Cologne Handel Giulio Cesare 6.V.2023

Opéra de Cologne, StaatenHaus am Rheinpark, le samedi 6 mai 2023 à 19h. Première.

Georg Friedrich Haendel : Giulio Cesare

opéra en trois actes sur un livret de Nicola Francesco Haym, d´après Giacomo Francesco Bussani.  

GÜRZENICH-ORCHESTER KÖLN

STATISTERIE DER OPER KÖLN

Direction musicale : RUBÉN DUBROVSKY

Mise en scène : VINCENT BOUSSARD 

Scénographie : FRANK PHILIPP SCHLÖSSMANN

Costumes : CHRISTIAN LACROIX et ROBERT SCHWAIGHOFER 

Vidéo : COLAS HURTEVENT 

Lumières : ANDREAS GRÜTER 

Dramaturgie : SVENJA GOTTSMANN

Giulio Cesare : Raffaele Pe, contre-ténor
Adriana Bastidas-Gamboa (Cornelia), Anna Lucia Richter (Sesto)
Silke Natho (actrice), Sonia Prina (Tolomeo)
Photos © Karl & Monika Forster

Fantasque Giulio Cesare à Cologne

              Savant mélange de beauté esthétique (des paysages à couper le souffle), d’humour et de dérision (clowns, Tolomeo nu comme un vers, des éclats de rire communicatifs…) de costumes invraissemblables, de réelles émotions (certaines scènes sont bouleversantes). Voilà ce qu’a imaginé le metteur en scène Vincent Boussard pour valoriser l’opéra Giulio Cesare de Haendel à l’opéra de Cologne.            

           Extrêmement bien préparés en cette première d’une série de 8 représentations, tous les interprètes n’ont rien laissé à l’approximation. L’orchestre, principalement constitué d’instruments modernes, a révélé un tempérament fougueux et revitalisant sous la direction tonique du spécialiste baroque Ruben Dubrovsky, tandis que les chanteurs ont proposé des arias sophistiquées, émaillées de fioritures audacieuses et maîtrisées.            

          Ce qui fait avant tout la beauté de cette production, ce sont ces images léchées, d’un ciel immense en mouvement projeté sur l´arriere-plan de la scène. Et cette lune, superbe, fascinante, omniprésente qui semble rendre les hommes fous.  

          Les costumes de Christian Lacroix, classieux, noirs comme le corbeau, baroques, élégants et un brin décadents, avec ce je ne sais de quoi du Marquis de Sade ou de Laclos, fascinent. Ils contrastent avec des costumes contemporains comme celui de Cleopatra qui porte élégamment un costume d’homme d’affaires, ou bien la nudité de Tolomeo qui exhibe fièrement et de façon provocatrice son phallus proéminent tout au long de l’opéra, ou encore celui de Sesto, futuriste, qui semble sorti tout droit de Star Trek ou de la Guerre des Etoiles. Des décalages visiblement pensés et assumés qui contribuent à la folie de cette production. Un décalage qui sert aussi à distinguer et visualiser la rivalité entre Cesare et son équipe et celle de Tolomeo. En effet, cette dernière arbore des masques de clowns sympathiques et inquiétants tout à la fois, on n’est pas loin du film Orange Mécanique.  

          Aussi, le public passe par toutes les émotions : il s’amuse, il rit, il prend peur, il est touché par les plaintes de Cleopatra ou bien lorsque Achilla tombe le masque, comme pour dire « fini la plaisanterie, je t’aime pour de vrai Cornelia ». Bref, pas le temps de s’ennuyer, les 3h de spectacles passent en un rien de temps. 

          Côté solistes, la distribution réunie en cette première (une distribution partiellement différente intervient sur certaines dates) frôle la perfection. Gros coup de cœur pour la Cleopatra de Kathrin Zukowski, le Sesto de Anna Lucia Richter et la Cornelia d´Adriana Bastidas-Gamboa

          Pour avoir assisté à de nombreux Giulio Cesare, et avoir entendu autant de Cleopatra différentes, il paraît difficile de nous surprendre. C’est pourtant ce qu’a réussi à faire Kathrin Zukowski. Sa voix légère, souple, délicate et aux aigus cristallins nous a ravi. Avec d’exquises et audacieuses fioritures, elle a fait du personnage un enchantement et a su rafraîchir voire même renouveler le rôle tout en conservant une sincérité et une émotion à fleur de peau ! Pas si facile à réaliser. On se souviendra longtemps de son déchirant 'Piangero' et son bouleversant  'Se pietà'. Elle termine sa prestation dans un superbe numéro de vocalises : un 'Da tempeste' brillant et légèrement jazzy.  

          La voix veloutée, chaude et profonde d´Adriana Bastidas-Gamboa sied idéalement au rôle de Cornelia. Ce rôle parfois long et ennuyeux retrouve toute sa force émotionnelle dans le gosier de cette interprète. Son duo avec son fils Sesto nous a procuré le frisson.  

          Justement, c´est à un Sesto de luxe auquel le public a eu droit avec avec Anna Lucia Richter. Sacré parcours pour cette chanteuse qui avait débuté une belle carrière en tant que soprano mais qui personnellement nous avait laissé un peu perplexe pour ne pas dire peu convaincus. Puis l’artiste a subitement opéré un changement de registre et chante désormais avec une voix de mezzo-soprano. Le résultat est bluffant. La voix est superbe, un vrai beau mezzo, souple, rompu aux techniques baroques et qui semble se jouer de toute les difficultés. Suffisamment rare pour le signaler, elle nous a offert de superbes trilles. Chacun de ses airs a pu se déguster comme du bon vin et avec enthousiasme.   

          Jamais nous ne pensions pouvoir apprécier la voix, un brin vulgaire, caricaturale de la contralto Sonia Prina. Pourtant elle a réussi à nous faire mentir, en endossant à la perfection, un rôle à la démesure de sa voix et de son personnage. Un Tolomeo provocateur, moqueur, décalé, vulgaire, lascif, arrogant, dérangeant, cruel, et rigolard. C’est ce personnage incroyable qu’a réussi à créer Sonia Prina. Sa voix devient un régal sous les traits de ce personnage. Alors que l'on a l’habitude de voir la supériorité et la malice de Cesare déjouer celle de Tolomeo dans l’air ‘Va tacito’, ce spectacle s’accorde à montrer le contraire : Cesare est complètement discrédité et ridiculisé par les rires moqueurs de Tolomeo et de son équipe qui 's’en payent une bonne tranche'. 

          Reste le cas de Raffaele Pe dans le rôle de Cesare, dont la voix virtuose aux pianissimi sublimes côtoient parfois un timbre peu agréable voire laid. On est partagé entre admiration et gêne. Il compense ces écueils grâce à l’intelligence et l’audace de fioritures élaborées et fort bien pensées comme dans l’arioso d’entrée et l’air 'Empio diro tu sei'. Pas toujours bon acteur, il inspire tout de même grandeur et respect grâce à une prestance et élégance naturelles.   

          Achilla, incarné par le baryton Matthias Hoffmann, s’acquitte efficacement de son rôle, sans plus. On aurait préféré une voix plus sombre dans ce rôle. Enfin, les deux petits rôles de Nireno et Curio, n’apportaient rien de particulier vocalement.   

          Une production qui a su trouver le bon équilibre entre drame, légèreté, humour et grain de folie. On passe par toutes les émotions et surtout on passe un excellent moment.

                                                                                             Ruggero Meli