Opéra de Francfort, le samedi 11 janvier 2025 à 18h
Georg Friedrich HAENDEL : Rodelinda, opéra en trois actes sur un livret d’Antonio Salvi, d’après Corneille et révisé par Nicola Francesco Haym. Créé le 13 février 1725 au King’s Theatre, Haymarket, Londres.
Rodelinda : Elena VILLALON, soprano
Bertarido : Lawrence ZAZZO, contre-ténor
Grimoaldo : Josh LOVELL, ténor
Unulfo : Rafal TOMKIEWICZ, contre-ténor
Eduige : Zanda ZVEDE, contralto
Garibaldo : Bozidar SMILJANIC, baryton-basse
Flavio : Irene MADRID, comédienne
Frankfurter Opern-und Museumorchester.
Statisterie der Oper Frankfurt.
Simone DI FELICE, direction
Mise en scène : Claus GUTH Francfort
Reprise de la mise en scène : Axel Weidauer
Costumes : Christian Schmidt
Lumières : Joachim Klein
Vidéo : Andi A. Müller
Figurants : Moe Gotoda / Madeline Ferricks-Rosevear / Gorka Culebras / Antonio Rasetta / Guillaume Rabain / Volodymyr Mykhatskyi
Reprise du somptueux spectacle de Claus Guth qui a abondamment tourné en Europe depuis sa création à Madrid. Un spectacle qui avait d'ailleurs déjà fait l'objet d'une série de représentations ici même à l'opéra de Francfort. Malheureusement, suite à des problèmes techniques, le spectacle a été donné ce samedi 11 janvier 2025 sous forme de concert « amélioré » avec la possibilité, pour le spectateur, de voir la production lors d’une future reprise. Passée la déconvenue, l'implication des protagonistes, affublés de leurs costumes de spectacle, était telle que l'auditeur ne s'est pas vraiment rendu compte de ce qu'il perdait, mieux encore, il a pu suivre intensément le drame grâce à un jeu de scène repensé et adapté à la situation avec tout de même un décor unique mais somptueux : une gigantesque bâtisse blanche auréolée d'un ciel étoilé absolument enchanteur. Ainsi, le spectateur a pu vibrer au gré des complots, quiproquos et prétendus décès... En effet, Grimoaldo, le tyran, exerce un terrible chantage sur Rodelinda. Il menace de tuer son fils si elle refuse de l'épouser. Elle fait mine d'accepter au grand désarroi de son véritable époux dissimulé Bertarido, qu'elle pense décédé. Après maintes péripéties, Bertarido sauvera Garibaldo de la mort et ce dernier acceptera sa défaite face à l'amour indéfectible entre Rodelinda et Bertarido.
Le contre-ténor Lawrence Zazzo, un habitué du rôle (il l’avait notamment joué et interprété à Lyon dans cette même production), fait preuve d’un jeu de scène époustouflant et sa prestation vocale s'est révélée d’une intensité saisissante. Même s’il ne possède plus les coloratures et l’agilité nécessaire pour véritablement faire briller un air tel que ‘Vivi, tiranno’ (vocalises partiellement savonnées, avec des à-coups peu académiques accompagnés de distorsions corporelles peu esthétiques…), il convainc par son métier et ses effets vocaux finement pensés et réalisés qui suscitent l'admiration. A ses côtés, la Rodelinda de Elena Villalon, a su s’imposer avec éclat. L’instrument, rompu à une technique baroque efficace, lui permet des fioritures et des cadences impressionnantes. En plus de notes aiguës éclatantes, elle peut faire montre d’un médium riche et corsé.
Mention spéciale pour le contre-ténor Rafal Tomkiewicz dans le rôle d’Unulfo : son enthousiasme scénique et vocal ont fait des étincelles tout au long du spectacle. Il excelle dans les seconds rôles haendéliens. Son jeu irrésistible de personnage timide, coincé, qui n'ose essayer quelques pas de danse, nous a fait mourir de rire à la fin du spectacle. En effet, poussé par ses partenaires, il finit par se lâcher jusqu'à l'excès et le déraisonnable (prêt à faire un strip-tease).
Le timbre chaud et sombre ainsi que la voix souple de Zanda Zvede dans le rôle d'Eduige, font un bien fou. Sa confrontation manichéenne (elle en noir, son adversaire tout de blanc vêtue) à coup d’éventails avec Rodelinda a été un moment fort de l'opéra.
L'excellent ténor Josh Lovell dans le rôle de Grimoaldo affiche une classe et une élégance naturelle. Il n’endosse pas la caricature du tyran (tel que l’affreux Garibaldo). Nous avons particulièrement apprécié son air 'Prigioniera e l'alma' dans lequel tout le crémeux de sa voix a pu s'épanouir à loisir.
Bozidar Smiljanic prêtait sa voix solide et bien projetée au vilain et ambitieux Garibaldo. Avec son physique imposant, son bandeau noir à l'œil et sa cape, il imposait une menace omniprésente.
Pour avoir déjà vu le spectacle à plusieurs reprises précédemment, Irene Madrid qui incarne le fils omniprésent (silencieux), ne passionne ni ne fascine autant que le fabuleux acteur Fabian Augusto Gomez.
La réussite de la soirée tient aussi à l'implication du mastro Simone Di Felice qui a su impulser ferveur et intensité à l’orchestre. Malgré l'absence de mise en scène, les 3h30 d'opéra sont passés comme une lettre à la poste. Il faut dire que le niveau de la distribution frisait la perfection.
Ruggero Meli