Paris, Opéra Garnier le 20 avril 2023 (première). Du 20 avril au 20 mai 2023.
Georg Friedrich HAENDEL (1685 - 1759) : Ariodante
Opéra en trois actes (1735) d'après Antonio Salvi 'Ginevra, principessa di Scozia', inspiré de L’Arioste, Orlando furioso.
Ariodante : Emily D'Angelo, mezzo-soprano
Il Re di Scozia : Matthew Brook, baryton-basse
Ginevra : Olga Kulchynska, soprano
Lurcanio : Eric Ferring, ténor
Polinesso : Christophe Dumaux, contre-ténor
Dalinda : Tamara Banjesevic, soprano
Odoardo : Enrico Casari,
The English Concert
Chœurs de l’Opéra national de Paris (Alessandro Di Stefano)
Direction musicale : Harry Bicket
Mise en scène : Robert Carsen
Décors et costumes : Luis F. Carvalho
Lumières : Peter Van Praet
Chorégraphie : Nicolas Paul
Coproduction avec le Metropolitan Opera, New-York
Grosse frustration en cette première d’Ariodante au Palais Garnier. Alors que l’on se réjouissait de découvrir la nouvelle production imaginée par Robert Carsen, le public a dû se contenter d’une version de concert. Un mouvement de grève au sein du personnel du théâtre a eu raison du spectacle. Les artistes ne se sont pas démobilisés pour autant et ont donné le meilleur d’eux-mêmes, en costumes de ville, incarnant leurs personnages en bordure de scène devant l’immense panneau d’acier coupe-feu.
La jeune Emily D’Angelo enchaîne les rôles haendéliens avec succès. Après Ruggiero (Alcina) à Londres et Serse à Pampelune, elle s’impose avec panache en Ariodante. Le timbre sombre et rageur se déploie jusque dans des cadences vertigineuses, les vocalises s’enchaînent avec une aisance déconcertante : les moyens sont immenses. On souhaiterait simplement un peu plus d’investissement scénique. Après les incarnations mémorables de Joyce DiDonato (phénoménale à Baden-Baden), Emily Fons (grandiose à Göttingen) ou encore Marianne Crebassa (somptueuse à Bordeaux), difficile de trancher.
Mais c’est Christophe Dumaux, dans le rôle de Polinesso, qui a marqué la soirée. Son « Dover, giustizia, amor » nous a, une fois de plus, sidérés. Avec une aisance et un aplomb confondants, il décoche des vocalises fulgurantes et des cadences infernales. Espérons que les théâtres français, qui ont largement ignoré ce contre-ténor hors pair, prennent enfin conscience que l’on tient là sans doute le meilleur représentant actuel de sa tessiture.
Dans le rôle de Ginevra, le public a découvert la soprano Olga Kulchynska. Dotée d’une voix claire et d’une projection généreuse, elle émeut dans « Il mio crudel martoro ». Ses vocalises sonnent faciles et fluides dans le duo avec Ariodante, « Bramo aver mille vite », mais son air « Volate » révéle quelques faiblesses. On sent qu’elle est encore peu familière du répertoire baroque et que sa voix se destine davantage à un répertoire plus tardif.
Belle surprise que la soprano Tamara Banjesevic dans le rôle de Dalinda. Les couleurs sombres de sa voix, proches d’une tessiture de mezzo-soprano, surprennent agréablement. Sa Dalinda se démarque des figures ingénues que l’on entend souvent dans ce rôle : une personnalité affirmée, jouant habilement sur deux registres pour enrichir les couleurs de son interprétation. Certaines cadences aiguës ont eu tendance à sacrifier toutefois un peu le texte.
On retrouve avec bonheur Matthew Brook en Roi d’Écosse, impérial et d’une grande sensibilité. Son timbre somptueux rend le personnage attachant, malgré quelques notes basses un peu fragiles.
Le ténor Eric Ferring, découvert en Lurcanio, n’a pas démérité face à ses partenaires : efficace et touchant.
La distribution, de grande qualité, a été quelque peu desservie par le manque d’énergie et de tonicité du chef Harry Bicket et de son ensemble The English Concert. En effet, certains tempi trop modérés ont affadi la force dramatique de l’œuvre.
Heureusement, il sera possible de découvrir la mise en scène de Robert Carsen lors de la diffusion en direct le 11 mai 2023 sur la plateforme de l’Opéra national de Paris, Paris Opera Play, ainsi que sur France Musique le 27 mai dans l’émission Samedi à l’Opéra.
Ruggero Meli