Haendel Il Trionfo del Tempo e del Disinganno 25.XI.2022 Opéra de Lausanne

HAENDEL Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, HWV 46a. Oratorio en deux parties composé en 1707 en italie sur un livret du cardinal Benedetto Pamphili.


Bellezza : Federico Fiorio, contre-ténor 

Piacere : Kangmin Justin Kim, contre-ténor

Disinganno : Reginald Mobley, contre-ténor

Tempo : Massimo Altieri, ténor


Orchestre I Barocchisti

1er violon Fiorenza De Donatis 

Direction musicale Diego Fasolis 

Costumes aimablement mis à disposition par Giuseppe Palella

Federico Fiorio & Diego Fasolis

          Depuis quelques années, l’oratorio Il Trionfo del Tempo e del Disinganno est en passe de devenir le plus populaire du Caro Sassone. Prisé par les chefs jusqu’à le porter à la scène un peu partout dans le monde. Une musique somptueuse, ainsi qu'une instrumentation variée, sont les atouts majeurs de ce chef-d'œuvre que Haendel composa en Italie très tôt dans sa carrière en 1707, puis le remania trente ans plus tard en 1737 sous le titre de Il Trionfo del Tempo e della Verita, pour enfin le reprendre en 1757 en anglais The Triumph of Time and Truth. D'autant que l'œuvre recèle un bijou inestimable : l'air 'Lascia la spina', le tube absolu du compositeur (qui deviendra 'Lascia ch’io pianga' dans Rinaldo quelques années plus tard).  À cela, il faut ajouter un argument séduisant relayé par quatre personnages allégoriques : La Beauté qui pense qu'elle restera jeune et belle toute sa vie, Le Plaisir qui l'encourage en ce sens. Le Temps et La Désillusion la mettent en garde. Le tout dans un format idéal : ni trop long, ni trop court, deux parties d'1h10 chacune bien équilibrées, avec des duos et même deux splendides quatuors dont l'incandescent 'Voglio tempo'. 

          Alors que les quatre rôles se déclinent traditionnellement en soprano, mezzo-soprano, contralto (ou contre-ténor) et ténor, la surprise est venue d'une distribution bien inhabituelle : totalement masculine (même La Beauté). Une manière de plonger le spectateur dans l’Italie du XVIIe et XVIIIe siècle et revivre la tradition des castrats qui chantaient tous les rôles suite à un arrêté papal qui interdisait aux femmes de chanter dans les églises ainsi que sur scène. Un choix original et intéressant, certainement nouveau pour la plupart des spectateurs mais que BAROQUENEWS avait déjà expérimenté à Cologne il y a trois ans (voir notre compte-rendu).  

         Une autre surprise, de taille, attendait le public : les personnages revêtaient des costumes absolument somptueux (sombres, tissés de fils d'or, et réhaussés d'un drapé bleu roi) ornés de masques vénitiens ou d'ailes d'anges. Grandiose ! Une façon d'agrémenter cette version de concert, donnée sur la scène de l'opéra de Lausanne ce vendredi 25 novembre 2022 (reprise le dimanche 27). Par ailleurs, des éclairages léchés et séduisants changeaient les couleurs de l'arrière-scène. Le public semblait comblé ! Qui aurait besoin de mise en scène ? 

          Ajouté à cela, la direction était confiée au chef Diego Fasolis, réputé pour sa fougue et ses interprétations fiévreuses. Tout semblait donc réuni pour un grand moment de musique.  Pourtant la déception va nous gagner au fil du concert. Passée la surprise des costumes, la représentation s'est avérée bien statique et peu théâtrale (à part quelques regards explicites entre les personnages). 

          Mais où donc est passée la direction incisive et palpitante de Diego Fasolis qui a fait en plus le choix de tempi prudents voire lents pour la plupart ? L’air le plus rock n’roll qu’Haendel n’ait jamais écrit « Un pensiero nemico di pace » est joué en sourdine, avec une retenue dommageable, qui le prive de tout enthousiasme.  Et que dire des incertitudes et autres flottements palpables (chez les chanteurs comme dans l'orchestre) ? Manque de préparation, de répétitions, de temps ? Même si tous tentent de donner le meilleur d’eux même, le résultat nous laisse bien perplexes. 

          Côté distribution trois contre-ténors d’un niveau respectable, mais chacun avec ses écueils. Seul le ténor tire véritablement son épingle du jeu. 

          La Beauté interprété par le jeune contre-ténor Federico Fiorio possède une voix uniforme, douce et agréable quoique métallique parfois, et des aigus pas toujours faciles. Le souffle tient la longueur des redoutables vocalises de la partition. On salue une prestation honnête mais trop uniforme, au point même de susciter une pointe d’ennui, car dépourvue d'incarnation forte. L’air qui conclut l’oratorio 'Tu del ciel' et qui devrait être d’une tristesse infinie ne suscite que peu d'émotion.

          Reginald Mobley en Disinganno séduit par sa voix ambiguë entre ciel et terre. Son velouté, sa douceur font du bien.  Mais le volume et l’amplitude font défaut et on cherche l’éclat. L'homogénéité des registres pose problème parfois. Heureusement, il offre au public un somptueux duo 'Il bel pianto' en compagnie du ténor : un moment de grâce porté par deux voix qui se sont admirablement entremêlées.  

          Quant à Kangmin Justin Kim, capable d’éclats et d’effets spectaculaires, il affiche un visage fermé de bout en bout (difficile à concevoir quand on chante le Plaisir). Certes, il parvient à tenir les vocalises infernales de l'air 'Come nembo' mais demeure bien mécanique. Et même si son 'Lascia la spina' était plutôt réussi, son interprétation générale finit par lasser voire agacer avec ce côté Drama Queen au vibrato lâche et aux registres peu uniformes. 

          Reste l'heureuse découverte de la soirée : le ténor Massimo Altieri, dont le tout premier air 'Urne voi' d’une ineffable délicatesse et particulièrement contrasté nous a littéralement conquis : certainement le plus beau moment de la soirée. Ce bariténor à la voix percutante et au timbre ensoleillé se révèle parfait pour ce genre de rôle haendélien qui nécessite un large ambitus. Petit bémol concernant les vocalises de l'air 'Folle' qui ont mis l'interprète en légère difficulté. 

          L’idée de cette version entièrement masculine de l'œuvre était excellente mais il manquait à ce concert un petit supplément d’âme et d’émotion. Un concert qui aura certainement ravi les afficionados de contre-ténors. Une expérience séduisante qui plongeait le spectateur au cœur de la féérie du carnaval de Venise avec ses personnages énigmatiques au genre brouillé. Le retour à la réalité au fil du concert n'en sera que plus rude : notre condition éphémère de mortel. Haendel nous souffle alors sa petite mélodie : Carpe Diem (Lascia la spina, cogli la rosa) !

Massimo Altieri

Reginald Mobley

Kangmin Justin Kim