WEIR Blond Eckbert & HAENDEL Acis and Galatea Potsdam 19.XI.2023
POTSDAM SCHLOSSTHEATER IM NEUEN PALAIS POTSDAM-SANSSOUCI, le dimanche 19 novembre 2023 à 16h (première 18.XI.2023. 7 représentations jusqu'au 28.XI.2023)
BLOND ECKBERT opéra en deux actes de Judith Weir sur un livret anglais adapté de l’oeuvre de Ludwig Tieck ‘Der Blonde Eckbert’.
ACIS UND GALATEA, pastorale en deux parties de Georg Friedrich Haendel, réorchestrée par Wolfgang Amadeus Mozart, sur un livret de Gottfried van Swieten, en langue allemande.
ECKBERT Dominik Köninger
BERTHE Heather Lowe
WALTHER Oliver Johnston
BIRD Aoife Miskelly
GALATEA Katharina Ruckgaber
ACIS Sam Furness
DAMON Oliver Johnston
POLYPHEM Michael Mofidian
ORCHESTER Kammerakademie Potsdam
CEMBALO Rita Herzog
MUSIKALISCHE LEITUNG Justin Doyle
REGIE Joe Austin
BÜHNE & KOSTÜME Anna Orton
CHOREOGRAFIE Emma Woods
DRAMATURGIE Carola Gerbert
En coproduction avec l'Académie de Chambre de Potsdam
Deux contes que tout oppose mais qui finissent par fusionner dans une mise en scène captivante
Une atmosphère pesante, une musique oppressante par ses fortes dissonances qui claquent sous l’effet des cuivres (clarinette et trompette extrêmement sollicitées) mais aussi des percussions.
Blond Eckbert est un conte fantastique qui relate l’histoire de Berthe, la femme d’Eckbert : suite à une enfance malheureuse et des parents désargentés, elle décide de partir et finit par rencontrer une vieille dame qui possède un chien et un oiseau magique qui délivre des pierres précieuses. Un jour elle décide de s’enfuir et emporte avec elle l’oiseau et les pierres. Prise de culpabilité, elle relâche l’oiseau. Elle et Eckbert racontent l’histoire à un inconnu nommé Walther. Ce dernier, mystérieux voire maléfique, donne le nom du chien alors que Berthe ne s’en souvenait plus ! Le couple est mortifié par cette menace…
La mise en scène de Joe Austin, s’attache à montrer des personnages piégés dans leur vie, leur vécu. Le symbole de l’enfermement, omniprésent, se matérialise notamment au travers d’une boule de verre qui semble recouvrir le monde, de la cage et de l’oiseau prisonnier ainsi que d’une vitrine centrale dont l’espace réduit, au centre de la scène, voit se jouer tout le drame. A l’extérieur de cet espace, le personnage de l’oiseau raconte et commente les événements qui se jouent dans la vitrine: une mise en abîme du théâtre dans le théâtre. Une prison qui se décline à l’infini par le biais de miroirs à l’arrière de la vitrine. De plus, des personnages ailés, qui s’apparentent à des anges ou des religieux, contribuent également à cette atmosphère pesante en venant culpabiliser Eckbart.
Ainsi, tous ces éléments contribuent à mettre le public sous une tension permanente. Plongé
dans une pénombre inquiétante il suit le drame avec intérêt et une certaine appréhension.
Le contraste avec la seconde partie, la pastorale délicieusement naïve de Georg Friedrich Haendel, est saisissant. Une ambiance festive, des couleurs éclatantes, et des personnages radieux. Mais le public va vite réaliser que tout cet artifice n’est qu’un leurre. D’emblée, Galatea apparaît tourmentée. Certes, elle pleure l’absence de son Acis mais n’exprime- t-elle pas déjà une prémonition du drame qui va se produire ? En effet, Acis et elle sont follement épris l’un de l’autre. Mais le cyclope Polyphème a jeté son dévolu sur Galatea qui se refuse à lui. Pris d’une jalousie rageuse, il écrasera Acis à l’aide d’un rocher.
Tout comme dans l’opéra Blond Eckbert, les éléments de l’enfermement sont aussi mis en scène : Galatea est envahie par les cages d’oiseaux, elle-même piégée dans cette « boîte » centrale qu’est la vitrine. Les deux œuvres que tout semble opposer, se rejoignent tout à coup. Deux contes qui s’achèvent par la mort. Dans ce spectacle, Acis s’effondre sous les coups des éclats de miroir que le cyclope Polyphème lui assène et Galatea est incapable de croire à son décès et rit de la bonne blague que l’on vient de lui faire. Ce n’est guère que dans le chœur final, extrêmement festif, qu’elle réalisera que son amant a bel et bien été assassiné. Elle tente de crier, d’appeler à l’aide, mais tous sont désormais indifférents. Le contraste, saisissant, apporte une émotion particulière à la scène. La vie s’arrête pour l’un et quasiment pour elle aussi mais continue presqu’injustement pour les autres.
Une mise en scène fort réussie qui place le spectateur en tension dans une atmosphère oppressante pour l’un et dans une atmosphère faussement festive pour l’autre.
Les deux œuvres s’opposent, se font miroir et fusionnent.
Côté solistes, s’agissant de l’opéra Blond Eckbert, on saluera la prestation des deux sopranos dans les rôles de Berthe et de l’oiseau, respectivement chantés par Heather Lowe, passionnante d’intensité et Aoife Miskelly, lumineuse et bien chantante. Dans le rôle de l’inquiétant Walther (ainsi que de Hugo et de la vieille dame) le ténor Oliver Johnston se révèle bien convaincant. Dominik Köninger, quant à lui, sans démériter, affiche une certaine dureté dans la voix.
S’agissant de la pastorale Acis und Galatea (version allemande, réorchestrée par Mozart) en revanche, c’est le baryton basse Michael Mofidian qui tire le mieux son épingle du jeu. Un jeu à la séduction toute lascive, absolument irrésistible. Ses deux airs, percutants, ont mis le public en effervescence. Charmante et délicate Galatea de Katharina Ruckgaber même si quelques stridences sont à déplorer. Damon, chanté par le solide ténor d’Oliver Johnston, s’acquitte avec brio des longues vocalises de l’air ‘Schäfer’, mais l’on aurait aimé davantage de délicatesse et de raffinement. Un commentaire qui s’applique surtout au ténor Sam Furness, beaucoup trop en force, qui semble chanter Wagner plutôt que Haendel. Ceci lui donne au moins l’avantage de conférer une grande virilité à son Acis et d’en imposer dans l’air virtuose ‘Die Liebe ruft’ dont le da capo est passé à la moulinette.
Enfin, la réussite de ce spectacle revenait également au travail rigoureux du chef Justin Doyle à la tête de la Kammerakademie Potsdam, impeccable, sans oublier les très bons solistes venus contribuer aux parties chorales.
A noter que ce spectacle bénéficiait d’un cadre des plus séduisants : le délicieux et intimiste théâtre du château de Potsdam Sanssouci. L’an prochain, à la même période, on annonce déjà l’opéra Armida de Joseph Haydn sous la direction de l’excellent Richard Egarr.
Ruggero Meli