Lucerne, Vivaldi Giustino 02.V.2024

Giustino et son divin pasaltérion

Théâtre de Lucerne, jeudi 02 mai 2024 à 19h30, soir de première

Antonio VIVALDI : GIUSTINO

Dramma per musica en trois actes sur un livret d’Antonio Maria Lucchini.

Giustino – Marcela Rahal 

Arianna – Eyrún Unnarsdóttir 

Anastasio – Marta Herman 

Leocasta – Tania Lorenzo Castro 

Amanzio – Solenn' Lavanant Linke 

Vitaliano – Younggi Moses Do 

Andronico – Josy Santos Polidarte (Einspielung Gesang) – Sascha Emanuel Kramer 

Polidarte | Fortuna – Statisterie Luzerner Theater

Musikalische Leitung und Cembalo – Jörg Halubek 

Regie – Markus Dietz 

Bühne – Ines Nadler 

Kostüme – Mayke Hegger 

Licht – Ivo Schnider 

Video – Rebecca Stofer 

Choreografie – Phoebe Jewitt 

Dramaturgie – Johanna Mangold 

Musikalische Assistenz und Cembalo – Giulio de Nardo

          Un mariage particulièrement festif vire exsangue suite à une déclaration de guerre. Voilà comment commence le spectacle imaginé par Markus Dietz et son équipe. La couleur blanche vire au rouge et la perfection d’un décor immaculé subit une destruction progressive. Le tout dans un imbroglio politico-amoureux plein de rebondissements. Le spectateur suit avec une certaine aisance les péripéties qui sont assez fidèles au livret de l'opéra de Vivaldi. Une fois n’est pas coutume, les protagonistes ne sont jamais livrés à eux mêmes et le spectateur profite d’une belle direction d’acteurs. Par ailleurs, la vidéo, comme dans la plupart des mises en scène actuellement, est omniprésente et pas toujours de la plus belle des manières comme lors DU moment magique de l’opéra : l’air de Giustino ´Ho nel petto’ accompagné du divin psaltérion qui se suffisait à lui-même. Mais le metteur en scène a jugé bon d’y ajouter une vidéo géante mais surtout gênante pour ne pas dire vulgaire, dans laquelle on voit en très gros plan le visage de Giustino en train de se noyer en soufflant de grosses bulles d’air de son nez. La peur du vide et de la simplicité : il faut remplir à tout prix. En revanche, l’arbre et ses magnifiques fleurs roses qui recouvrent toute la scène sont particulièrement séduisants. Quant aux chorégraphies, elles n’étaient pas toujours concluantes et certaines frisaient ‘le grand n’importe quoi’.

Une mention spéciale pour la diversité des costumes festifs et décalés. Mais pourquoi l’uniforme orange américain pour les prisonniers ? 

Signalons également que certaines scènes, comme celle du sommeil, étaient particulièrement réussies : une atmosphère évanescente baignée de fumigènes. 

Bref, à part quelques bémols ci et là, le spectacle remporte l’adhésion surtout si on le compare aux deux spectacles précédents, en ce même lieu : Il Trionfo del Tempo e del Disinganno (plutôt désastreux) il y a deux ans et Alcina l’an passé (au résultat mitigé). Avec ce Giustino, on est nettement monté en gamme. Une qualité que l’on retrouve aussi auprès des chanteurs, qui en ce jour de première, ont fait un travail remarquable. A commencer par le superbe contralto de Marcela Rahal : la noirceur d’un timbre de velours. L’an passé, elle s’était déjà distinguée dans le rôle de Bradamante dans l’opéra Alcina de Haendel ici même. Pas étonnant que cette artiste ait remporté le concours de chant Vinas en janvier 2024. On retiendra surtout son air divin magnifié par un psaltérion particulièrement délicat ou l’air émaillé de rires, d’ailleurs étonnamment repris par le chœur : très bonne initiative même si ce n’était pas prévu par le Prete Rosso. L’effet en est saisissant et décuple l´impitoyable cruauté infligée à Vitaliano. L’autre grand rôle masculin, Anastasio, était interprété par le séduisant mezzo-soprano de Marta Herman, qui nous a conquis notamment dans les airs célèbres ‘Sento in seno’ et ‘Vedro con mio diletto’.

Notons que la distribution est constituée essentiellement de voix féminines. Distribuer un contre-ténor aurait donné un peu plus de relief niveau tessitures et peut-être évité d’éventuelles confusions. La distribution initiale de 1724 comptait pas moins de sept castrats ! 

Rappelons que l’arrêté papal bannissait les femmes de toute pratique scénique ou même en concert dans la Cité Eternelle. 

Les deux autres ‘travestis’ de la distribution ne sont pas piqués des vers. Avec une forte présence scénique et une voix pas toujours très séduisante, Josy Santos dans le rôle d’Andronico, parvient à faire un show incroyable : elle joue un rôle d’homme déguisé en femme ! Sa détermination et son implication scénique et vocale ont fait mouche et lui permettent de mettre au premier plan son rôle secondaire. Tandis que Solenn’ Lavanant Linke dans le rôle d’Amanzio incarne dès le début du spectacle la noirceur d’un personnage maléfique qui représentera une menace permanente. Il faudra attendre la fin du spectacle pour entendre ses deux seuls airs, bizarrement chantés l’un à la suite de l’autre. Ce rôle lui convient davantage que celui, plus ambitieux, de Ruggiero de l’opéra Alcina l’an passé.

          Dans les rôles féminins à proprement parler, Arianna et Leocasta, nous retrouvons deux chanteuses qui s’étaient déjà distinguées dans l’opéra Alcina, respectivement Eyrun Unnarsdottir et Tania Lorenzo Castro. Cette dernière n’avait que trois airs à chanter, un peu frustrant au vu de ses grandes qualités vocales. L’artiste allie la brillance de divines notes aiguës à la souplesse d’une voix claire et limpide qui a pris toute sa dimension dans un air déchirant à vous fait tirer les larmes : ‘Senza l’amato ben’. On regrette alors que son fameux air ‘Sventurata navicella’ ait été tronqué. Quant à Eyrun Unnarsdottir, même si elle convainc dans ce rôle d’innocente et fidèle amante qui va provoquer, malgré elle, l’ire et la jalousie de son Anastasio, certaines notes aiguës nous ont semblé un brin trop tendues tandis que l’air ‘Per noi soave e bella’ n’a pas révélé tout son potentiel. Un air qui fonctionne sur l’opposition et l’alternance des notes graves et aiguës. Difficile alors, de ne pas penser à la prestation magistrale qu’en faisait Kateryna Kasper à Berlin l’an passé sous la direction de René Jacobs.

          Enfin Younggi Moses Do, dans le rôle de Vitaliano, nous a gratifié de son bel instrument de ténor avec notamment d’impressionnantes cadences.

          La réussite de ce spectacle revient également à l’implication des divers ‘petits’ solistes ainsi qu’au chœur de l’opéra de Lucerne mais surtout au Luzerner Sinfonieorchester et le chef invité Jörg Halubek, spécialiste de musique baroque. Ensemble, ils ont fait un travail remarquable. Belle initiative que d’avoir placé les cuivres au volume généreux au balcon. 

          Et quelle merveilleuse idée d’avoir repris l’air magique ‘Ho nel petto’ au psaltérion pour clôturer l’opéra. On le savoure avec un bonheur décuplé. Et l’on se met à rêver de voir davantage de Vivaldi sur scène. Bravo à l’opéra de Lucerne d’avoir osé cette programmation qui aurait pu rebuter un public habitué aux standards. 

                                                                    

Ruggero Meli

photos © Ingo Hoehm

scène de Giustino

scène de Giustino

Giustino : Marcela Rahal

Leocasta : Tania Lorenzo Castro 

Arianna : Eyrún Unnarsdóttir 

Vitaliano :  Younggi Moses Do