AMBRONAY dernier week-end 06-07.X.2023 : l’émotion 

Deux jeunes ensembles ont fait swinguer le public au festival d’Ambronay: 

La Camerata Chromatica et L' Ensemble Cohaere





           L’un à l’aide de ses flûtes aux formes surprenantes, La Camerata Chromatica. Cet ensemble nous a fait voyager avec passion du IIe siècle avant J-C au début du XVIIe siècle avec notamment les fascinantes Prophéties des Sybilles d'Orlando Di Lasso. Deux solistes vocaux pour nous accompagner dans ce voyage musical : la divine soprano Gabrielle Varbetian, lumineuse et bien chantante et le solide baryton d'Olivier Bizot. Un moment de forte émotion pour ces jeunes talents qui terminaient une résidence de trois belles années au festival d'Ambronay. 

           L’autre ensemble appelé Cohaere, nous a fait goûter à la magnificence d’un des fils de Bach que l’on n’a peu l’occasion d’entendre : Carl Philipp Emanuel Bach. Des sonates divinement interprètes avec une fougue communicative. Bravo à tous les membres de ce jeune et valeureux ensemble.

La Camerata Chromatica
Ensemble Cohaere

Un Requiem de Mozart plus douloureux que jamais

Julia Lezhneva, Eva Zaïcik, Mauro Peter & Andreas Wolf dans le Requiem de Mozart © Bertrand Pichène

          Peut-être LE moment le plus émouvant de tout le festival : le Requiem de Mozart en l’honneur du baryton argentin qui est parti côtoyer les anges en plein concert suite à un malaise cardiaque : Alejandro Meerapfel, un habitué du festival. Un drame qui s’est produit dans cette abbatiale et dont l’émotion, le soir de ce Requiem de Mozart, était palpable. Un Requiem qui ne s’écoutait plus exactement de la même manière. 

          Précédé d’une introduction solennelle à l’orgue, cette messe de Requiem a sonné plus douloureuse que jamais : l’Introitus assène ses lames et vous déchirent le ventre, tout comme le Rex Eterna, vif et incisif. Les tempi, contrastés, surprennent et bousculent. Un Benedictus chanté avec jubilation par la soprano Julia Lezhneva, lumineuse et expressive dans chacune de ses interventions. Sa voix contraste idéalement avec celle du talentueux Andreas Wolf, dont la splendeur d'une voix généreuse, facile et solide comme le roc fascine et nous laisse pantois. Ajouté à cela, le velouté d’Eva Zaïcik ainsi que la sensibilité naturelle du ténor Mauro Peter

Pourtant, la vraie vedette de la soirée n’était autre que le chœur de Namur : éclatant de santé vocale, de subtilité, de clarté, de force expressive. En compagnie de l'excellent Concert de La Loge et de leur très inspiré chef Julien Chauvin, Ils ont fait vibrer et raisonner les stances de ce Requiem dans une abbatiale encore bouleversée par la perte de leur confrère. Un Requiem qui s’est éteint dans un silence déchirant. 

William Christie et Théotime Langlois de Swarte : un duo enthousiasmant




          Avec un programme extrêmement bien rodé, le claveciniste William Christie et le violoniste Théotime Langlois de Swarte, ont fait profiter de leur complicité à un public qui s’est véritablement passionné et amusé. Un jeu brillant, virtuose, sensible dans des pages de Haendel, Leclair et le très rare Senaillé, dont les deux compères se sont joués avec talent. Leur programme mettait en miroir des compositeurs connus et méconnus, au talent tout aussi admirable. Un régal. 

William Christie & Théotime Langlois de Swarte © Bertrand Pichène

Eva Zaïcik : soirée "napolitaine" en demi-teinte

Ensemble Pulcinella
Eva Zaïcik, mezzo-soprano

          Alors que l’on attendait le contre-ténor Christophe Dumaux en ce quatrième et dernier week-end du festival d’Ambronay, accompagné de l’ensemble Pulcinella, dirigé par la violoncelliste Ophélie Gaillard, c’est finalement Eva Zaïcik qui a sauvé le concert suite à la défection tardive de son confrère. Un challenge fou pour cette mezzo-soprano, qui a consisté à, non seulement prendre au vol un programme qu’elle ne connaissait pas, avec seulement deux jours pour l’apprendre et l’adapter, mais surtout assurer sa prestation la veille de ce concert dans le Requiem de Mozart, et last but not the least, soigner en catastrophe une intoxication alimentaire tout en gérant la pression d’un concert diffusé en direct sur Culturebox ! Alors, nous passeront aisément sur quelques hésitations dans son premier air de Vivaldi ‘Gelido in ogni vena’. 

          Eva Zaïcik est une artiste qui possède, sans conteste, des moyens techniques et vocaux réellement intéressants, des couleurs variées et un timbre de velours. Seulement, elle nous semble tirer partie de ces atouts qu’avec parcimonie. A l’image de ses trois premiers airs, certes élégiaques et touchants mais à l’incarnation insuffisamment développée à notre humble avis. Son interprétation nous laisse sur une impression d’inachevé, comme lors de sa prestation à Fénétrange l’an dernier (voir notre compte rendu). Tout est plutôt bien chanté mais drame et passion sont seulement esquissés et le résultat d’ensemble reste bien lisse. On serait en droit d’attendre davantage d’expressivité face à des textes si exacerbés. Ne parle t-on pas de 'fils exsangue', de mourir, de douleur, de sang bouillonnant de peur atroce, etc... ? Pourquoi ne pas favoriser plus encore les contrastes et mobiliser ces belles notes graves au lieu de solliciter quasi constamment le registre de soprano ? Eva Zaïcik en est tout à fait capable et l‘a démontré, en partie, dans l’air virtuose de Haendel en fin de programme : ‘Crude furie’, interprété avec davantage de théâtralité. 

          Elle était pourtant soutenue par de valeureux instrumentistes dont on retiendra surtout le premier violon, brillant et imperturbable de facilité et le velouté, le phrasé sensuel du violoncelle d’Ophélie Gaillard. Un instrument qu’elle sait faire chanter comme personne notamment dans le largo du concerto pour violoncelle de Nicola Fiorenza qui a mis la salle en lévitation. A contrario, certaines pièces instrumentales, très entraînantes, ont suscité une irrésistible envie de se lever et de danser, comme à l’écoute du dernier mouvement du concerto n°2 de Leonardo Leo. Castagnettes, psaltérion, guitare, entre autres, ont fait swinguer ces musiques et donné l’envie de se rendre à Naples. 

Suite à ce changement de distribution, le programme a subi des modifications et les noms de Haendel et Vivaldi ont été ajoutés. Le titre du programme « Viva Napoli ! » aurait mérité d’être modifié en conséquence.

                                                                                 Ruggero Meli