HANDEL AGRIPPINA, LONDON 04.X.2019

LONDON: HANDEL AGRIPPINA

Libretto Vincenzo GrimaniSung in Italian with English surtitles

ROYAL OPERA HOUSE, 

Friday 04 October 2019 6.30pm


 

Orchestra of the Age of Enlightenment

Conductor Maxim Emelyanychev

Director Barrie Kosky

Set designer Rebecca Ringst

Costume designer Klaus Bruns

Lighting designer Joachim Klein

Dramaturg Nikolaus Stenitzer

Co-production with Bavarian State Opera, Munich, and Dutch National Opera.

PICTURES: Ⓒ Bill Cooper, Royal Opera House, London

         Even if Barry Kosky seems lacking inspiration in this Agrippina as compared to his phenomenal and successful Saul from Glyndebourne, his staging hides many surprises and works rather well thanks also to a very strong cast. Joyce Di Donato in the head role delivers an intense and highly dramatic interpretation. So does Lucy Crowe who seems to go beyond her limits to offer a real show. Iestyn Davies is perfect in the role of Ottone while Franco Fagioli despite a few unpleasant sounds sometimes, convinces in the role of the decadant immature Nerone. The rest of the cast was brilliant and the young Russian conductor Maxim Emelyanychev made wonders with the Orchestra of the Age of Enlightenment.

          L'opéra Agrippina est l'un des ouvrages les plus passionnants de Haendel: truculente œuvre de jeunesse composée durant la période italienne du compositeur. Outre une partition aux qualités musicales d'exception, il bénéficie d'un livret au sujet politico-amoureux absolument génial en mettant principalement en scène les stratèges d’une Agrippina prête à tout pour asseoir son fils Nerone sur le trône. Les personnages sont complexes et l’œuvre est parsemées d'intrigues, de rebondissements, de traitrises, de mensonges, de rivalités, d'amour et d'humour...), elle se prête idéalement à la scène et fait généralement le bonheur des metteurs-en-scène et des spectateurs. Bizarrement, Barrie Kosky semble plutôt en manque d'inspiration, il fait le choix d'une mise en scène sobre, avec pour seul décor un énorme bloc pivotant au centre de la scène, lui même constitué de plusieurs blocs métalliques avec persiennes qui peuvent être mus, reconstitués, s'imbriquer différemment à souhait, une façon peut-être de souligner la complexité des personnages et de leurs interactions. Ces derniers vont et viennent, montent et descendent dans cette structure qui devient un dédale de l'esprit. Le dispositif fonctionne plutôt bien mais nous sommes loin de la fabuleuse, subtile et géniale mise-en-scène de Saul de Glyndebourne qui nous avait tant enthousiasmée ! Reste quelques moments forts tels que le manège infernal et coquasse des jeux de cache-cache dignes des Nozze di Figaro ou le moment où Agrippina se transforme en chanteuse de pop musique, micro à la main et pleinement sonorisée dans son air triomphant "Ogni vento". Signalons aussi l'extravagance de certaines tenues vestimentaires tout à fait incroyables comme la robe jaune à volants de Poppea ou bien encore le costume décalé aux brillants imprimés de Nerone.

          Heureusement que l'un des blocs dans la seconde partie s'escamote pour laisser place à un intérieur constitué d'un salon / bar d'un blanc aveuglant et ainsi contraster avec la noirceur omniprésente qui régnait depuis le début de la représentation, une façon certainement de symboliser l'esprit tourmenté d'une Agrippina qui semble jouer sa vie, le spectateur se retrouvant au sein même de la noirceur de son âme tourmentée. Cette noirceur s'est même intensifiée dans son air "Pensieri, voi mi tormentati" chanté dans l'obscurité la plus totale au début de l'air. A lui seul, ce moment d'une émotion qui vous paralyse justifierait de voir ce spectacle. L'interprétation de la mezzo-soprano américaine Joyce Di Donato, rongée de l'intérieur, atteint ici un niveau dramatique d'une intensité inouïe, plus encore qu'en concert lors de la tournée avec l'ensemble Il Pomo d'Oro, elle balaie toutes réserves vocales que l'on aurait pu avoir jusqu'à présent aussi bien que son jeu de scène parfois outrageusement affecté, pour s'élever au panthéon des plus grandes tragédiennes de ce monde. Signalons que cette production a d'abord été montée à Munich en juillet dernier avec Alice Coote dans le rôle titre, et qu'en cherchant bien il est possible d'en retrouver la captation vidéo. De plus, Joyce Di Donato vient d'enregistrer l'oeuvre avec il Pomo d'Oro (sortie prevue dans quelques mois) et cette saison elle reprendra le rôle au Metropolitan de New York dans une autre production. Enfin, sachez que la production de Barrie Kosky sera de passage au Dutch National Opera la saison prochaine. 

          Sa rivale Lucy Crowe est incroyable en Poppea car même si la voix ne possède pas toute la tessiture du rôle, et laisse paraître ça et là quelques carences techniques et autres stridences vocales, elle se débat comme une diablesse, prend tous les risques, et se donne corps et âme pour faire briller son personnage à la fois scéniquement et vocalement ! Elle ne s'epargne en rien ! Quelle énergie ! Le spectacle est total et son personnage devient finalement un redoutable ennemi tout à fait crédible face à une Agrippina, dont l'écrasant niveau d'excellence aurait pu laisser place à un gouffre face à elle ainsi que face au reste de la distribution. L'audace de ses da capo font le bonheur d'un public enthousiasmé comme dans son air "Se giunge un dispetto" aux vocalises échevelées et débridées tout comme ses pas de danse ou encore dans l'air "Vaghe perle" aux divines notes piquées.

          Son bien-aimé, loyal sincère et quelque peu naïf est idéalement interprété par le contre-ténor Iestyn Davies, dont le timbre, la voix, la diction et la clarté du texte font merveilles ! Toute la scène dans laquelle il supplie chacun des personnages qui le rejète avec mépris à tour de rôle et terminé par son air déchirant "Voi che udite" restera certainement l'un des moments mémorables de cette soirée. 

          Le deuxième contre-ténor de la soirée Franco Fagioli campe un Nerone absolument convainquant dans ce rôle de jeune fougueux, un peu déjanté avec son tatouage sur le crâne, chatouillé par les hormones de l'adolescence, mais en partie castré par une mère qui régit tout à sa place, et avec laquelle il entretiendrait même une relation incestueuse (sous-entendu par la mise-en-scène). Le rôle, peut-être un peu haut pour lui, laisse paraître un timbre pas toujours très agréable à écouter, contraint de forcer sa voix dans cette salle aux grandes dimensions (en concert sa voix passait bien mieux). A noter la grande délicatesse de son air "Quando invita" qui contraste avec l'incroyable virtuosité de son "Come nube" qui a déchaîné la salle ! 

          Son géniteur l'empereur Claudio montre lui aussi plusieurs facettes, certes il est le monarque autoritaire mais compréhensif et quelque peu ridicule, mais il fait aussi preuve d'une belle forme physique: bondissant et athlétique avec un certain peps dont on n'a peu l'habitude de voir dans ce rôle. Vocalement, Gianluca Buratto n'appelle qu'éloges et admiration avec sa voix sonore et solide.

          Les deux compères, complètement manipulés par Agrippina, qui leur a fait miroiter amour et couronne, sont incarnés par le contre-ténor Eric Jurenas, tout à la fois faible trouillard et puéril à l'égal de sa voix certainement volontairement diminuée pour coller au personnage et le baryton-basse Andrea Mastroni, de sa voix d'airain et au timbre si séduisant, dont le jeu quasi sexuel prête à rire de bon cœur. Bizarrement il reproduit les défauts relevés dans son récent disque consacré au Caro Sassone, il allège tellement la voix dans les vocalises (chantées presque en mezza-voce) que son air "La mia sorte fortunata" en devient fade. On ne comprend pas bien pourquoi il procède de cette manière alors qu'il possède un instrument des plus brillants.  

          Enfin, une mention spéciale pour le baryton José Coca Loza dans le tout petit rôle de Lesbo, qui nous a enchanté dans chacune de ses trop courtes interventions: "Allegrezza, allegrezza" ! 

          Le succès de cette Agrippina n'aurait pas été complet sans la direction attentive, inventive et audacieuse du jeune chef russe Maxim Emelyanychev qui a su conférer un sacré caractère dramatique à cette musique.