Franco FAGIOLI, Innsbruck 12.VIII.2020

INNSBRUCK: Recital Franco FAGIOLI, countertenor

"Cara Sposa", arias by Leonardo VINCI & HANDEL

Il Pomo D'Oro, dir. Zefira VALOVA

Wednesday 12.VIII.2020 6.30pm & 9pm, Tiroler Landestheater, Großes Haus (2 concerts)

A recital full of virtuosity and emotion with a Franco Fagioli at the top of his form !

          La crise sanitaire qui sévit dans le monde donne des formes diverses et variées aux concerts. A Innsbruck, suite aux directives gouvernementales afin d'éviter toute contamination, les organisateurs du festival de musique baroque ont eu l’idée, en accord avec les artistes de décliner le récital du contre-ténor Franco Fagioli en deux récitals d’une heure chacun de façon à répartir les spectateurs et ainsi respecter le placement alterné. Un casse-tête pour les organisateurs, contraints de contacter tous les spectateurs qui avaient déjà réservé en leur proposant un choix d'horaire 18h30 ou 21h et tenter de les placer selon leur désir et les possibilités de la salle, et les rembourser partiellement puisque le prix du concert a diminué proportionnellement à la durée du récital. Une entreprise certes complexe mais nécessaire et salutaire pour maintenir la protection du public et la survie du festival, alors que l’on ne compte plus les annulations de concerts partout dans le monde. Un challenge admirablement relevé par les organisateurs, sans pour autant pouvoir éviter une ambiance quelque peu anxiogène: entrée et sortie de salle avec port du masque, porte et toilettes attitrées, mais dans le même temps rassurante, avec notamment un petit film introductif ludique rappelant les bons usages au début de chaque concert

          C'est au récital de l'un des meilleurs contre-ténors de sa génération auquel le public a été convié en ce mercredi 12 août 2020 en compagnie de l’orchestre baroque Il Pomo d’Oro dans un programme intitulé "Cara Sposa". Les connaisseurs n'auront pas manqué de faire le lien avec l'air tiré de Rinaldo de Handel. Un autre récital Handel ? Pas complètement puisque 3 airs sur 4 appartiennent au compositeur italien Leonardo Vinci, un récital faisant en partie suite à la sortie récente de l'enregistrement Veni, vedi, Vinci.

          Une entrée sur "la pointe des pieds": une mise-en-bouche feutrée, pigmentée de délicieuses dissonances, au point de se demander s’il n’y a pas eu erreur sur le concert. On consulte compulsivement le programme pour s’assurer qu’il ne s’agit pas de musique contemporaine: un concerto du compositeur Francesco Durante, peut-on y lire, qui alterne douceur, virtuosité, âpreté, rugosité. Un concerto qui fourmille d’idées musicales contrastées et qui bouscule les habitudes sonores,  caressé ou « malmené » par le violon sensible De Zefira Valova, premier violon et l'ensemble Il Pomo d'Oro qui en offrent une interprétation magnifiée. Le concerto de Handel, interprété plus tard dans le programme, n'appelera pas les mêmes qualités et suscitera même une forme d'ennui ! 

          Les 4 airs du programme, choisis avec soin dans une gradation émotionnelle et de difficultés croissantes, sont savamment distillés par le contre-ténor Franco Fagioli qui ne semble rien laisser au hasard: chaque geste, chaque son semble avoir été préparé, calculé et rendu le plus naturellement du monde, subtil entremêlement de professionnalisme à l’extrême et d’une touchante mais réelle sincérité. A l’image d’une Bartoli, dont l'artiste semble avoir repris gestuelle et technique vocale, au point qu’on croirait la voir et l’entendre (cette même façon de vocaliser si particulière à coups de glottes, à communiquer avec l’orchestre ou bien lui donner des impulsions), à chanter certaines cadences à l'identique, etc...). Un « mimétisme » que l'artiste s’est approprié avec intelligence, et qui sonnerait faux et artificiel dans bien d’autres gosiers. 

          Alors, on se régale des roucoulades mélancoliques du rossignol: "Quel usignolo" (Gismondo), on admire les sauts facétieux voire périlleux de l’air "Scherzo dell’onda" (Il Médo), dans lequel le contre-ténor se joue des vocalises et des notes extrêmes quasi inhumaines et contrastées à souhait, ainsi que des phrases haletées, pour rendre à merveille le propos de l'air et cette difficulté à reprendre son souffle.  On reste également fasciné par les pyrotechnies jubilatoires de l’air "Sento brillar" (Il Pastor Fido) de Handel pour lequel l'artiste est entré en scène tel un lion libéré de sa captivité, impatient d’en découdre et combattif face à une Covid qui aurait voulu tout détruire ! A noter l'accompagnement, fort réussi, des cordes crépitantes illustrant les étincelles de l'espoir. 

          Cependant, ce récital hautement virtuose, a laissé place à un moment d’ineffable poésie dans une plainte douloureuse qui à mis la salle en lévitation: "Gelido in ogni vena" (Siroe), un air déchirant à vous tirer les larmes. Douces vocalises interprétées dans une souffrance presque jouissive. Un air chanté avec le cœur et qui a touché celui du public.

          Au final, on reste fasciné par les qualités multiples de cet artiste hors normes: un souffle démesuré, des dons de comédien exceptionnels qui lui permettent une gestuelle et une expressivité des sentiments d’une grande crédibilité, des cadences et notes vertigineuses, une virtuosité rompue à une technique impeccable toujours au service de l'expressivité, des da capo audacieux et sensibles, des notes barytonnées violemment contrastées au suraiguë de la voix, cette façon de pousser les notes à l’extrême pour aller titiller au plus profond de l’émotion, sans parler d'un timbre rond et masculin. A noter que la diction s'est nettement améliorée et les contorsions du visage se sont atténuées au fil des années.

          Certains ne manqueront pas de dire que l'artiste en fait des tonnes: tremblements, yeux mouillés, chant délibérément fébrile, spasmes... L’éternelle question du dosage se pose alors, pour certains c’est trop pour d’autres c’est crédible...

          Pour clore ce récital, le contre-ténor argentin offre deux bis au public enthousiaste. L’un longtemps rêvé, depuis la production mémorable d’Artaserse et son trépidant « Vo solcando » privé de son da capo. L'autre, totalement improvisé alors que tous avaient quitté la scène et que l’on pensait le concert définitivement terminé: le très touchant "Non ti scordar di me", une façon de quitter ce concert comme il avait commencé: dans une atmosphère douce-amère. 

pictures © Innsbrucker Festwochen/Veronika Lercher