STRASBOURG Haendel Ariodante 6.XI.2024

Transposition contemporaine plaisante mais loin d’être captivante

Strasbourg, Opéra du Rhin, 6 novembre 2024 à 19h (première)

Ariodante de Georg Friedrich Haendel 

Dramma per musica en trois actes. Livret d’après Ginevra, Principessa di Scozia d’Antonio Salvi. Créé le 8 janvier 1735 au Royal Theatre, Covent Garden, à Londres. Nouvelle production. Coproduction avec le Royal Opera House Covent Garden et l'Opéra de Lausanne.

Chœur de l’Opéra national du Rhin (Hendrik Haas)

Orchestre symphonique de Mulhouse

Direction musicale : Christopher Moulds 

Mise en scène : Jetske Mijnssen 

Décors : Étienne Pluss 

Costumes : Uta Meenen 

Lumières : Fabrice Kebour 

          Un spectacle qui débute par un flash-back (hors livret) imaginé par la metteuse en scène Jetske Mijnssen. Le spectateur se retrouve quelque 15 ans avant le début de l’opéra de Haendel, au cœur d’une maison cossue, dans un salon tout à la fois classieux et sobre, couleur bleue pastel. On assiste alors à des jeux d’enfants : la petite Ginevra, parée d’une robe de mariée, défile fièrement au bras de son amoureux Ariodante. Mais leur "union" suscite la jalousie de Polinesso ainsi que celle de Dalinda. Et les jeunes garçons finissent par se défier à l’épée. Devenus adultes, Dalinda et Polinesso semblent avoir une revanche à prendre. Une transposition dans les années 1960s qui fait la part belle aux costumes et aux coiffes de cette époque. Le roi d’Ecosse n’est ici qu’un vieux monsieur grabataire à l’autorité incontestable, il est en permanence suivi d’un infirmier, Lurcanio. La transposition posée, nous assistons alors aux préparatifs de mariage : les domestiques s’affairent pour que tout soit au cordeau. 

Dans la deuxième partie, la pièce principale sera rétrécie et laissera paraître une multitude d’autres pièces et de portes, le tout présenté astucieusement. Un clin d’œil avec ce qui se pratiquait à l’époque du Caro Sassone : les châssis alignés latéralement pour créer une perspective infinie. 

Nous tenons là les deux bonnes idées de cette mise en scène : avoir su montrer les origines du problème dans la première partie et avoir présenté des décors à l’inspiration baroque dans la seconde. 

Insuffisant pour rendre ce spectacle passionnant car le déroulé reste avare d’actions intéressantes : Ginevra chante son air en arrangeant des fleurs dans des vases, Ariodante chante son air de bravoure en serrant fort la robe de sa Ginevra sur sa poitrine, le roi chante ses vocalises au rythme de ses spasmes, etc… D’aucuns pourront trouver le temps long et le spectacle bien terne. 

Cependant la mise en scène laisse paraître quelques éléments psychologiques d’intérêt (hors livret en tous cas) : Ginevra fricote volontiers avec Polinesso et contredit son air ‘Orride a gl'occhi miei’, Polinesso chante l’air le plus cruel qui soit ‘Se l’inganno sortisce felice’ mais se repent à la fin, Dalinda chante son air vengeur ‘Neghittosi’ mais prend finalement pitié de Polinesso trucidé.

Elle laisse paraître aussi des incohérences ou des éléments peu crédibles qui nous ont gênés : Polinesso, impitoyable puis repentant (aux larmes) puis de nouveau cruel au chevet du patriarche (il lui envoie la fumée de sa cigarette à la figure…), Ginevra mourante à même le sol, les veines entaillées, chante vaillamment son duo d’amour avec Ariodante ‘Bramo aver mille vite’, idem pour le roi, grabataire agonisant mais d’une santé vocale spectaculaire !

Bref un spectacle qui se laisse plutôt bien apprécier mais jamais avec enthousiasme. 

Heureusement, le plateau réuni pour l’occasion relève assez bien le niveau. À commencer par Ginevra et Dalinda, respectivement interprétées par Emöke Barath et Lauranne Oliva. La première, sensuelle mais digne, nous fera virevolter dans des vocalises virtuoses ‘Volati amore‘ puis entamera sa déchirante plainte « Il mio crudel martoro », une mort à petits feux qui nous touche en plein cœur. Pourtant, comment ne pas penser à la phénoménale prestation, dans ce même rôle, de la soprano Kathryn Lewek avec des moyens techniques et émotionnels décuplés (spectacle de Salzbourg avec Cécilia Bartoli). Aucune réserve concernant la seconde. Son soprano léger et fruité nous a conquis. Elle semble bien plus à l’aise et plus affirmée que dans le Stabat Mater de Pergolesi dans lequel nous l’avions découverte il y a quelques mois. Quelle trépidante interprétation de l'air ‘Neghitosi’ au 3e acte. 

Mention spéciale à l’inépuisable Christophe Dumaux, l’incarnation idéale du vilain Polinesso (8e production à son actif !). Chacune de ses interventions représente un uppercut. Sa voix brillante, sonore et incisive fait des merveilles. Et ce timbre si particulier, un brin métallique, au lieu de le desservir, lui donne davantage de fulgurance et de cinglant. 

Les deux autres rôles masculins de la distribution, Lurcanio et le roi d’Ecosse, ont eux aussi été servis par deux superbes voix. Dans le premier cas, le ténor Laurence Kilsby a bravé ses deux airs virtuoses avec panache, mais ce sont les airs lents dans lesquels il s'est véritablement distingué, notamment son duo avec Dalinda, d’une sensibilité et d’une émotion palpables. Dans le second, Alex Rosen offre au roi d'Ecosse sa voix solide, souple et sonore pour une prestation impeccable. 

Enfin l’Ariodante de Adèle Charvet s’est montré à la hauteur des difficultés extrêmes du rôle. Sa virtuosité et ses variations nous ont conquis. La chaleur de son mezzo aussi. Mais son Ariodante manque de projection, et de relief vocal pour pouvoir véritablement profiter de ce panache. Comment nous faire oublier l’Ariodante phénoménal de Joyce DiDonato à Baden Baden en 2011 ou plus récemment celui facile et percutant de la mezzo-soprano Emilie Fons à Göttingen (voir notre compte rendu), pour ne citer qu'elles ?

                                        Ruggero Meli

Ariodante, Adèle Charvet, mezzo-soprano Photos - Klara Beck
Lurcanio : Laurence Kilsby, ténor & Re di Scozia : Alex Rosen, baryton-basse
Ginevra : Emöke Barath, soprano
Ginevra : Emöke Barath, soprano& Ariodante, Adèle Charvet, mezzo-soprano
Les protagonistes lorsqu'ils étaient enfants