Francfort : HERCULES de Haendel 10.X.2024
FRANCFORT 10.X.2024 : Hercules minimaliste et sciemment avare
Georg Friedrich Haendel (1685–1759) : HERCULES, drame musical en trois actes sur des textes de Thomas Broughton. Première éxécution le 5 janvier 1745 au King's Theatre, Haymarket de Londres. Reprise du spectacle de la saison dernière. Co-production avec le Komische Oper Berlin. Chanté en anglais avec des sous-titres anglais et allemands.
Opéra de Francfort, le jeudi 10 octobre 2024 à 19h.
Hercules : Anthony Robin Schneider, basse
Dejanira : Paula Murrihy, mezzo-soprano
Hyllus : Michael Porter, ténor
Iole : Giulia Semenzato, soprano
Lichas : Kelsey Lauritano, mezzo-soprano
Prêtre de Jupiter : Sakhiwe Mkosana, basse
Oper Frankfurt's Chorus
Frankfurt Opern- und Museumsorchester
Chef d'orchestre et clavecin : Laurence Cummings
Metteur en scène : Barrie Kosky
Direction scénique de la reprise : Alan Barnes
Décors et costumes : Katrin Lea Tag
Lumières : Joachim Klein
Chef des choeurs : Tilman Michael
Dramaturgie : Zsolt Horpácsy
Du point de vue du décor : quatre planches (faites de panneaux de bois à l'état brut, marron clair) encadrent la scène et assise sur un canapé, la statue d’Hercules trône sur le côté droit de la scène. Dans la deuxième partie, un panneau, qui a été retiré, laisse entrevoir un morceau de ciel, le canapé a disparu et une nouvelle statue d’Hercules se tient debout, toujours sur le côté droit de la scène. Un rideau couleur crème recouvre toute la surface du panneau de fond de scène. Les costumes sont quelconques, voire laids pour certains.
Un spectacle volontairement resserré sur le drame et qui tente d'éliminer tout ce qui pourrait le parasiter (décors, costumes) pour se retrouver au plus proche des sentiments des personnages et de la figure d'Hercules (c'est le personnage qui a le moins à chanter, pourtant il est omniprésent et reste au cœur du drame). Voilà certainement les intentions du metteur en scène Barrie Kosky. Seulement, le résultat n'atteint pas vraiment la hauteur de ces louables intentions. Il donne plutôt le sentiment de décors à l'économie, d'une esthétique sabotée, de pauvreté des idées, de facilité voire de malhonnêteté intellectuelle.
Le spectacle repose alors sur des suggestions et des impressions que le spectateur peut ressentir telle que la sensation étrange de se retrouver dans un cercueil. Le rideau servant de linceul ?
Nous sommes loin de la luxueuse mise en scène de Karlsruhe si juste, subtile, à la fois descriptive, réaliste et suggestive, riche de détails (voir notre compte rendu). Ici le quasi néant doit être comblé par le jeu de scène des chanteurs et choristes.
C’est ce que s’attache à faire brillamment Paula Murrihy en jouant la carte de la folie dès le début de l'oratorio, notamment dans l’air 'Begone, my fears'. Bonne actrice, son plein investissement procure une intensité qui donne le frisson. Vocalement, la chanteuse se sort de toutes les difficultés de la partition avec honneur et brillance. Elle vocalise admirablement et ajoute de la déclamation à son chant. D’aucuns pourraient souhaiter, cependant, une voix plus sombre dans ce rôle. En tous cas, sa scène de la folie 'Where shall I fly?' est largement plus crédible et puissante que celle de la production de Karlsruhe.
Anthony Robin Schneider, dans le rôle d'Hercules, possède une voix proportionnelle à la démesure physique du colosse qu'il est. Impressionnant, il offre une scène violente et traumatisante de sa douloureuse agonie après avoir porté la chemise empoisonnée que lui a remis Dejanira. En effet, bernée par Nessus, ce dernier lui avait confié une tunique faussement supposée servir de philtre afin de reconquérir son amoureux s'il la délaissait. Les convulsions au rythme de la musique sont saisissantes, tout comme les vocalises.
Dans cette reprise de l’œuvre, Giulia Semenzato reprend le rôle de Iole, initialement interprété par l'excellente Elena Villalon. Et tout comme sa consœur, elle excelle et nous donne à entendre une interprétation ardente et passionnée de son personnage avec de brillantes cadences et da capo. Elle se révèle absolument bouleversante dès son arrivée lorsqu'elle évoque la mort de son géniteur : l’un des moments les plus poignants de ce spectacle. Spectacle qui s'attache aussi à montrer une rivalité démesurée entre elle et Dejanira. Deux femmes qui voudraient s’apprécier mais qui n’y parviennent pas, trop défiantes. Se battent-elles pour le même homme, Hercules ? Ou est-ce Iole qui, pour se venger de l'agressivité que lui porte Déjanira, le lui fait croire ? A ce niveau, on sort du livret de Haendel. Iole, elle-même, est prise de démence dans son air 'Ah think what ills', dans lequel elle violente puis console et embrasse sa rivale de façon frénétique, incontrôlée, pour finir dans une crise explosive. Dans tous les cas, nous sommes loin de la Iole trop souvent interprétée par une oie blanche.
Le prétendant de Iole, Hyllus, est lui aussi brillamment interprété par la voix percutante du ténor Michael Porter. Après avoir entendu Loritz Kallenberg à Karlsruhe dans ce même rôle, on ne pensait pas trouver un aussi bon interprète. Or, le timbre est somptueux et l'homogénéité des registres de ténor mêlée à celui de baryton est admirable. Avec des vocalises faciles et agiles, il nous a fait vibrer. A croire que la démence est contagieuse dans ce spectacle, lui aussi aura sa scène de folie dans l'air palpitant 'Let not fame' suite à la mort de son père Hercules. Ce personnage présenté ici comme fragile et faible (il se recroqueville dans les bras de sa maman dans l'air 'Where congealed the northern streams'), qui subit les évènements sans jamais pouvoir agir, semble parfois en totale contradiction avec sa voix virile, solide et à l'admirable prestance.
Quelle surprise de retrouver la mezzo-soprano Kelsey Lauritano dans le rôle de Lichas en bonne forme vocale alors qu'elle s'était montrée plutôt décevante en 2013. Avec une voix plus homogène et des couleurs intéressantes, elle fait de Lichas un personnage intéressant. Sa facilité à vocaliser et la chaleur de son timbre nous ont séduit.
Enfin, une ultime bonne ou plutôt excellente surprise est venue du tout petit rôle du prêtre interprété par la voix caverneuse et bien timbrée de la basse Sakhiwe Mkosana. Quel luxe !
Superbes interventions du chœur qui s'est adonné à des chorégraphies relevant de rituels et dont la gestuelle produisait parfois des formes verticales multicolores évoquant les flammes de l'enfer. On retiendra surtout son 'Jealousy', intense et menaçant, qui clôturera la première partie après avoir glacé le public au fond de son fauteuil.
Last but not the least, signalons la baguette alerte, juste et attentive mais sans surprise du chef spécialiste Laurence Cummings.
Ruggero Meli