Festival Haendel de Karlsruhe II.2023

Gala Roberta MAMELI, soprano & Carlo VISTOLI, contre-ténor

METASTASIO VINCIT OMNIA - HÄNDEL-GALA
Badischestheater Karlsruhe samedi 18.II.2023 19h30 GROSSES HAUS

Oeuvres de Georg Friedrich Händel et d'autres compositeurs  

Direction: Attilio Cremonesi, 

Un programme autour de l'auteur Pietro Metastasio et de l'opéra Siroe, re di Persia, 

Georg Friedrich Händel (1685 –1759) Ouvertüre der Oper Siroe, Re di Persia HWV 24 

Arie für Alt „Torrente cresciuto per torbida piena“ Siroe, Re di Persia HWV 24  

Giuseppe Maria Orlandini (1676 –1760) Arie für Sopran„Torrente cresciuto per torbida piena“ Siroe, Re di Persia  

Georg Friedrich Händel Recitativo accompagnato „Son stanco, ingiusti numi“ und Arie für Alt „Deggio morire, o stelle“ Siroe, Re di Persia HWV 24 

Arie für Sopran „O placido il mare“ Siroe, Re di Persia HWV 24  

Leonardo Vinci (1690 –1730) Arie für Sopran „Gelido in ogni vena“ Siroe, Re di Persia  

Georg Friedrich Händel Arie für Alt „Gelido in ogni vena“ Siroe, Re di Persia HWV 24 

Duett für Sopran und Alt „Se mai turbo il tuo riposo“ Poro, Re dell’Indie HWV 28  

Johann Adolph Hasse (1699 –1783) Sinfonia der Oper Siroe, Re di Persia  

Georg Friedrich Händel Arie für Sopran „D’ogni amator la fede“ Siroe, Re di Persia HWV 24  

Johann Adolph Hasse Arie für Alt „L’onda che mormora“ Siroe, Re di Persia 

Arie für Sopran „Fra l’orrore della tempesta“ Siroe, Re di Persia  

Georg Friedrich Händel Arie für Alt „Fra l’orrore della tempesta“ Siroe, Re di Persia HWV 24  

Johann Adolph Hasse Sinfonia der Oper Romolo ed Ersilia 

Duett für Sopran und Alt „Ah, che vuol dire quel pianto“ Romolo ed Ersilia

photo : Felix Grünschloß

          Les amateurs du festival Haendel de Karlsruhe ne savaient pas à quoi s'attendre en prenant des billets pour ce gala. En effet, l'interprète n'était pas annoncé alors que les billets étaient déjà en vente. Bien leur en a pris, car surprise, ce n'était pas un mais deux chanteurs qui seront engagés pour ce gala. Et pas n'importe lesquels : la délicieuse Roberta Mameli que BAROQUENEWS connaît bien (voir notre dernier compte rendu à Innsbruck) en compagnie de l'excellent Calro Vistoli, certainement le meilleur contre-ténor actuel. Le programme mettait à l'honneur l'opéra Siroe et son librettiste Metastase. Un livret que Haendel et bien d'autres compositeurs ont utilisé. Un opéra que le chef Attilio Cremonesi dirigera l'an prochain lors du 26° festival Haendel de Karlsruhe. L'intérêt majeur de ce programme résidait dans la mise en miroir d'airs identiques écrits par différents compositeurs. En l'occurrence Haendel, Vinci, Hasse ou Orlandini. 

Il est surprenant de constater que deux airs aient été transposés pour alto, comme si les airs d'alto manquaient à l'appel (il y a tout de même deux rôles de castrats dans l'opéra Siroe de Haendel, dont le rôle titre, sans compter les autres compositeurs dans lesquels il est possible de puiser). Nous parlons de l'air de Laodice "Torrente cresciuto" pour soprano et de l'air de Corsoe "Gelido in ogni vena" pour basse, tous deux chantés lors de ce récital par le contre-ténor Carlo Vistoli. Difficile de dissimuler une certaine gêne à leur écoute. Heureusement, la voix du contre-ténor italien, rompue à une technique baroque à toute épreuve, sait valoriser tous ces airs. Et ce malgré le piètre accompagnement et soutien d'un orchestre approximatif et pataud : la Badische Staatskapelle. Tant bien que mal, Attilio Cremonesi tente pourtant de sauver la soirée en se démenant comme un diable pour parvenir à diriger cette troupe indisciplinée. Manque de temps, manque de répétition ? 

Cela n'a pas empêché Carlo Vistoli de briller tout au long de la soirée. Eminemment dramatique et déchirant par exemple dans le récitatif et air "Son stanco...Deggio morire". Cette façon bien à lui de pousser les sentiments à leur paroxysme dans les da capo, en étirant les notes et en les mettant sous tension, émeut. Quant aux airs virtuoses, il n'en fait qu'une bouchée et les agrémente de difficultés et autres cadences vertigineuses. On tient là un génie de contre-ténor. 

Quant à Roberta Mameli, elle n'a pas totalement convaincu. L'interprète semble parfois perdre le contrôle de son instrument jusqu'à détonner et les vocalises ont tendance à perdre de leur délié et clarté. Méforme passagère ? Quoi qu'il en soit, on tombe quand même sous le charme de son air "D'ogni amator la fede" dans lequel son jeu de séduction (notamment en duo avec le chef) est irrésistible. Mieux encore, elle parvient à mettre la salle à genoux et réconcilie tout le monde avec son air "Gelido in ogni vena" de Vinci. Un bijou d'émotion. Douze minutes de concentré de douleur et de bonheur. Ne fut ce que pour ce seul air, le public présent ne pouvait repartir déçu. 

                                                       Ruggero Meli

Récital Shira PATCHORNIK, soprano

Marée haute et marée basse

EBBE UND FLUT - FESTKONZERT DER DEUTSCHEN HÄNDEL-SOLISTEN 

Œuvres de Haendel, Corelli, Vivaldi, Purcell & Steffani 

Badischesstaatstheater Karlsruhe 24.II.2023 GROSSES HAUS 

Shira Patchornik, soprano 

DEUTSCHE HÄNDEL-SOLISTEN

Direction : Andreas Spering 

Georg Friedrich Händel (1685–1759) Wassermusik HWV 348 Suite Nr. 1 F-Dur Ouverture – Adagio e staccato – [ohne Bezeichnung] – Andante – Allegro – Air – Minuet – Bourée – Hornpipe 

Georg Philipp Telemann (1681–1767) Wassermusik. Hamburger Ebb’ und Fluth C-Dur TWV 55:C3 Ouvertüre – [ohne Bezeichnung] – Sarabande. Die schlafende Thetis – Bourrée. Die erwachende Thetis – Loure. Der verliebte Neptunus – Gavotte. Die spielenden Najaden – Harlequinade. Die scherzenden Tritonen – Der stürmende Aeolus –Menuet. Der angenehme Zephir – Gigue. Ebbe und Fluth – Canarie. Die lustigen Bots Leute

          Un concert qui avait pour thématique la mer et ses variations. Pour l’illustrer, deux compositions du même nom étaient mises en miroir : la Water Music de Haendel dans la première partie et la Wassermusik de Telemann dans la seconde. L’une plus grandiose que l’autre. Impossible de choisir. Très différente l’une de l’autre : celle de Haendel, élégante et majestueuse, celle de Telemann plus tumultueuse et encore plus contrastée. Deux œuvres orchestrales finalement bien complémentaires, qui se font écho en apportant à chaque mouvement des éléments aquatiques auquel l'un ou l'autre compositeur n’avait peut-être pas pensé. Toutes deux admirablement interprétées par les forces des Deutsche Händel-Solisten sous la direction du dynamique chef Andreas Spering. Avec ce son homogène, riche et de grande qualité ces œuvres sonnent de façon grandiose. A la fois tonique voire parfois cinglant, l'orchestre sait aussi conférer poésie et tendresse quand nécessaire. L’auditeur tangue d’un ravissement à un autre à l'écoute de ces rythmes et mouvements contrastés, valorisés également par les interventions des instruments solistes. 

Deux partitions brillantes, donc, qui encadraient les interventions de la star de la soirée : la soprano Shira Patchornik. Quatre airs de Haendel au programme : deux méconnus et deux tubes absolus. Bien entendu, tous ces airs ont pour thématique le milieu aquatique et ses tumultes. L'auditeur passe du larmoyant « Com’onda incalza » de Bérénice de l’opéra Scipione à la légèreté de « Scherza in mar la navicella » de Lotario. La soprano israélienne sait apporter expressivité et tristesse à l’un, puis brillance et virtuosité à l’autre. Même chose pour les deux airs qui suivront. L’un plein de charme et tourmenté « Oh, come chiare e belle », air tiré de la cantate HWV 143 du même nom. L’autre sautillant et aux vocalises endiablées, un air dans lequel la soprano apporte espièglerie et malice. A part quelques notes graves quelque peu désagréables et quelques vocalises mal assurées, Shira Patchornik sait faire le show avec son tempérament de feu, sa finesse ainsi qu'avec sa voix ronde, flexible et homogène. 

Les interprètes ont remercié le public par un bis tiré de Giulio Cesare. Le très touchant et contrasté « Piangero la sorte mia » que la soprano a particulièrement su valoriser en y mettant toute sa sincérité et sa douleur au point de vous tirer quelques larmes. 

                                                       Ruggero Meli

photo Felix Grünschloß/Badisches Staatstheater Karlsruhe

HERCULES

HANDEL HERCULES   /   Théâtre de Karlsruhe, samedi 25.II.2023, 18h

Drame musical en 3 actes de Georg Friedrich Haendel. Livret de Thomas Broughton

Edition de Peter Jones



HÄNDEL- FESTSPIELCHOR  DEUTSCHE

HÄNDEL-SOLISTEN  Statisterie des BADISCHEN STAATSTHEATERS

Musikalische Leitung Lars Ulrik Mortensen

Regie Floris Visser

Ausstattung Gideon Davey

Licht Malcolm Rippeth

Chor Marius Zachmann

Dramaturgie Klaus Bertisch, Stephan Steinmetz

Choreografie Stepptanz Pim Veulings

photos : Felix Grünschloß

        Hercules, œuvre inclassable dans le catalogue haendélien, ni vraiment opéra ni vraiment oratorio, porte la mention « Musical drama ». Son livret, l’un des meilleurs au service du compositeur, est tiré de la mythologie grecque et relate la mort tragique d’Hercule suite à la jalousie maladive de sa femme Déjanire. La partition de Haendel, superbe et variée, une œuvre qui a tout pour elle, est pourtant rarement donnée en concert et encore moins sur scène. Le festival Haendel de Karlsruhe nous avait proposé une superbe version scénique l'an dernier, qu'il nous donne à revivre cette année (il est de tradition de reprendre l'opéra de l'année passée). Cette fois sans la présence de la star du baroque Ann Hallenberg remplacée pour l'occasion par sa compatriote Kristina Hammarström. L'une comme l'autre offre un timbre superbe et une interprétation pleine d'intensité mais le volume a tendance à faire défaut et la scène de la folie reste bien sage.  

         Ici, le spectacle savamment imaginé par Floris Visser au théâtre de Karlsruhe, commence par la fin. Dejanire est enfermée dans sa chambre (planches clouées aux portes, et camisole de force) et attend le verdict de son procès. Nous sommes conviés au tribunal où on la juge pour avoir été à l’origine de la mort d’Hercule (après lui avoir notamment offert une tunique assassine). Flashback, on revient au début de l’histoire où tous attendent anxieusement le retour du combattant: Hercule. La trame de l'œuvre est extrêmement claire et bien racontée grâce à plusieurs procédés tels que les flashbacks, les souvenirs, ou bien ce que s’imaginent les personnages (Déjanire nous fait pénétrer dans son esprit: la scène se fige sous une lumière verdâtre), par le biais d’un cercle rotatif au bord de la scène qui montre en images les faits relatés telle que la mort du géniteur de Iole, etc. Tous ces procédés tendent à renforcer les sentiments et les émotions des protagonistes. Les faits ne sont plus seulement évoqués mais le public peut véritablement les vivre et les ressentir. Le réalisme du spectacle rend Iole ou Hyllus par exemple, davantage fragiles et vulnérables. Le public compatit pleinement, et prend mieux en compte la souffrance des personnages.

         Dès les premiers instants de cette mise en scène, une tension voire une émotion toute particulière est palpable (un procès sous tension, une Déjanire en camisole de force) : une sensation rare si précoce dans un spectacle, et qui ne s'amenuisera pas au fil de l'opéra, bien au contraire. C'est là, l'un des points forts de cette mise en scène.

Par ailleurs, le personnage d’Hercule n’est pas représenté ici non pas comme le valeureux héros ou bien l'amant attentionné mais plutôt comme un chef de guerre barbare qui néglige sa femme et n’hésite pas à donner en pâture les prisonnières de guerre à ses soldats.

D'ailleurs, la transposition dans les années 1950s et ses costumes d'après guerre fonctionnent admirablement bien.


         La distribution, quant à elle, se hisse à un bon niveau. A commencer par la mezzo-soprano Kristina Hammarström qui dresse le portrait d'une Déjanire dévorée par sa jalousie maladive, qui la conduit à harceler son époux par des scènes répétées et insupportables. Son bas medium, sombre et corsé, est particulièrement séduisant et lui permet de colorer à loisir son interprétation. On admire également la clarté du texte mené par un phrasé fluide et savoureux. Pourtant, nous l'avons dit, le volume fait défaut ce qui ne permet pas à l'interprète de véritablement "exploser" dans la très attendue scène de la folie "Where shall I fly?". D'ailleurs, une scène, quelque peu décevante également du point de vue de la mise en scène. On aurait pu s'attendre à une scène spectaculaire à la hauteur de la partition. Au lieu de cela, le spectacle nous montre simplement une Déjanire essayant d'échapper à des infirmiers.

         Le personnage de Iole, interprété par la voix fraiche, ronde et séduisante de Lauren Lodge-Campbell, prend une dimension extrêmement émouvante et importante dans cette mise en scène. Sa souffrance, sa résistance en font un personnage majeur, notamment lorsque son père est exécuté au ralenti sous nos yeux. Cependant, le personnage tel qu'il est peint aurait mérité une interprétation un peu moins lisse. La chanteuse parvient, pourtant, à sensibiliser le personnage d'Hyllus qui est éconduit tel un mal propre. Ce dernier est en effet présenté comme un personnage hésitant et faible, qui ne sait pas comment plaire à Iole. La voix du ténor Moritz Kallenberg confirme comme l'an passé qu'il est la très bonne surprise de la soirée. Un artiste, qui a tout pour lui : un timbre de toute beauté, une voix solide et virile, des vocalises faciles et sonores, une projection généreuse. Chacune de ses interventions aura été marquante, et l'on compatit à sa souffrance, à son incapacité d'avancer et de réaliser ses désirs.

         James Hall, quant à lui, interprète avec panache le rôle du combattant Lichas. Il vocalise à souhait et son expressivité ainsi que la clarté de sa diction font des merveilles. Irrésistible scène finale avec un show dansant sur la table accompagné d'un chouette numéro de claquettes. Nous avions déjà eu l'occasion de mesurer les talents du contre-ténor lors d'un récital à Karlsruhe il y a trois ans, voir notre compte rendu. Dernièrement il s'est également distingué dans le rôle d'Andronico dans l'opéra de Tamerlano de Haendel au Théâtre Hackney de Londres.

         Enfin le rôle-titre d'Hercule n'a pas déçu, grâce à la voix et au physique imposants du baryton-basse Brandon Cedel (que l'on a déjà pu apprécier à l'opéra de Francfort ainsi qu'à Glyndebourne dans le rôle d'Argante dans l'opéra Rinaldo de Haendel). Même s'il n'a que peu à chanter, son omnipréssence dans ce rôle de mi homme mi Dieu, mi vivant mi fantôme et ses ailes sombres imposantes est marquante.

          Mention spéciale au chœur Händel-Festspielchor, uniforme et bien chantant, et aux membres de l'orchestre des Deutsche Händel-Solisten, passionnément engagés, sous la direction attentive et théâtrale de Lars Ulrik Mortensen. 


         En bref, un spectacle riche et intelligent, qui vous tient sous tension du début à la fin. Une totale réussite signée Floris Visser.  

                                                       Ruggero Meli

OTTONE

Georg Friedrich HAENDEL : OTTONE

Dramma per musica sur un livret de Nicola Francesco Haym

Badischesstaatstheater Karlsruhe, dimanche 26.II.2023 à 15h GROSSES HAUS

DEUTSCHE HÄNDEL-SOLISTEN 

Statisterie des BADISCHEN STAATSTHEATERS 

Direction : Carlo Ipata 

Mise en scène : Carlos Wagner 

Décors et costumes : Christophe Ouvrard 

Lumières : Rico Gerstner 

Dramaturgie : Dr. Matthias Heilmann

          Déroutante nouvelle production d'Ottone à Karlsruhe. Une esthétique et des décors somptueux mais une mise en scène brouillonne qui a tendance à altérer la compréhension de l'œuvre. Ottone hésite entre personnage ridiculement sensible (il s'évanouit facilement et s'adonne à l'alcool) et personnage héroïque qui règle abondamment ses comptes avec les autres puis leur procure bienveillance. Résultat, ce dernier manque de crédibilité et aurait tendance même à paraître artificiel. Même son amour pour Teofane laisse perplexe. En revanche, le personnage de Gismonda s'avère bien plus crédible et réel. Mère déterminée, manipulatrice et au fort caractère, ses machinations n'ont d'autre dessein que de porter son fils Adelberto sur le trône. Ces deux êtres semblent tout droit revenus d'entre les morts pour jouer les trouble-fêtes. Ils sont tout décrépis et tombent en poussière. Faits de plâtre, ils redoutent l'eau avec laquelle on les menace de les asperger. Tous ces personnages évoluent à l'intérieur d'un fascinant palais en ruine sur trois étages avec une série d'escaliers de part et d'autre. Le centre de la structure amovible, laissera place à un océan agité. L'effet visuel en sera sensationnel. Dommage que la mise en scène ne suive pas les qualités de ces effets de décor spectaculaires. On attend les idées qui vont faire décoller le spectacle, en vain. 

           Yuriy Minenko (qui remplace Max Emanuel Cencic initialement prévu dans le rôle) affiche une voix superbe, claire et souple, qui se plaît à jouer des ombres et lumières du plus bel effet.  

          Lucia Martin-Carton, annoncée malade, bien trop lisse voire fade, elle n'apporte pas grand chose au rôle de Teofane. Elle nous avait fait le même effet lors de l'Alcina de Florence dans le rôle de Morgana. 

          Sonia Prina en fait des tonnes côté drama queen, au point d'en devenir caricaturale voire risible. 

          Honnête prestation du baryton-basse Nathanaël Tavernier, dans le rôle du pirate Emireno (qui se révèlera être le frère de Teofane). On aurait aimé que son air "Nel minacciar del vento", un brin prudent, soit pris à un tempo plus rapide. 

          Raffaele Pe nous donne des frissons lorsqu'il utilise sa mezza voce à bon escient. Mais un voile gênant couvre sa voix par moments et vient altérer la beauté du timbre de l'interprète. Notez que le contre-ténor chantera très bientôt le rôle de Giulio Cesare à l'opéra de Cologne. 

          Reste la bonne surprise de la soirée, la mezzo-soprano Lena Belkina qui ne nous avait pourtant pas tellement enthousiasmé dans le rôle de Ruggiero dans Alcina à Wiesbaden il y a quelques années. Ici, dan ce rôle de Gismonda, une mère louve, un brin incestueuse, elle devient le personnage le plus intéressant. Sa voix superbe, profonde, solide et expressive convient bien à cette "Agrippina" qui tente tout pour mettre son fils sur le trône. 

          Saluons le chef Carlo Ippata à la tête des Deutsche-Händel Solisten pour son travail minutieux et pour avoir su rendre la partition vivante et passionnante.  

                                                       Ruggero Meli

LA RESURREZIONE

HAENDEL : LA RESURREZIONE, oratorio de Georg Friedrich Haendel HWV 47 

Badischestheater Karlsruhe, dimanche 26.II.2023 KLEINES HAUS 

HÄNDELFESTSPIELORCHESTER HALLE

Direction et clavecin : Attilio Cremonesi

Rafal Tomkiewicz dans le rôle de Cleofe

          Pour clôturer (ou presque, le festival n'est pas tout à fait terminé) de façon festive ce 45° Festival Haendel de Karlsruhe, la programmation a mis à l'honneur un chef-d'œuvre rarement donné du Caro Sassone : La Resurrezione. Un oratorio qui nous relate, par le biais de personnages allégoriques, la résurrection du Christ. Deux parties bien équilibrées de 55mn chacune, qui se terminent par un chœur festif. Des airs très enlevés mais qui appellent également au recueillement. Fort inspiré, Attilio Cremonesi, le chef bienveillant et qui sourit toujours, trouve le ton juste à son interprétation : entre théâtralité et spiritualité. Cette fois il dirige l'excellent Handelfestspielorchester Halle. 

          Côté solistes, le contre-ténor Rafal Tomkiewicz s'est particulièrement distingué. Très à l'aise dans toutes ses interventions, sa fougue communicative rend ses airs passionnants. Expressif à souhait, il sait rendre douloureux l'air "Piangete si piangete", ou enflammer ses vocalises dans un air tel que "Naufragando" avec un rythme légèrement jazzy et une partie centrale très contrastée, pleine d'affliction. Quelle bonne idée d'avoir distribué une voix de contre-ténor dans ce rôle habituellement donné à une mezzo-soprano. 

          La soprano Carine Maree Tinney tire son épingle du jeu par une solide technique qui lui permet d'affronter aisément les écueils du redoutable "Disseratevi porte d'Averno", entre autres. Elle sait rendre vivant les récitatifs et les airs expressifs. Pourtant, le public aurait certainement aimé une voix plus aérienne et légère que la sienne : terrestre et à la finesse relative, dans ce rôle de l'Ange.

Même chose concernant le baryton-basse David Ostrek, à l'impressionnant physique, et à la voix longue et souple. Malgré toutes ses qualités vocales et d'interprétations, on aurait aimé entendre une vraie basse dans ce rôle de Lucifer. 

Quant à la soprano Francesca Lombardi Mazzuli, dans le rôle de Maria Maddalena, théâtrale et opératique, elle semble avoir du mal à trouver la morbidezza nécessaire à ce rôle. Ses attaques souvent brusques, et un chant qui demanderait davantage de plénitude viennent contrarier l'écoute. Son duo "Dolci chiodi" nous a semblé bien déséquilibré face à un partenaire plus nuancé et plus délicat. Elle compense heureusement par son expressivité et son implication. 

Enfin le ténor Youn-Seong Shim, dans le rôle de San Giovanni, a su distiller une certaine dose de tendresse et d'émotion notamment grâce à des da capo fort inventifs mais son chant quelque peu scolaire a pu lasser. Bizarrement, les attaques du rapace dans l'air "Cosi la tortorelle" n'étaient pas audibles. 

Cette interprétation sera disponible prochainement sur cd chez Naxos. 

                                                       Ruggero Meli