Munich : Haendel Alcina 16.II.2025
Des danseurs envahissants et un spectacle brouillon pour une Alcina heureusement bien chantée
Munich, Staatstheater am Gärtnerplatz, dimanche 16.II.2025 à 18h.
Georg Friedrich Haendel ALCINA, opéra en trois actes HWV 31
Livret anonyme adapté de celui de l'opéra L'Isola d'Alcina composé par Riccardo Broschi, d'après le texte de l'Orlando Furioso de Ludovico Ariosto. Première représentation en avril 1735 au Covent Garden de Londres.
Jennifer O'Loughlin, Alcina
Sophie Rennert, Ruggiero
Andreja Zidaric, Morgana
Monika Jägerová, Bradamante
Gyula Rab, Oronte
Timos Sirlantzis, Melisso
Mina Yu, Oberto
Orchester des Staatstheaters am Gärtnerplatz
Rubén Dubrovsky, Direction
Magdalena Fuchsberger, Mise en scène
Stephan Mannteuffel, Décors
Pascal Seibicke, Costumes
Michael Heidinger, Lumières
Christoph Wagner-Trenkwitz, Dramaturgie
Karl Alfred Schreiner, Chorégraphie
Le spectacle imaginé par la metteuse en scène Magdalena Fuchsberger commence par la fin avec le meurtre d’Alcina, exécutée par arme à feu. Scène de crime oblige, un ruban de signalisation jaune et noir circonscrit la scène. L’enquête peut démarrer et le spectateur est invité à reprendre les faits depuis le début pour comprendre comment les personnages ont pu en arriver là. L’idée semblait intéressante mais elle ne sera pas suivie de tout le spectacle !
Bradamante et Melisso (en drag queen) arrivent à un arrêt de bus (surmonté d’une boule à facette) près d’une maison de verre qui laisse apparaître une série d’escaliers. Un monticule de pierres au centre de la scène semble symboliser l'île d’Alcina. Un drôle de décor qui nous laisse perplexe, tout comme des costumes sans cohérence aucune (robe métallique de star pour Alcina recouverte d’une banale veste rougeâtre). Pire encore, une troupe de danseurs s’empare de la scène dès le début du spectacle et ne la quittera plus. Des danses pas vraiment esthétiques pour la plupart : des chorégraphies douteuses mais surtout omniprésentes et envahissantes même dans les moments les plus intimes qui parlent de solitude, d’abandon, de tristesse et de désespoir, comme dans l'air ‘Ah, mio cor’ pollué par la chorégraphie, laide, d’une vingtaine de blondes clonées à lunettes de soleil qui crient de façon inaudible la douleur d’Alcina.
Le manque de cohérence général et de clarté finissent par nuire à la compréhension de l’oeuvre.
De plus, le personnage de Morgana n’est absolument pas traçable car méconnaissable entre la première et la seconde partie tout comme le personnage d’Oronte. Bref, difficile de comprendre où la metteuse en scène Magdalena Fuchsberger veut en venir.
L’excès de mouvements touche même les personnages. Alors que Ruggiero entame l’un des tubes absolus de toute la production haendélienne : le fameux ‘Verdi prati’, un air délicat, d’une infinie poésie, le personnage se lance dans une gestuelle hystérique et totalement incompréhensible, ce qui a pour effet de gâcher l’air.
Nous retiendrons quelques beaux moments tout de même, tel que celui de l’air ’Si son quella’ secondé par des danses langoureuses ou le costume absolument somptueux d’Alcina tissé de fils d’or surmonté d’une structure gigantesque faite de circonvolutions de couleurs or et noir au début de son air ‘Ombre pallide’. Le décor du troisième acte affiche davantage de clarté : un appartement suspendu abrite Ruggiero, Bradamante et Melisso. Au sous-sol, la voiture d’Oronte que ce dernier va laver à l’eau savonneuse à l’aide d’une énorme éponge durant son air ‘Un momento di contento’. Juste avant cela, il promenait, avec sa femme Morgana, son bébé dans une poussette. Quant à Alcina, postée à l’arrêt de bus telle une clocharde (avec ses sacs d’affaires), elle attend que Ruggiero daigne se montrer au balcon.
La distribution, fort heureusement, frisait la perfection malgré quelques coupes malheureuses dans la partition (deux airs seulement pour Morgana et deux pour Bradamante quand elles devaient en avoir quatre chacune ; Alcina a perdu son air de fureur ‘Ma quando tornerai’…).
A commencer par une Alcina à la voix sonore et au timbre rond et soyeux, qui a rendu justice à ce personnage rongé par un amour bafoué. A part un gros dérapage lors de son air ‘Ombre pallide’, l’Alcina de Jennifer O’Loughlin était absolument convaincante et éclatante.
Plus encore, le Ruggiero de Sophie Rennert atteignait des sommets de bravoure, notamment lors de son air héroïque ‘Sta nell’Ircana’ dont le da capo, débridé, nous a procuré le frisson. Véritable rossignol à la facilité déconcertante, l'interprète a su également révéler toute la poésie et la délicatesse du sublime ‘Mi lusingha’.
Belle découverte que celle de la mezzo-soprano Monika Jägerova, dont la vocalise facile et les notes graves de contralto nous ont ravi dans le rôle de Bradamante.
Superbe voix que celle du ténor Gyula Rab, parfait dans ses deux airs même si l’on sentait que sa voix appartenait davantage à un répertoire plus tardif.
La soprano Andreja Zidaric, s’acquitte honnêtement de sa partie mais sans vraiment briller même dans l’air virtuose ‘Tornami a vagheggiar’ : ses notes aiguës n’étaient pas toujours très jolies malheureusement.
La soprano Mina Yu, quant à elle, dans le rôle du petit Oberto à la recherche de son papa, fait grand effet grâce à des notes suraiguës incroyables dont elle use, à raison, dans ses trois da capo. En revanche, la voix accuse un vibrato assez désagréable tandis que les vocalises ne sont pas toujours impeccables.
Enfin, Timos Sirlantzis dans le rôle de Melisso nous a convaincu par sa solide voix de baryton-basse en nous offrant une belle version de l'air ‘Pensa a chi geme’.
Au delà d’un spectacle confus peuplé de danses encombrantes, la distribution a su nous convaincre.
A la fin, tous les personnages semblent revenir à eux, comme s'ils avaient fait un mauvais cauchemar.
Ruggero Meli