Handel HERCULES, Karlsruhe 20.II.2022

HANDEL HERCULES   /   Karlsruhe Theater, Saturday 19.II.2022, 3pm

Musical Drama in 3 Acts by Georg Friedrich Handel 

Libretto by Thomas Broughton 

Edition by Peter Jones


Hercules Brandon Cedel, bass-baritone

Dejanira Ann Hallenberg, mezzo-soprano

Iole Lauren Lodge-Campbell, soprano

Hyllus Moritz Kallenberg, tenor

Lichas James Hall, countertenor

Nurse Annika Stefanie Netthorn


HÄNDEL- FESTSPIELCHOR  DEUTSCHE 

HÄNDEL-SOLISTEN  Statisterie des BADISCHEN STAATSTHEATERS 

Musikalische Leitung Lars Ulrik Mortensen 

Regie Floris Visser 

Ausstattung Gideon Davey 

Licht Malcolm Rippeth 

Chor Marius Zachmann 

Dramaturgie Klaus Bertisch, Stephan Steinmetz 

Choreografie Stepptanz Pim Veulings

all pictures: Falk von Traubenberg
Dejanira Ann Hallenberg, mezzo-soprano
Hercules Brandon Cedel, bass-baritone
Hyllus Moritz Kallenberg, tenor & Iole Lauren Lodge-Campbell, soprano
Dejanira Ann Hallenberg, mezzo-soprano & Hercules Brandon Cedel, bass-baritone

          Hercules, œuvre à part dans le catalogue haendélien, ni vraiment opéra ni vraiment oratorio, il porte la mention « Musical drama ». Son livret, l’un des meilleurs au service du compositeur, est tiré de la mythologie grecque et relate la mort tragique d’Hercule suite à la jalousie maladive de sa femme Déjanire. La partition de Haendel, superbe et variée, une œuvre qui a tout pour elle, est pourtant rarement donnée en concert et encore moins sur scène. Aussi, il est d'autant plus appréciable de saisir l'opportunité offerte par le festival de Karlsruhe qui la propose en version scénique avec la star du baroque Ann Hallenberg en tête d'affiche. La mezzo-soprano a déjà interprété le rôle avec panache notamment à Moscou en version de concert (video disponible). La dernière version scénique à laquelle BAROQUENEWS a pu assister remonte à 4 ans, à l’opéra de Mannheim dans de somptueux décors moyenâgeux et hivernaux, avec l'interprétation de l'impressionnante Déjanire de Mary-Ellen Nesi. 

          Ici, le spectacle savamment imaginé par Floris Visser au théâtre de Karlsruhe, commence par la fin. Dejanire est enfermée dans sa chambre (planches clouées aux portes, et camisole de force) et attend le verdict de son procès. Nous sommes conviés au tribunal où l’on juge Déjanire pour avoir été à l’origine de la mort d’Hercule (après lui avoir notamment offert une tunique meurtrière). Flashback, on revient au début de l’histoire où tous attendent anxieusement le retour du combattant: Hercule. La trame de l'œuvre est extrêmement claire et bien racontée grâce à plusieurs procédés tels que les flashbacks, les souvenirs, ou bien ce que s’imaginent les personnages (Déjanire nous fait pénétrer dans son esprit: la scène se fige sous une lumière verdâtre), par le biais d’un cercle rotatif au bord de la scène qui montre en images les faits relatés comme la mort du géniteur de Iole, etc. Tous ces procédés tendent à renforcer les sentiments et les émotions des protagonistes. Les faits ne sont plus seulement évoqués mais le public peut véritablement les vivre et les ressentir. Le réalisme du spectacle rend Iole ou Hyllus par exemple, fragiles et vulnérables. Le public compatit pleinement, et prend davantage en compte la souffrance des personnages.

          Dès les premiers instants de cette mise en scène, une tension voire une émotion toute particulière est palpable (un procès sous tension, une Déjanire en camisole de force), une sensation rare si précoce dans un spectacle, et qui s'atténuera pas tout du long, bien au contraire. C'est là l'un des points forts de cette mise en scène. 

Par ailleurs, le personnage d’Hercule n’est pas représenté ici comme le valeureux héros ou bien encore l'amant attentionné mais plutôt un chef de guerre barbare qui ne prend pas la peine d’avoir d’attentions auprès de sa femme et n’hésite pas à donner en pâture à ses soldats les prisonnières de guerre.

D'ailleurs, a transposition dans les années 1950s et ses costumes d'après guerre fonctionnent admirablement bien.


          Côté distribution on frise la perfection ! A commencer par la spécialiste de l'art lyrique baroque: la mezzo-soprano Ann Hallenberg qui dresse un portrait extrêmement tourmenté de son personnage Déjanire. On admire la clarté d'un phrasé fluide et naturel, son sens du drame, sans parler de ses talents d'actrices si peu communs (une simple œillade avec elle en dit tellement long). Sa diction, claire et expressive, fait des merveilles notamment dans les récitatifs dans lesquels chaque mot semble peser. En revanche, la scène de la folie n'a pas totalement convaincue: la voix d'Ann Hallenberg était par moment couverte par l'orchestre (en version de concert à Moscou la mezzo-soprano poussait plus loin encore l'interprétation notamment dans la cadence finale) et alors qu'on aurait pu s'attendre à un moment scénique spectaculaire à la hauteur de cette scène d'exception, le spectacle nous montre simplement une Déjanire essayant d'échapper à des infirmiers. 

          Le personnage de Iole, interprété par la voix fraiche, ronde et séduisante de Lauren Lodge-Campbell, prend une dimension extrêmement émouvante et importante dans cette mise en scène. Sa souffrance, sa résistance en font un personnage majeur, notamment lorsque son père est exécuté au ralenti sous nos yeux. Sa force de caractère séduit même le personnage d'Hyllus qui est éconduit tel un mal propre. Ce dernier est en effet présenté comme un personnage hésitant et faible, qui ne sait comment faire pour plaire à Iole. Pourtant, la voix du ténor Moritz Kallenberg aura certainement été la très bonne surprise de la soirée. Le ténor a tout pour lui: un timbre de toute beauté, une voix solide et virile, des vocalises faciles et sonores, une projection généreuse. Chacune de ses interventions aura été marquante, le public partage et compatit à sa souffrance, à son incapacité à avancer et réaliser ses désirs. 

          James Hall, quant à lui, interprète avec panache le rôle du combattant Lichas. Il vocalise à souhait et son expressivité ainsi que la clarté de sa diction font des merveilles. Irrésistible scène finale avec un show dansant sur la table accompagné d'un formidable numéro de claquettes. Nous avions déjà eu l'occasion de mesurer les talents du contre-ténor lors d'un récital à Karlsruhe il y a deux ans, voir notre compte-rendu

          Enfin le rôle-titre d'Hercules n'a pas déçu grâce à la voix et au physique imposants du baryton-basse Brandon Cedel (que l'on a déjà pu apprécier à l'opéra de Francfort ainsi qu'à Glyndebourne dans le rôle d'Argante dans l'opéra Rinaldo de Haendel). Présence forte avec ce personnage omniprésent mi homme mi Dieu, mi vivant mi fantôme et ses ailes sombres imposantes.  


          En bref, un spectacle riche et intelligent, qui ne laisse aucune place à l'ennui, et qui vous tient sous tension du début à la fin. Une totale réussite que l'on espère retrouver l'an prochain (chaque opéra scénique est repris l'année d'après à Karlsruhe).