Handel ORLANDO, Francfort 10.III.2023

GEORG FRIEDRICH HÄNDEL 1685–1759 : ORLANDO 

Opéra seria en 3 actes sur un livret basé sur Carlo Sigismondo Capece initialement joué le 27 janvier 1733 au King’s Theatre, Haymarket de Londres

Vendredi 10.III.2023 à 19:00 

Danseurs : Mar Sánchez Cisneros / Marion Plantey / Evie Poaros / Gabriele Ascani / Jonathan Schmidt

Frankfurt Opern- und Museumsorchester

Direction: Simone Di Felice 

Mise en scène : Ted Huffman 

Dramaturge Maximilian Enderle 

Décors basés sur un design de Johannes Schütz 

Costume Designer : Raphaela Rose 

Choreographe : Jenny Ogilvie 

Lumières : Joachim Klein

 Vidéo : Georg Lendorff 

photos Barbara Aumüller
Kateryna Kasper (Angelica) & Zanda Švēde
Monika Buczkowska (Dorinda)
Kateryna Kasper (Angelica)

Un spectacle à l'esthétique séduisante mais sans direction 

          Drôle de mélange esthétique dans cette nouvelle production de l'opéra Orlando de Haendel qui mêle costumes baroques du XVIII° siècle à des costumes contemporains, parfois réussis comme ceux des danseurs avec leurs manches gigot, parfois douteux comme celui de Dorinda avec sa marinière accompagnée d'une jupe à paniers ou bien le pantalon de Medoro au motif pied de poule associé à une redingote. 

La scène, quant à elle, vide de tout objet de décor, est constituée d'un pilier central (surmonté d'une ampoule) d'où partent 4 panneaux verticaux de toile blanche. La structure amovible couvre toute la scène et ainsi limite les possibilités de déplacements des personnages, contraints de chanter et jouer sur la pointe extrême avant de la scène (pour ne pas être balayés par les panneaux tournants) ou sur les côtés. Ils se déplacent parfois à l'intérieur des quatre espaces créés par les panneaux, ou suivent la rotation de ces derniers (en les poussant). L'un des avantages de ce système rotatif, c'est qu'il fait apparaître ou disparaître les personnages (également au gré de la transparence ou non de ces toiles). Des images sont projetées pour habiller ces immenses surfaces : on devine une végétation frémissante projetée par le biais d'ombres.  Les variations de couleurs permettent de souligner des sentiments ou atmosphères, on passe d'un vert ou bleu pâle à des tons rosâtres. 

Enfin, pour agrémenter les propos des personnages, cinq danseurs se meuvent tout au long du spectacle et interagissent avec les protagonistes.

Tous ces éléments fort louables, se révèlent pourtant insuffisants sur la longueur pour constituer une mise en scène digne de ce nom. En effet, il ne se passe pas grand chose, les chanteurs semblent livrés à eux mêmes et tout néophyte au livret de l'opéra pourrait rapidement perdre le fil et montrer des signes d'ennui. Les spectateurs friands de pratiques lyriques baroques seront servis : la plupart des airs sont chantés sur l'avant scène comme à l'époque de Haendel. 

Heureusement, le spectacle affiche une certaine élégance esthétique et le travail sur les ombres, le réel ou la suggestion voire l'immatériel (esprit d'Orlando) est à saluer. 

           La distribution se hisse plutôt à un bon niveau. A commencer par le rôle d'Orlando, chanté par la voix chaude et veloutée de Zanda Zvede (que l'on avait déjà pu entendre dans le rôle de Serse ou de Zenobia de l'opéra Radamisto ici même à Francfort). La voix est d'autant plus séduisante lorsque l'interprète a le temps de poser les notes et déployer toute la beauté de son timbre comme dans les airs d'entrée "Stimulato dalla gloria" & "Non fu gia men forte Alcide". Malheureusement ces qualités s'amenuisent voire disparaissent dans les airs virtuoses tels que "Cielo! Se tu il consenti", "Fammi combattere" ou "Vaghe pupille", des airs qui tombent à plat et perdent de leur intérêt. Les vocalises et la virtuosité pourtant pas très échevelées, mettent la chanteuse en difficulté. Bizarrement le timbre n’est plus aussi séduisant. Même la scène de la folie n'a pas fait l'effet escompté malgré le fascinant travail des ombres menaçantes et tournoyantes. 

          Qu’est-ce que l’on aurait aimé entendre dans ce rôle d’Orlando le contre-ténor Christopher Lowrey qui incarnait ici un Medoro de luxe (bien en dessous de ses capacités lyriques). Difficile de résister à la tendresse, la bienveillance et à l’amour de ce Medoro. Le rôle est déjà court et pas si intéressant, aggravé ici par l'absence de son grand air "Vorrei poterti amar", à l’acte III. Nous avions déjà entendu avec grand bonheur ce contre-ténor dans ce même rôle au St John's Smith Square de Londres sous la direction inventive de l'excellent David Bates. Et l’on ne compte plus les merveilleuses prestations dans lesquelles on a pu l'apprécier : Faramondo/Cummings/Göttingen, Cesare/Rousset/Ambronay, Arminio/Cummings/Göttingen, Partenope/Bolton/Madrid, Rinaldo/Rousset/Bâle, Rodelinda/Curnyn/Londres, Rodelinda/Cummings/Göttingen, Semele/Bicket/Londres, Solomon/Alarcon/Namur et Beaune, Tamerlano/Rousset/Ambronay. Notez qu'il chantera prochainement à Beaune et à Namur le rôle de Didymus de l'oratorio Theodora. 

          L'autre merveille de la soirée aura été la voix somptueuse d'ombres et de lumières éclatantes de la soprano Kateryna Kasper. Même annoncée malade, sa prestation aura été remarquable. Les trilles, si rares en général, viennent ponctuer le crémeux de son phrasé. Chacune de ses interventions nous aura fait vibrer. Dommage que l'un de ses grands airs soit complètement passé à la trappe, en l'occurrence celui de l'acte III : "Cosi giusta e questa speme". Cela fait plus de dix ans que nous suivons cette artiste merveilleuse : Amadigi, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, Messiah, Radamisto, Serse, et autres opéras de Vivaldi et autres récitals. 

          L'autre soprano de la distribution, Dorinda, incarnée par l'audacieuse Monika Buczkowska, nous a montré des facettes inhabituelles du personnage. En effet, dans cette production elle ne campe pas cette Dorinda fragile et abusée à laquelle nous sommes habitués, bien au contraire elle se montre forte et même consolante (à l'égard d'Orlando dans son grand air "Se mi rivolgo al prato", air détourné de son sens premier), voire fantaisiste. Une fausse bonne idée, car la candeur et la fragilité de ce personnage nous semblent primordiales dans le déroulement de l'œuvre. Inégale, la chanteuse affiche des vocalises pleine d'un souffle gênant notamment dans l'air "Amor e qual vento" mais offre quelques notes dans les suraigus (lors de cadences) absolument somptueuses. Une interprète qui semble faite davantage pour un répertoire plus tardif.

          Enfin le baryton-basse Bozidar Smiljanic, excellent Zoroastro nous a conquis par sa voix solide et étonnament flexible. Il n'a pas faibli face aux redoutables vocalises de son dernier air "Sorge infausta". Lui aussi s'est vu privé de l'un de ses airs, en l'occurrence celui de l'acte II "Tra caligini profonde". 

          Malgré le travail propre et rigoureux du chef Simone Di Felice, ses tempi sont restés bien prudents, et l'orchestre a eu tendance à manquer de force dramatique. Notez que quelques bonnes idées sont venues titiller l'oreille du spectateur averti comme l'orchestration du duo "Finche prendi ancor" qui faisait subtilement frémir la musique, suscitant ainsi davantage d'émotion face à la détresse d'Angelica. 

Il est dommage de constater que l'opéra ait été privé de la première moitié de l'acte III. 

Finalement, ce spectacle s'est laissé contempler sans résistance ni opposition, mais n'a pas suscité non plus d'enthousiasme particulier pour autant. 

                                                                                                                                                                                       Ruggero Meli