LONDRES Haendel Susanna 24.I.2025
La touchante Susanna d'Anna Dennis
Londres, St Martin in the Fields, 24 janvier 2025 à 19h
Haendel : Susanna, oratorio en trois actes, HWV 66, sur un livret d'abord attribué à Newburgh Hamilton mais apparemment écrit par le poète et dramaturge Moses Mendes (mort en 1758). Date de création : 1749*
Susanna : Anna Dennis, soprano
Joacim (son mari) : Alexander Chance, contre-ténor
Chelsias (le père de Susanna), Deuxième vieillard : Matthew Brook, baryton-basse
Premier vieillard : Joshua Ellicott, ténor
Daniel, Servante : Jessica Cale, soprano
Juge : Robert Davies, baryton
Chœur et Orchestre Dunedin Consort
Direction : John Butt
*Distribution à la création en 1749 :
Susanna : Giulia Frasi, soprano. Joacim : Caterina Galli, contralto. Chelsias : Thomas Reinhold, basse. Daniel : anonyme, garçon soprano. 1er vieillard : Thomas Lowe, ténor. Deuxième vieillard : Thomas Reinhold, basse. Juge : ?, basse. Une servante :Signora Sibilla (Pinto née Gronamann), soprano.
SYNOPSIS:
L'intrigue se fonde sur l'histoire de la chaste Suzanne, telle que rapportée dans le chapitre 13 du Livre de Daniel dans l'Ancien Testament. Haendel composa la musique pendant l'été 1748 et la première eut lieu pendant la saison suivante du théâtre de Covent Garden, le 10 février 1749.
Selon le Livre de Daniel, pendant l'exil des Juifs à Babylone, une jeune femme vertueuse du nom de Suzanne fut accusée d'adultère de façon mensongère par deux vieillards de sa communauté qui étaient juges et qui l'avaient eux-mêmes regardée avec concupiscence pendant son bain et s'étaient faits éconduire. Le prophète Daniel confondit leurs mensonges et ainsi innocenta Suzanne.
Acte 1
Le chœur des Israélites se lamente sur leur exil et leur captivité à Babylone. Susanna et son mari chantent le bonheur de leur mariage et du père de Susanna, très fier que sa fille soit une épouse modèle. Joacim doit s'absenter quelque temps de la ville : mari et femme se disent adieu. Les vieillards de la communauté des Israélites, animés de concupiscence à l'égard de la belle Susanna, complotent pour obtenir ses faveurs pendant l'absence de son mari. Le chœur commente qu'une telle duplicité va attirer sur eux le courroux du ciel.
Acte 2
Joacim, loin de son épouse, chante le manque de sa présence auprès de lui. Pendant ce temps, son mari manque aussi à Susanna qui souffre de la chaleur et part se rafraîchir de l'ardeur du soleil en allant se baigner dans un ruisseau de son jardin. Elle est épiée par les deux vieillards dont elle repousse les avances avec indignation. Ils vont se venger d'elle en répandant parmi la communauté des juifs une calomnie ; ils prétendent qu'ils auraient surpris Susanna en train de tromper son mari avec un jeune homme et appellent à la juger pour adultère. Joacim est effondré en l'apprenant par une lettre et retourne chez lui.
Acte 3
Susanna est jugée coupable et condamnée à mort. Le premier vieillard se prétend désolé de la dureté de cette sentence. Le jeune prophète Daniel, qui est encore presque un enfant, se lève devant l'assistance et demande qu'on lui permette d'interroger les deux vieillards séparément l'un de l'autre. Ceux-ci donnent des versions différentes de l'endroit où Susanna aurait été prise en faute et Daniel les dénonce en tant que menteurs. Les vieillards sont condamnés à être exécutés pour leur faux témoignage ; Susanna peut se retrouver avec son mari et tous louent Susanna pour sa vertu et sa chasteté.
Œuvre atypique dans toute la production haendélienne, notamment suite à un traitement d’écriture inhabituel, Susanna fait partie certes des oratorios bibliques, mais pourrait facilement être portée à la scène, surtout dans le contexte explosif des mouvements féministes tel que MeToo, qui dénoncent les agressions sexuelles dans tous les domaines. D’ailleurs, nous avons déjà été les témoins d’une production à Coblence avec une scène de séduction qui tournait au viol.
L’opéra contient toute une série d’airs qui pourraient ennuyer voire rebuter les néophytes ou même les adeptes, car peu séduisants au premier abord. Contrairement à son habitude, Haendel favorise les atmosphères, les impressions, les fragrances et rend sa musique plus subtile, plus profonde, moins clinquante.
Pourtant, comment résister à l’ineffable poésie qui se dégage de l’air ’Crystal streams’ dans lequel on entend la brise souffler, les reflets de l’eau scintiller… ou rester insensible au récitatif et air ‘What means this weight…Bending to the throne of glory’ dans lequel une angoisse prémonitoire vous tort les boyaux ?
Le maestro John Butt et son ensemble Dunedin Consort en ont donné une version intégrale assez poignante en ce vendredi 24 janvier 2025 en l’église St. Martin-in-the-Fields de Londres : plus de trois heures de musique avec un entracte après la première partie (19h-22h30). Le chœur, composé de quatre voix par tessiture, nous a particulièrement impressionné par sa force de projection ainsi que son expressivité, notamment dans le chœur qui conclut la première partie ‘Righteous Heav’n’.
Décidément la soprano américaine Anna Dennis n’en finit pas d'égrainer les rôles haendéliens (après la Belezza ou bien il Piacere dans Il Trionfo del Tempo, la Reine de Saba dans Solomon, Deborah, Rodelinda, etc…); elle aborde ce nouveau grand rôle (pas moins de six airs, un duo et un trio et de nombreux récitatifs) avec ce qui la caractérise tant et convenait si bien au rôle : son délicat phrasé, son élégante expressivité, sa manière de rendre le texte totalement limpide et cette sensibilité presque pudique. Sa Susanna possède prestance et force de caractère. Cependant, il manquait à son soprano une certaine dose de virtuosité pour véritablement faire briller son dernier air ‘Guilt trembling’.
A ses côtés, un époux bien jeune, incarné par le contre-ténor Alexander Chance (on se souvient de son père Michael Chance, d’ailleurs présent dans la salle, qui avait interprété ce même rôle au théâtre de Poissy en juin 1999) pourvu d’une belle prestance ainsi que d'une solide virtuosité. Lui aussi excelle dans l’art de rendre le texte limpide de sa voix blanche et sonore mais un brin criarde.
La bonne surprise est venue du soprano rond et très agréable à écouter de Jessica Cale qui endossait les rôles de la servante et du jeune David. Nous retiendrons la sensibilité et la délicatesse avec lesquelles elle a abordé l’air ’Chastity, thou Cherub bright’.
Quant aux deux vieillards libidineux, ils étaient parfaitement interprétés par le ténor Joshua Elliott, absolument brillant notamment dans l’air virtuose ‘When the trumpet sounds to arms’, et par l’excellent baryton-basse Matthew Brook qui, lui aussi, s’est montré éclatant dans l’air rehaussé de deux trompettes ‘Raise your voice’ (air de Chelsias).
Un concert qui peut être écouté live ce dimanche 26 janvier 2025 sur la radio autrichienne O1 (un podcast de 30 jours suivra).
Samuel Passetan