du Prete Rosso avec sa partie de violon solo déchirante et une partie vocale qui ne l'est pas moins. Étonnamment, le contre-ténor polonais favorise une interprétation sobre, sans affect et presque dépourvue d'expressivité. On est loin des bouleversantes interprétations de Von Otter, Stutzmann, Galou, ou Cencic (pour ne citer qu'eux). 

          Les artistes enchaînent avec un air éclatant de virtuosité tiré de Tolomeo de Haendel puis de Giulio Cesare "Se infiorito" qui fait la part belle au dialogue entre le violon et la voix, un duo amoureux entre Cesare et Cleopatra admirablement et facétieusement interprété par ces artistes.

          Certes, le programme met en exergue des figures héroïques d'opéra mais ces personnages sont profondément fait de chair et de sang, toujours mus par l'amour, d'ailleurs le récital aurait pu s'intituler Héros amoureux à l'image de l'air qui suit "Dove sei" dans lequel Bertarido pleure l'absence de sa bien aimée Rodelinda dans une délicate plainte rendue avec poésie par le timbre velouté de Jakub Orlinski.  

          Enfin, la boucle est bouclée avec la déferlante de vocalise de l'air "Venti turbini" tiré de l'opéra Rinaldo ( la voix imitant les vents tourbillonnants). 

          Afin de récompenser un public plus qu'enthousiaste, les interprètes donnent en bis l'air triste, délicat et magique "Sento in seno" de Vivaldi, tout en notes piquées, dans une interprétation légère et volontairement drôle : Jakub Orlinski s'assied sur les marches puis s'aperçoit avec surprise que tout l'orchestre l'a suivi : tous sont assis à même le sol. Enfin, ils reprennent l'air "Se infiorito" dans une version écourtée et réinventée : on assiste alors à une joute amicale violon voix, dans laquelle le violoniste va simuler de se perdre dans la partition jusqu'à dérouter l'air vers le célèbre "A vous dirais-je maman". Des interprètes qui ont décidément choisi de jouer sous le signe de la légèreté et la décontraction voire le facétieux quitte à détourner les airs de leurs sentiments premiers. 

          Globalement la voix de Jakub Orlinski est dotée d'un timbre charmeur comme sa frimousse, ainsi que d'une voix centrale et masculine (avec des notes aigues trop tendues par moment), très flexible à la virtuosité mais qui peut parfois le mettre en difficulté face à un rythme effréné. Des bémols somme toute superflus face à tant de talents.