HANDEL Deidamia Brunswick 26.I.2012

Georg Friedrich Haendel (1685-1750) : DEIDAMIA ♥ ♥ ♥ ♥ 

Opéra en trois actes sur un livret de Paolo Antonio Rolli. Version de concert. 

Brunswick. Staadtheater. 26-I-2012. 

Deidamia: Karina Gauvin ♥ ♥ ♥ ♥ ♥ 

Ulisse: Marie-Claude Chappuis ♥ ♥ ♥ ♥ 

Nerea: Roberta Mameli ♥ ♥ ♥ ♥ ♥ 

Achille: Klara Ek ♥ ♥ ♥ ♥ ♥ 

Fenice: Johannes Weisser ♥ ♥ ♥ ♥ ♥ 

Licomede: Antonio Abete ♥ ♥ 

Orchestre: Il Complesso Barocco

direction: Alan Curtis ♥ ♥ 

Comme nous le rappelle Donna Leon (écrivaine de policiers, mécène de l’ensemble Il Complesso Barocco et amoureuse de la musique de Haendel) introduisant l’œuvre en anglais, Deidamia traite de l’héroïsme masculin dans la Grèce antique en mettant en scène des protagonistes tels que Achille ou Ulysse ; sujet bien connu des contemporains de Haendel, ce dernier s’essayant une dernière fois à la composition d’opéra avant de se tourner définitivement vers l’oratorio.

Achille, afin d’échapper à une mort prédite, est contraint de se dissimuler sous les traits d’une jeune femme. Lors de cet exil, il vit une passion amoureuse avec Deidamia. Mais Ulysse, qui a besoin de son aide pour sauver le peuple grec, finit par le démasquer en usant d’un « fin » subterfuge. Deidamia, délaissée est effondrée. Finalement le héros n’est pas celui qu’on croit, il s’agit d’une femme : Deidamia qui devient une héroïne tragique ; une façon peut être pour le compositeur d’annoncer la fin du genre de l’opéra seria héroïque masculin. D’ailleurs l’interprétation qu’en a donné le chef Alan Curtis et ses chanteurs, suit cette idée : Deidamia se mue au fil de l’œuvre en grande tragédienne quand son amant Achille, le prétendu héros, reste immature et martial, se prenant à rêver d’être un grand guerrier. Il semble d’ailleurs avoir été ignoré par le compositeur à la fin de l’opéra lorsque Deidamia chante le seul duo de l’ouvrage non pas avec lui mais avec un autre personnage: Ulysse.

Notons qu’Alan Curtis a déjà enregistré l’œuvre il y a 10 ans avec un certain succès grâce à une distribution de haute volée regroupant notamment les brillantes et très inspirées Simone Kermes et Anna Bonitatibus. Le cast réuni pour ce concert se révèle bien différent surtout au regard du rôle titre : là où Simone Kermes tirait le rôle vers l’aigu, Karina Gauvin affiche une voix plus centrale et ronde autour d’un medium solide et riche, ces mêmes qualités tant appréciées dans le rôle de Cleopâtre au TCE à Paris. Délicat et ravissant air du rossignol « Nasconde l’usignol », déchirant « Se’l timore » où les notes se meurent. Véhément « Va perfido » accompagné de ses difficultés techniques passées avec brio. Citons encore l’air « M’hai resa infelice » dont les tempos contrastés ont eu un effet saisissant. Elle dote son héroïne d’une grande force dramatique évolutive qui contraste avec la caractérisation plus simpliste des autres personnages.

Son amant Achille amuse par sa légèreté ainsi que par sa fraîcheur juvénile, il est admirablement chanté par la fougueuse soprano Klara Ek au timbre clair-obscur, qui brûle les planches et enflamme la salle notamment dans un sensationnel « Ai Greci ». Marie-Claude Chappuis, de sa voix claire et sonore, campe un Ulysse passionnant. Certes, elle ne possède pas toute la palette de couleurs d’une Bonitatibus, mais compense aisément par son investissement vocal et scénique, conférant à son personnage une certaine grandeur qui inspire le respect (son vêtement de chevalier aidant). Elle a fait notamment forte impression dans l’air « No, quella beltà non amo ». En confidente de Deidamia, Roberta Mameli a offert à son personnage la grande homogénéité d’un instrument particulièrement long à la technique baroque aguerrie, venant à bout des redoutables changements de registres de son tout premier air « Diè lusinghe ». Déjà remarquée lors de l’opéra Teuzzone de Vivaldi à Versailles, il faut désormais la compter parmi les grandes sopranos baroques du moment ! Ce quatuor de sopranos à priori fort semblables sur le papier s’est révélé bien surprenant en affichant des différences de timbre peu commun, chacune contrastant avec les autres, favorisant ainsi la caractérisation distincte des personnages ainsi que la clarté de l’œuvre. Quatre tempéraments bien trempés idéalement distribués !

Dans les rôles secondaires, Johannes Weisser, sensuel et enflammé dans son air « Presso ad occhi esperti già » a fait valoir son beau timbre de baryton-basse. Quant à Antonio Abete, seul rescapé du disque et père chevrotant de notre héroïne, il suscite l’attention dans le très poétique « Nel riposo ».

Cette Deidamia, très rarement donnée (certainement dû à une intrigue plutôt faible), est heureusement porté par des solistes de premier ordre, même si l’orchestre n’apporte pas toujours une réponse à la mesure de l’engagement exceptionnel des chanteurs, l’œuvre passe du statut d’opéra seria à priori banal à celui de tragédie grecque grâce à la Deidamia éminemment dramatique de la soprano canadienne Karina Gauvin. Hasard du calendrier, l’œuvre sera très bientôt mise en scène à Amsterdam. Affaire à suivre.