Handel GIULIO CESARE, Amsterdam 22.I.2023

Georg Friedrich Händel (1685-1759) : GIULIO CESARE 

Opéra italien en 3 actes sur un livret de Nicola Haym 


Giulio Cesare  Christophe Dumaux, contre-ténor

Curio  Georgiy Derbas-Richter, baritone

Cornelia  Teresa Iervolino, contralto

Sesto  Cecilia Molinari, mezzo-soprano

Cleopatra  Julie Fuchs, soprano

Tolomeo  Cameron Shahbazi, contre-ténor

Achilla  Frederik Bergman, baryton-basse

Nireno  Jake Ingbar, contre-ténor


Dutch National Opera Studio 

Le Concert d’Astrée 

Direction musicale: Emmanuelle Haïm 

Stage direction Calixto Bieito 

Set design  Rebecca Ringst 

Costume design  Ingo Krügler 

Lighting design  Michael Bauer 

Video  Sarah Derendinger 

Dramaturgy  Bettina Auer 

Co-production with the Gran Teatre del Liceu (Barcelona)

  Déroutante production à Amsterdam

          Connaître l’opéra Giulio Cesare de Haendel est la condition sinequanone pour appréhender la nouvelle production de Calixto Bieito à Amsterdam. Difficile pour le spectateur de définir le lieu, les personnages, l’action ou le drame qui est supposé se jouer sur scène. Le metteur en scène semble se plaire à brouiller l’intrigue et l’identité des personnages. Il nous raconte une autre histoire et dépeint un monde superficiel, oisif voire vulgaire, dans lequel les personnages ne savent s’exprimer que par le biais de l’invective (tel des jeunes de banlieue en jogging et basquettes qui se repoussent avec dédain), la violence, le sexe, la provocation, la confrontation ou bien tout l’inverse. En effet, les personnages affichent parfois une indifférence totale face aux événements (extrêmes). Certainement une manière de dédramatiser ce qui dérange, de neutraliser ce qui fait mal : la souffrance du deuil, de l’injustice, des sentiments non réciproques ou les frustrations de pouvoir, d’actions contrecarrées. Le spectateur assiste à la confrontation de personnages puérils, superficiels et à la dérive, qui se cherchent, qui ne savent pas comment aimer ou tout bonnement s’exprimer et se comporter avec les autres. Une manière peut-être pour le metteur en scène de dénoncer l’état d’une société contemporaine et d’une jeunesse désorientée, décadente, à la recherche de sens. Cette satyre sociale donne lieu alors à un festival d´excès : crachats, coups dans les testicules, crêpage de chignons, de violence morbide. Cornelia se frotte la poitrine avec les lambeaux de chair de son défunt Pompeo. Achilla ne sait pas comment fonctionner face à Cornelia qu’il désire, il passe de la tendresse au sadisme et quand ni l’un ni l’autre ne semble fonctionner, il s’en veut et s’en prend à lui même. La séduction de Cleopatra passe essentiellement par son côté aguicheuse voire sexuel (la cravate symbole phallique tellement galvaudé) tout comme Cesare qui se frotte le voile de sa bien aimée sur le sexe en y administrant des coups de bassin. Comme nous le disions, l’autre solution que les personnages pensent trouver réside dans une pseudo indifférence en dédramatisant les événements les plus sordides: Cornelia se lime les ongles après qu'elle et Sesto aient trucidé Tolomeo, ou mange sa glace à l’aide du doigt et finit par lécher le pot face à d'autres atrocités. 

          Le metteur en scène pousse le bouchon plus loin encore en s’évertuant à favoriser des incohérences de façon tout à fait intentionnelle. Cleopatra, quasi mourante, les veines tranchées, chante l’air le plus brillant et virtuose de la partition "Da tempeste". Tolomeo se laisse humilier sans même réagir., etc...

          Afin de renforcer cet état de claustration, ces êtres 'endommagés', en manque d'éducation, incapables de vivre avec les autres, de se sortir de leur médiocre condition, évoluent dans un décor constitué d’une énorme cage sur plateau tournant qui occupe quasiment toute la scène et qui semble même les écraser parfois (un côté est surélevé). Cette structure métallique a l’avantage de diffuser des décors divers et variés par le biais de projections plus ou moins fascinantes (un désert flamboyant, une mer aux vagues généreuses, un ciel nuageux en mouvement) et aux couleurs outrageusement 'flashy' parfois (énorme crème glacée dégoulinante). Nous sommes bien dans l'ère des écrans et dans une société hyper connectée qui contribue à l'indigence intellectuelle.

          Seulement ce ne sont pas uniquement les personnages qui sont en déroute, les spectateurs le sont tout autant : ils ne s’attendaient certainement pas à une lecture si éloignée de l’opéra de Haendel et de son livret.  

          Fort heureusement, la distribution réunissait une pléiade de chanteurs talentueux.  A commencer par l’excellent contre-ténor Christophe Dumaux* qui enfin, avait la possibilité de faire montre de sa bravoure et de sa sensibilité dans le rôle-titre (alors qu’il semblait à jamais cantonné à celui de Tolomeo). Les vocalises fusent, l’aplomb impressionne, l'expressivité percute et le jeu d’acteur s´avère savoureux. Dommage qu'il faille se rendre à l'étranger pour profiter d'un tel talent, injustement boudé par les directeurs de salle français. Incompréhensible. 

          A ses côtés la Cleopatra de Julie Fuchs, éminemment sexy, et bien chantante lui rend aisément l’appareil. Son « Da t’empesta » et son « Se pietà » ont fait fort impression, l’un virtuose et brillant, parsemé de généreuses trilles, l ’autre déchirant au point de révéler des talents de tragédienne. Elle déploie, par ailleurs, de belles notes piquées et des variations audacieuses dans le da capo de l’air « Tutto puo donna vezzosa ». Un délice.          

          Le contre-ténor Cameron Shahbazi fait de son Telemeo un personnage viril, sadique et efféminé comme il se doit. Le timbre, superbe, rond et sombre à la fois, côtoie des notes désagréables dans les changements de registre. Un jeu de voix dont il tire partie pour caractériser un personnage contrasté.             

          La mezzo-soprano Cecilia Molinari fait de son Sesto un personnage juvénile et vengeur à souhait. Elle s’acquitte honorablement du rôle, sans déclencher d’enthousiasme cependant. Peut-être etait-elle bridée par la production ? Son Ariodante au Sao Carlos de Lisbonne nous avait davantage séduit. Voir notre compte rendu.    

          La Cornelia de Teresa Iervolino, nous a particulièrement touchée : émouvante, profonde avec ce magnifique timbre de contralto mais contredite par une mise en scène qui s´évertuait à nous empêcher de nous en émouvoir. Son duo avec son fils Sesto « Son nata a lagrimar » était fort réussi. Les deux timbres se mêlant admirablement bien.         

          Excellente interprétation du rôle d’Achilla  par le baryton-basse Frederik Bergman, plein de mordant et d’éclat dans ce rôle de tyran amoureux. Malgré des capacités vocale certaines, il choisit pourtant la facilité dans le da capo de l’air « Dal fulgor di questa spada » en faisant table-rase de toute difficulté.             

          La surprise est venue du petit rôle de Nireno admirablement interprété par le contre-ténor Jake Ingbar dont on se souviendra longtemps de sa brillante prestation dans l’air « Chi perde un momento ». Roulades et jeu de claquettes en prime.            

          L’orchestre quant à lui, jouit d’un son séduisant et d’une direction théâtrale et élaborée sous la baguette d´une Emmanuelle Haïm inspirée qui n’est pas à son premier Cesare (on se souvient de ses prestations à l'opera de Lille ainsi qu'au Palais Garnier). Pourtant après avoir entendu l’interprétation tellement hardie, intelligente et innovante de Georg Petrou (voir notre compte rendu de Göttingen) ou bien la récente Alcina de Florence sous la direction flamboyante et audacieuse de Gianluca Capuano (qui ouvre une nouvelle voie à l’interprétation baroque), la cheffe française paraît bien sage.             

          Une production déroutante et plutôt décevante qui n’apporte pas grand chose au drame du Caro Sassone. Fort heureusement, la distribution valait le déplacement et aurait mérité une belle version de concert. 

* Christophe Dumaux a eu l'occasion de chanter le rôle titre de l'opéra Giulio Cesare à Reims et à Versailles en 2011 en compagnie de la Cleopatra de Sonya Yoncheva et sous la baguette de Jean-Claude Malgoire, dans une production du metteur en scène Christian Schiaretti