Corselli ACHILLE IN SCIRO, Madrid 17.II.2023

Francesco CORSELLI (1705-1778) : Achille in Sciro

Opera drammatica in three acts  

Libretto by Pietro Metastasio  

Premiered for the firts time at the Real Coliseo del Buen Retiro de Madrid, 8 December 1744 

Retrieved by the Instituto Complutense de Ciencias Musicales (ICCMU)  

Madrid, Teatro Real vendredi 7 février 2022 19h30 (premiere)

New production of the Teatro Real, in co-production with Theater an der Wien   


Licomede | Mirco Palazzi  

Ulises | Tim Mead   

Deidamia | Francesca Aspromonte   

Teagene | Sabina Puértolas  

Achille / Pirra | Gabriel Díaz (Franco Fagioli autres dates)

Arcade | Krystian Adam  

Nearco | Juan Sancho

Baroque Orchestra of Seville  

Principal Chorus of the Teatro Real

Musical Conductor and harpsichordist I Ivor Bolton  

Stage Director I Mariame Clément   

Stage and Costume Designer I Julia Hansen  

Choreographer I Mathieu Guilhaumon  

Lighting Designer I Ulrik Gad  

photos © J. del Real

Une ode à la liberté

          Achille in Sciro, opéra oublié, que le public madrilène était supposé découvrir il y a trois ans. C’était sans compter sur la pandémie de la Covid-19 qui stoppa net la production la veille de sa première. Un soulagement de la voir reprise après tout le travail et les efforts entrepris par le théâtre et les équipes. Malheureusement, en cette soirée de première, un autre problème vient l’entacher. En effet, contraint de déclarer forfait, le très attendu Franco Fagioli souffrant, a dû céder le rôle-titre au contre-ténor Gabriel Diaz, appelé à la rescousse pour sauver l’opéra. Le livret de Métastase, que l’on connaît par le biais d’autres opéras telle que la Deidamia de Haendel, relate l’histoire d’Achille, ce héros grec, dont il a été prédit une mort certaine s’il participait à la guerre de Troie. Sa mère Thétis, pour le protéger, le déguise en une jeune fille nommée Pirra et le dissimule au milieu d’un groupe de femmes. Parmi elles, se trouve sa bien aimée Deidamia. Ulysse arrivé sur l’île de Scyros, découvre la supercherie et enjoint Achille à venir se battre. Achille s’exécute, laissant sa Deidamia éplorée et désespérée. Il reviendra sain et sauf.  

Avant même que l’ouverture de l’opéra n’ait commencé, et que le rideau ne se soit levé, le spectateur peut contempler en bordure de scène une jeune fille revêtant un costume de marquise, qui s’adonne à la lecture d’un roman, visiblement  passionnant. Il pense alors assister à une transposition du lieu de l’opéra et passer de la Grèce antique à la noblesse du XVIIIem siècle. Il n’en sera rien, l’opéra prendra bien place à l’époque des héros grecs (toges blanches) et le spectateur va vite réaliser qu’il suivra tous les événements au travers des yeux de la jeune fille et de sa lecture voire de son imagination. En effet, elle rêve secrètement de pouvoir épouser, comme Deidamia, celui qu’elle aime. Mais ses parents en ont décidé autrement et viennent lui présenter son futur époux. A peine ces derniers partis, elle se replonge dans sa lecture (pratique réprouvée par sa mère, car cela pourrait lui donner de mauvaises idées). Le rideau, une fois levé, nous plonge au cœur de l’île de Scyros et plus particulièrement sur une structure rocheuse aux formes insolites, fascinante et impressionnante. Un décor qui a l’avantage de favoriser des déplacements spatiaux divers et variés, et à des hauteurs variables (deux passerelles, des creux, des escaliers). On imagine la mer derrière ces falaises. D’ailleurs dans la seconde partie, un impressionnant navire viendra s’amarrer à l’arrière de ces rochers.  

Restée seule et triste, la lectrice va vivre son émancipation au travers du drama giocoso d’Achille et Deidamia. En effet, le roi vient présenter le futur époux à sa fille Deidamia, qu’elle feint d’accepter dans un premier temps pour contenter son père et se conformer aux conventions. Puis elle le rejètera et clamera son droit à la liberté et à son libre arbitre. Son père, d’abord intransigeant, finira par lui accorder la main d’Achille. L’opéra se terminera sous la forme d’une liete fine particulièrement festive. Seule la jeune lectrice demeurera malheureuse, n’ayant d’autre choix que d’épouser celui qu’on lui a imposé.  

Tout dans cette production parle de liberté, d’émancipation, d’ambiguïté sexuelle, de mélange des genres (le mari choisi par le roi est chanté par une soprano quand Achille, contre-ténor, est déguisé en donzelle...). Les personnages souffrent du poids des traditions et du conformisme, et se battent pour s’en défaire, à l’image de Deidamia qui dans l´un de ses airs se retrouve aux prises avec un voile blanc qui voudrait l’emprisonner (une idée simple, pourtant tellement chargée de sens) ou d’Achille qui aimerait définitivement se débarrasser de ses vêtements de femme mais qui doit se raisonner et les remettre. Des thématiques imagées par un livret qui fait la part belle au bestiaire. Les airs parlent d’oiseaux en cage, de tigres ou de lions hésitants, etc…  

Un opéra faussement naïf et une production légère qui se déclinent en petites touches humoristiques et en délicieux quiproquos. Juste ce qu’il faut, sans jamais tomber dans le ridicule ou les gags trop lourds (le roi tente des approches coquines auprès de cette Pirra qui n’est autre qu’Achille, etc…). Les 2h40 de spectacle passent sans difficulté et jamais on ne s’ennuie. Quant à la musique de Francesco Corselli, un baroque tardif, elle révèle une partition tonique et brillante rehaussée par des cors et trompettes.              

          Le contre-ténor Gabriel Diaz nous a surpris par son implication, la clarté d’une voix bien projetée, par ses facilités à vocaliser. Sa voix plutôt homogène peut l’amener à émettre des sons très bas à la façon d’un Franco Fagioli barytonant. Seulement, ses notes aiguës sonnent tendues et toute la partie haute de la voix tend à le dévaloriser. Des écueils qui ne l’ont pas empêché de faire le show dans une partition qui le mettait particulièrement en valeur. Notamment dans l’air avec psaltérion et castagnettes ou bien le touchant et très mélodieux ‘Potria fra tante penne’.  

          La surprise est venue du “trousers role” de Teagene (le futur mari imposé à Deidamia), brillamment interprété par la soprano Sabina Puertolas qui, avec trois airs seulement, a enflammé le public du Teatro Real. Son naturel, son implication et son jeu de scène rendent son personnage irrésistible. Les airs sont redoutables et sont écrits avec des sauts d’octave en forme de montagnes russes. En plus d’une technique imparable, la soprano a su ajouter le grain de folie qui manquait à ce spectacle, notamment dans son premier air dans lequel elle se débarrasse de son déguisement d’homme pour retrouver sa féminité. A lui seul, cet air justifierait tout déplacement.  

           Interventions remarquées du roi Licomede, incarné par Mirco Palazzi qui a su s’imposer de sa belle voix de baryton-basse avec parfois quelques écueils dans la partie haute.  

          Ulysse, interprété par le contre-ténor Tim Mead, à la voix chaude et virile, n’a pas démérité face à ses excellents collègues.   

          Francesca Aspromonte, dans le rôle de Deidamia, a été particulièrement convaincante. Son expressivité n’a eu d’égal que la beauté de son soprano : riche, central, avec la possibilité de briller dans des cadences particulièrement audacieuses et hautes.    

          Les deux acolytes, l’un serviteur d’Ulysse, nommé Arcade, l’autre serviteur d’Achille, nommé Nearco, respectivement interprétés par l’excellent ténor Chrystian Adam qui s’est notamment distingué grâce à un air sobre mais extrêmement mélodieux, et le non moins excellent ténor Juan Sancho qui n´avait malheureusement que des interventions fort limitées mais fort appréciables.  

          Enfin cette superbe distribution n’aurait pu totalement briller sans le soutien enthousiaste et inspiré du chef Ivor Bolton et du Monteverdi Continuo Ensemble ainsi que de l’orchestre Baroque de Séville.  

Un spectacle léger qui invite à se libérer avec humour des contraintes sociétales et à vivre pleinement ce que l’on est.   

Une diffusion vidéo sera bientôt disponible.