ROME : Haendel Giulio Cesare & Gala des 3 contre-ténors 20-21.X.2023

          Un vent nouveau semble souffler sur l’Italie. En effet, la bella Italia montre des signes d’ouverture, certes encore et toujours timides, à la musique baroque. Les grandes maisons d’opéra programment sporadiquement des œuvres baroques : La Fenice a son cycle Vivaldi, La Scala avait débuté un cycle Haendel, l’an passé l’opéra de Florence accueillait Alcina… Aujourd’hui c’est l’opéra de Rome qui tente l’expérience en programmant le tube de Haendel : Giulio Cesare. Cinq représentations scéniques avec au sein de sa distribution : trois contre-ténors. Une vraie gageure dans un pays où cette voix a été longtemps ignorée pour ne pas dire exécrée. Alors proposer un récital des trois contre-ténors semblait presque relever de la provocation. En tous cas, le public était au rendez-vous et s’est montré enthousiaste. 

          Le contre-ténor italien Raffaele Pe s’est particulièrement distingué par la délicatesse et le raffinement de sa mezza voce qu’il sait mettre au service d’airs élégiaques tel le divin ‘Ombra fedele’ de Riccardo Broschi. A part quelques notes aiguës tendues, saluons également sa grande virtuosité. 

          Carlo Vistoli se caractérise, quant à lui, par la noblesse toute naturelle de son chant qu’il sait briser et contraster par le maniement subtil d'une force expressive débridée aux moments opportuns. La théâtralité de ses interprétations vous saisit et jamais le chanteur ne semble s’économiser. D’ailleurs il faut saluer son tour de force d'interpréter le rôle de Giulio Cesare à Luxembourg le jeudi en compagnie de Cecilia Bartoli, de filer à Rome pour ce récital des trois contre-ténors le vendredi, de chanter un rôle différent dans l’opéra Giulio Cesare, en l’occurrence Tolomeo le samedi avec un diapason et des coupes différents. Pour ce concert, nous retiendrons surtout son vibrant et éclatant air de Porpora ’Tu spietato’ mais aussi l’inattendu air de Gioachino Rossini ‘Di tanti palpiti’, brillamment interprété, qui montre les possibilités d’une voix protéiforme.

          Enfin la surprise est venue du jeune contre-ténor américain, Aryeh Nussbaum Cohen, que nous avions déjà entendu dans le rôle d’Athamas dans l’oratorio Semele à Glyndebourne ainsi qu’à Berlin dans l’oratorio Saul (rôle de David). Insolent de projection et de clarté vocale, son timbre reste toutefois très féminin. Il n’empêche qu’il a fait forte impression auprès d’un public charmé par la sensibilité de ses airs de douleurs notamment : ‘Stille amare’ de l’opéra Tolomeo de Haendel et le fameux ‘Che faro senza Euridice’ de Gluck.

Un programme qui a fait également la part belle à quelques duos et trios, dont un bis qui permettait une version inédite du fameux duo ‘Sound the trumpet’ de Purcell pour trois voix : un pur régal. 

          Reste que l’orchestre, malgré tous les efforts de Rinaldo Alessandrini, sonnait bien scolaire et anachronique. Mais l’intention était là. Espérons que ce concert, très hardi en terre majoritairement hostile aux contre-ténors, fasse des émules.

                                     Ruggero Meli

         Des décors léchés, modernes, élégants et sobres à la fois parés de couleurs tranchées, manichéennes : le blanc et le noir, la vie et la mort. Une mort omniprésente, véritablement mise en scène dans ce spectacle. Une figure clé que tous les personnages frôlent à un moment ou à un autre. La vie, fragile, semble constamment se jouer sur le fil du rasoir, un exercice d’équilibriste périlleux. Pompeo, dont Tolomeo a tranché la tête, déambule tel un fantôme sur la scène. Les Trois Parques, quant à elles, s'affairent, tissent leurs fils et se tiennent prêtes à les couper à tout moment. Des dizaines de fils rouges en guise de vies aux destinées aléatoires, finissent par envahir la scène entière : les personnages voient la mort de près. A l'image de Sesto qui voit son géniteur soulever sa propre urne et en verser le contenu. Une pluie de cendres s’abat alors sur la scène. Bref, la mise en scène de Damiano Michieletto nous met sous tension et en haleine, et tend à renforcer le caractère dramatique et théâtral de l’oeuvre.            

          Les personnages, quant à eux, ont été savamment pensés et dotés de personnalités atypiques. Cleopatra est loin d’être l’oie blanche trop souvent dépeinte. Ici, elle se révèle combative et pugnace mais fidèle à ses liens de sang : même si son frère Tolomeo se dresse en  ennemi à son égard, elle ne peut s’empêcher d'éprouver de l'affection (une relation incestueuse est même suggérée) : elle pleure son décès et ne peut se réjouir au moment de son grand air ‘Da tempeste’ qui s’apparente davantage, ici, à un air de folie qu’au traditionnel air d'exultation. Elle en veut terriblement à son meurtrier Sesto. D’ailleurs, Marie Bevan, très bonne actrice, transcende sa partie. Même si ses capacités vocales, pour ce rôle, n’excellent pas totalement, elle sait faire le show et rendre son personnage passionnant.       

      Tolomeo, quant à lui, est dépeint tel un dandy, chic, prétentieux, tout d’argent vêtu jusqu’à sa mèche de cheveux. Lui aussi, dans son grand air tyrannique 'Domero la tua fierezza', ne peut se résoudre à assujettir totalement sa sœur, il ressent pitié et retenue à son égard. L’incarnation physique et vocale de Carlo Vistoli est admirable et tout à fait crédible. Son Tolomeo n’est pas seulement cruauté et perfidie, il possède une part d’humanité et de grandeur d’âme.             Étonnamment, le temps ne semble avoir aucune prise sur la voix du superbe contralto de Sara Mingardo. Déjà en 1989, chantait-elle dans cet opéra (rôle de Nireno dans l’enregistrement du chef Marcello Panni), c’est dire la longévité de cette voix exceptionnelle. Son timbre de velours nous charme toujours autant. Elle dépeint une Cornelia meurtrie, digne et noble tout à la fois.

           Son fils Sesto, interprété par le contre-ténor montant Aryeh Nussbaum Cohen, possède une voix percutante qui sied idéalement à ce jeune homme avide de vengeance. L’on pourra toutefois déplorer une virtuosité pas tout à fait au point encore et une gestion du volume inégale. En effet, un air élégiaque tel que 'Cara speme’ aurait pu bénéficier d’une dose de délicatesse et de plénitude supplémentaire.       

        Le Cesare de Raffaele Pe remporte l’adhésion. Un rôle désormais bien rodé : virtuosité, force et tendresse caractérisent son personnage.      

        Mention spéciale pour le Curio de Patrizio La Placa et un avis plutôt réservé concernant les personnages de Nireno et Achilla, respectivement chantés par Angelo Giordano et Rocco Cavalluzzi.      

       En bref, une production macabrement élégante dont la tension ne vous quitte pas et une distribution convaincante. Dommage que l’orchestre sonnait de façon si apathique et ce, malgré les efforts du chef Rinaldo Alessandrini.                       

                                  Ruggero Meli