VIENNE : Haendel Theodora 27.X.2023
Vienne, Theater an der Wien, Museum Quartier, vendredi 27 octobre 2023
Georg Friedrich HAENDEL (1685 - 1759) : THEODORA, oratorio en trois parties sur un livret de Thomas Morell.
Theodora : Jacquelyn Wagner, soprano
Didymus : Christopher Lowrey, contre-ténor
Irene : Julie Boulianne, mezzo-soprano
Septimus : David Portillo, ténor
Valens : Evan Hughes, basse
Choeur Schoenberg
La Folia Barockorchester
Dir. Bejun Mehta
Theodora sauvée par les décors
Alors que par définition l’oratorio Theodora de Georg Friedrich Haendel n’est pas destiné à la mise en scène, il semble pourtant inspirer, ou plutôt intéresser, les salles de spectacles et les metteurs en scène (et ce, depuis le coup de maître de Peter Sellars à Glyndebourne en 1996). Une œuvre pourtant pas vraiment simple à valoriser, de part son livret. L'action se déroule à l'époque de la persécution des chrétiens sous Dioclétien. Théodora et Didyme, deux chrétiens chastement aimants, vont tout droit à la mort parce qu'ils ne veulent pas renoncer à leur foi face au tyrannique gouverneur romain Valens.
Après le récent naufrage au Covent Garden de Londres, voilà que le Theater an der Wien propose sa version de Theodora dans un spectacle imaginé par le metteur en scène Stefan Herheim. Dès le lever de rideau, le public tombe en pâmoisons devant le décor luxueux d’un salon de thé viennois. Il s’agit de la réplique bluffante du célèbre Café Central de Vienne avec ses lustres art déco, ses piliers qui soutiennent les somptueuses voûtes d’église, célèbres pour leur panaché de couleurs vives. Le public en prend plein les mirettes. De plus, en arrière plan, au travers de larges vitres, l’on peut distinguer la rue et ses bâtiments protéiformes, ainsi qu’une météo variable, le ciel et ses oiseaux de passage. Un spectacle en soi dont on ne se lassera pas durant 3h (sans l’entracte) et couronné par une surprise de taille, en toute fin de spectacle : le plafond s’affaisse subitement pour laisser paraître un ange aux ailes blanches immenses et dont les mains vont prendre subitement feu.
Le café est bondé de clients attablés. On se met alors à rechercher les chanteurs, en vain. Surprise, ce sont les serveurs. On se dit que tout est réuni pour faire de cette Theodora une réussite de spectacle. Nous allons vite déchanter malheureusement : la transposition va se révéler tellement étrangère au livret et jamais ne prendra véritablement.
Pourtant le concept de départ semblait être une bonne idée car le choix de ce lieu n’est, bien entendu, pas anodin. En effet, pendant plus d’un siècle, ce café a accueilli les têtes pensantes de l’Art et de la Science, de la Littérature et de la Politique autrichienne. Véritable atelier de création, il a vu se succéder Sigmund Freud, Arthur Schnitzler, Peter Altenberg ou Franz Kafka. De nos jours, l’effervescence créatrice artistique semble avoir laissé place à la superficialité et au pouvoir de l’argent incarnés par une clientèle bourgeoise, oisive et largement touristique. Luxe, vêtements chics voire excentriques, culte de la beauté, des bijoux et du bling bling. Bref, une société sans âme et sans intérêt. Mais la serveuse Theodora semble avoir été frappée par la lumière divine qui pénètre brillante dans le lieu et commence à rejeter ce monde superficiel. Les personnages passent alors leur temps à se déshabiller, se rhabiller, s’interpeller, comme hallucinés puis se rejeter. Valens, le patron du café, associé à une figure satanique, encourage le profit et entretient la médiocrité. Theodora et Didymus seront licenciés à la fin du spectacle. L’idée serait donc de remplacer les convictions religieuses par le rejet d’une société superficielle ? On s’interroge, on a beaucoup de mal à comprendre où le metteur en scène veut en venir exactement et on se dit que cela ne peut pas se réduire à cela. Pourtant rien d’autre ne viendra étoffer le concept. On finit par s’ennuyer, on reste perplexe et dubitatif face à un spectacle qui ne prend pas, qui manque de passion et de crédibilité. La prison et le bouge seront représentés par une table de billard sur laquelle la soprano va exprimer sa souffrance en nuisette !
Dommage car la distribution réunie pour l’occasion était plutôt de bonne tenue et la direction du Bejun Mehta rigoureuse et efficace. Joli premier essai pour le contre-ténor américain. Nous avons surtout apprécié la voix fraîche et séduisante du ténor David Portillo dans le rôle de Septimus. Dommage que ses vocalises aient donné lieu à de bien désagréables contorsions physiques. Christopher Lowrey excelle dans le rôle de Didymus. Sa sensibilité n’a d’égal que sa virtuosité, il ne fait qu’une bouchée du rôle et il illumine les da capo avec, notamment, de superbes et impressionnants soufflets. Evan Hughes qui avait déjà un rôle machiavélique dans Semele, réitère la performance. Plein de panache, d’aisance et d’insolence vocale, il fait le show. Julie Boulianne s’attaque au monument qu’est le rôle d’Irene. Un rôle mystique, qui nécessite un lâcher prise et un abandon des plus inspirés. La mezzo-soprano s’en sort correctement notamment dans les da capo qu’elle sait embellir tout en élevant les difficultés de la partition mais elle ne convainc pas complètement non plus, car jamais on ne décolle, on reste sur le plancher des vaches (les mêmes commentaires peuvent s’appliquer à son Sesto dans l’opéra Giulio Cesare à Essen ou récemment son Iphigenie en Tauride à Nancy). Enfin, Jacquelyn Wagner incarne une Theodora mature, forte et déterminée. Elle impressionne par ses cadences audacieuses. Mais son personnage manque de ferveur, de passion. Peut-être qu’une Theodora plus ingénue, fraîche et fragile mais tout aussi déterminée aurait mieux fonctionné. Nous restons sur notre faim, d’autant que le duo final ne possédait en rien la délicatesse, le sublime qu’on pourrait en attendre.
Mention spéciale, en revanche, pour le chœur bien chantant et percutant du Schoenberg Chor. Véritable protagoniste de ce spectacle, son rôle a été déterminant.
En bref, un spectacle et un concept discutables et surtout qui ne convainquent pas, qui auront laissé perplexe une partie du public mais qui sera sauvé d’un naufrage total par de splendides décors.
Ruggero Meli