MONTE CARLO : Haendel Giulio Cesare 26.I.2024

Cléopâtre et Jules César sur le Titanic

Opéra de Monte Carlo, vendredi 26.I.2024 à 19h.

Georg Friedrich Haendel : Giulio Cesare, opéra en trois actes sur un livret de Nicola Francesco Haym, d´après Giacomo Francesco Bussani. 

Giulio Cesare : Carlo VISTOLI, contre-ténor

Cleopatra : Cecilia BARTOLI, soprano

Sesto : Kangmin Justin KIM, contre-ténor

Cornelia : Sara MINGARDO, contralto

Tolomeo : Max Emanuel CENCIC, contre-ténor

Achilla : Peter KALMAN, baryton-basse

Nireno : Federica SPATOLA, mezzo-soprano

Curio : Luca VIANELLO : baryton-basse

Choeur de l'Opéra de Monte Carlo. 

Orchestre Les Musiciens du Prince Monaco. 

Direction : Gianluca CAPUANO 

metteur en scène : Davide LIVERMORE

Assistant à la mise en scène : Aida BOUSSELMA  

Décors :  Giò FORMA  

Costumes : Mariana FRACASSO  

Lumières : Antonio CASTRO  

Vidéos : D-WOK

Chef de chant : Marie-Eve SCARFONE  

Chef de chœur : Stefano VISCONTI  

Assistant chef d’orchestre : Davide POZZI

          Hasard du calendrier, la veille de ce Giulio Cesare de Haendel, nous avons assisté à un autre Cesare à l’opéra de Paris sous la baguette atone d’Harry Bicket et le spectacle sympathique mais peu théâtral de Laurent Pelly. À Monte Carlo, c’est tout l'inverse ! Une direction d’orchestre survitaminée, inventive et théâtrale ainsi qu'un spectacle fourmillant d'idées, dans lequel chaque moment devient un danger pour les espoirs de personnages qui semblent constamment sur le fil du désespoir. On se met à trembler pour eux, à comprendre leur émotions, leur envie de vengeance, etc…

          Dès l’ouverture, le spectacle imaginé par Davide Livermore, nous emporte dans un tourbillon orchestral et scénique : c’est l’effervescence des grands départs. Les personnages s’affairent pour embarquer sur un navire de croisière allant de Rome en Égypte, le tout dans une grande pagaille. Cesare est accueilli en héros par tous les passagers du bateau. Mais à la vue de la tête décapitée de Pompeo, il entre dans une colère foudroyante. L'air ‘Empio diro tu sei’ est accompagné par un visuel spectaculaire : un ciel menaçant et une mer qui se déchaîne à l'arrière plan. La vidéo va prendre alors une place prépondérante dans ce spectacle et ne quittera plus la scène. Les personnages vont, viennent, descendent et montent les passerelles tandis que la météo et la mer continuent de coller et de s'adapter à l’état d’esprit des personnages. Un océan omniprésent jusqu’à la traversée du Nil où l’on découvre ses abords et ses pyramides qui défilent lentement sous nos yeux. En suivant les déplacements des personnages à bord du navire, le spectateur peut en explorer toutes les pièces : la chambre de Cleopatra, la salle des machines dans laquelle Sesto et Cornelia sont retenus prisonniers, la salle de spectacle avec la fameuse scène du Parnasse avec une Cecilia Bartoli hyper séductrice qui nous fait un show incroyable suivi de l’intervention plus spectaculaire encore du crooner Cesare incarné par l'excellent Carlo Vistoli, au micro. Ce dernier nous fait un numéro de séduction absolument irrésistible avec son air ‘Se infiorito’ accompagné du non moins irrésistible violon solo de Thibault Noally sur scène. Légèrement éméché par le champagne, le contre-ténor accompagne sa vocalise d’un hoquet. Les touches d’humour ne manquent pas et les idées non plus comme dans l’air de la confrontation faussement amicale ‘Va tacito’. La scène se fige à plusieurs reprises pour laisser paraître la fausse naïveté et surtout la noirceur de Cesare. Les figurants, les serviteurs, les danseurs prennent eux aussi part à cette effervescence inarrêtable qui vous fait tourner la tête jusqu´au bouquet  final : des bombes pilonnent le navire qui s'enflamme.

          Contre toute attente, les applaudissements de fin de spectacle réservent une ultime surprise : un petit film muet en noir et blanc, mettant en scène les chanteurs de la soirée dans un scénario désopilant. Enfin, pour clore définitivement ce spectacle, tous ont chanté et dansé le chœur final sous les applaudissements compulsifs de la salle. Du pur bonheur. 


          Cecilia Bartoli sait toujours faire le show et tenir le public en haleine malgré quelques aigreurs et une voix, certes toujours très plaisante et virtuose mais limitée dans un médium qui a tendance  à se réduire. On est loin de la brillance et des cadences hautes d'une Beverly Sills.

          Carlo Vistoli, d’une insolente santé vocale, excelle dans le rôle de Cesare. A la fois redoutablement véhément et incisif dans ‘Empio diro tu sei’, il touche et émeut dans ‘Aure deh per pietà’ avec cette façon propre de distiller l´émotion. 

         Incomparable Cornelia que celle de la contralto Sara Mingardo. Son timbre toujours aussi velouté et la noblesse de son chant nous touchent à chacune de ses interventions. Ce rôle, parfois ennuyeux, prend toute sa dimension dramatique avec cette grande dame du chant lyrique. 

          Son fils Sesto, en revanche, interprété par le contre-ténor Kangmin Justin Kim frise le ridicule et la caricature. Passent encore les passages lents dans lesquels la voix a le temps de se poser, mais les airs rapides, insupportables, font jaillir les cris stridents d’un enfant geignard et capricieux. Heureusement que l'artiste parvient tout de même à sauver le rôle en y mettant tout son cœur et sa conviction scénique. Comme nous le précisions au début de cet article, la veille de ce spectacle, nous assistions à Paris à un autre Giulio Cesare et le Sesto que l’on y a entendu était autrement plus abouti voire éblouissant. Interprété par la géniale et surdouée Emily D’Angelo, cette dernière nous a offert l’un des meilleurs Sesto jamais entendu.

          Max Emanuel Cencic, plutôt inattendu dans le rôle du tyran Tolomeo, s'est avéré crédible et passionnant. Cette voix de contre-ténor, superbe, résiste aux vocalises infernales imposées par le chef Gianluca Capuano. Même s'il convainc dans les airs 'sadiques' ‘Domero la tua fierezza’ et ‘Si spietata’, il ne peut rivaliser avec la véhémence vocale et scénique d’un Christophe Dumaux. 

          Excellent, l’Achilla de Peter Kalman. Sa voix généreuse, extrêmement bien timbrée et consistante sied tout à fait à son personnage de tyran servile et amoureux. Sa chorégraphie inattendue qui accompagnait l’air ‘Dal furor’ a été un moment fort et très réussi de ce spectacle. 

          Enfin dans les petits rôles de Curio et Nireno, Luca Vianello et Federico Spatola se sont acquittés de leur tâche correctement, sans plus. 


          Un spectacle d’une grande réussite esthétique et fourmillant d’idées, qui collait parfaitement à la direction incandescente d’un Gianluca Capuano, qui, décidément, ne laisse aucune place à l’ennui. Ses tempi sont vertigineux et spectaculaires mais pas toujours à propos comme dans l’air ’Venere bella’, pris à toute vitesse. L'air sonne expéditif voire bâclé et perd de son charme. Mais retenons avant tout, cette audacieuse façon de diriger : d'accélérer ou de ralentir soudainement les tempi, et surtout la réécriture des da capo, qui aura fait bondir les puristes. En effet, Gianluca Capuano utilise, pour son orchestre, la technique des chanteurs qui consiste à ‘embellir’, ‘magnifier’, personnaliser les reprises en réécrivant la partition. Le résultat est bluffant, innovant, moderne et régénérant mais surtout fort abouti. Il ouvre ainsi l’une des voies de l’avenir de la musique baroque.

                                                                                                              Ruggero Meli

Quelques photos du spectacle de Davide Livermore

© Marco Borelli