Toulouse, Opéra National du Capitole le 28 février 2025 à 19h
Georg Friedrich Haendel : Giulio Cesare, opéra en trois actes sur un livret de Nicola Francesco Haym, d´après Giacomo Francesco Bussani.
Giulio Cesare : Rose Naggar-Tremblay, mezzo-soprano
Cleopatra : Claudia Pavone, soprano
Sesto : Key'mon W. Murrah, contre-ténor
Cornelia : Irina Sherazadishvili, mezzo-soprano
Tolomeo : Nils Wanderer, contre-ténor
Nireno : William Shelton, contre-ténor
Achilla : Joan Martín-Royo, baryton-basse
Curio : Adrien Fournaison, baryton-basse
Les Talens Lyriques
Christophe Rousset, Direction, Clavecin
Damiano Michieletto, Mise en scène
Paolo Fantin, Décors
Agostino Cavalca, Costumes
Alessandro Carletti, Lumières
Thomas Wilhelm, Chorégraphie
La mise en scène de Damiano Michieletto fascine toujours autant (après Paris et Rome) avec son esthétique léchée d’une infinie élégance et chargée de symboles funestes. Les personnages et la mort (incarnée par la présence d’un Pompeo omniprésent) forment un duo inséparable tel la vie et la mort. La vie ne semble tenir qu’à un fil et le spectateur peut ressentir, tout du long, son extrême fragilité. Les parques déploient leurs fils sans que l’on s’en aperçoive et sont prêtes à briser les destins des personnages à tout instant, les têtes de carcasses animales s’invitent sur scène, les cendres de l’urne de Pompeo sont subitement démesurément déversées à la surprise générale depuis le plafond, les fils qui semblent piéger toute la scène et qui forment une toile d’araignée géante finissent par emprisonner Cesare à la fin de la première partie du spectacle. La vision certes bien macabre du chef-d’œuvre de Haendel combinée à une esthétique raffinée tend finalement à le magnifier.
La distribution qui relève presque uniquement d’inconnus va étonnamment se révéler d’un très bon niveau avec notamment le Sesto d’exception incarné par le contre-ténor Key’mon Murrah, un jeune et talentueux américain que BAROQUE NEWS suit depuis quelques années mais qui reste encore injustement méconnu du grand public. Son registre de contralto cache puis révèle celui de sopraniste. L’étendue de sa voix est immense, ce qui lui permet de faire des cadences vertigineuses comme dans l’air ‘L’angue offeso’. De plus, la délicatesse et la fragilité de son interprétation dans l’air ‘Cara speme’ nous a particulièrement ému. On l’imagine facilement dans le rôle titre dans un proche avenir. Talent à suivre !
Autre talent, la fascinante contralto Irina Sherazadishvili dans le rôle poignant de Cornelia nous a comblé de son timbre chaud et charnu. Là encore une voix longue avec des cadences très hautes prises avec une mezza voce de toute beauté. On succombe au velours de cette voix que l’on souhaite très vite retrouver.
Dommage que la phénoménale contralto Elizabeth DeShong ait annulé sa prise de rôle de Cesare. En effet, connaissant ses capacités vocales dignes d’une Marilyn Horne combinée à une Ewa Podles (découverte fracassante en Juno dans l’opéra Semele avec The English Concert), l’attente était grande tout comme la déception. Elle avait déjà annulé son Rinaldo à Glyndebourne il y a quelques années. Difficile de comprendre sa stratégie de carrière en annulant des rôles de la plus grande importance mais en conservant celui “inintéressant” de Medoro (récemment Orlando au théâtre du Châtelet, voir notre compte rendu). Heureusement, la remplaçante Rose Naggar-Tremblay n’a pas démérité pour autant et a fait montre d’un panache et d’une prestance assez bluffante sans toutefois véritablement briller. Là encore une chanteuse à la tessiture longue, tout à fait crédible dans le rôle.
Alors que nous avions préalablement vu le classieux Tolomeo de Carlo Vistoli dans cette même mise en scène, la version que nous propose le contre-ténor Nils Wanderer surprend en faisant le choix d’une composition bien plus sadique et libidineuse du personnage et donc moins raffinée. Un choix tout aussi payant et impressionnant qui met en valeur le panache vocal de l’artiste.
Après le retrait d’Edwin Fardini, le rôle d’Achilla incombe finalement à Joan Martin-Royo, qui donne pleine satisfaction : beau timbre de baryton-basse et interprétation convaincante.
William Shelton joue et chante un Nireno un brin intellectuel et élégant. Son interprétation de l’air ‘Chi perde un momento’ a fait mouche même si l’on a connu des Nireno bien plus débridés.
Reste le cas de la soprano Claudia Pavone dans le rôle de Cleopatra, peut-être le point faible de cette distribution, surtout lorsque l’on repense à la prestation lumineuse de Sabine Devieilhe. La dureté de son timbre et le manque de finesse ont notamment ruiné son ‘Se pietà di me non senti’. A part de belles et éclatantes cadences aiguës, on ne peut pas dire que l’on tienne là une Cleopatra de renom. Un style et une voix visiblement rompus à des répertoires plus tardifs.
Christophe Rousset et son orchestre Les Talens Lyriques, familiers de l’oeuvre, ont ajouté leur touche de génie à ce spectacle.
Ruggero Meli