HANDEL ARIODANTE GÖTTINGEN 10.IX.2021

          En cette soirée du vendredi 10 septembre à la Lokhalle de Göttingen, se tenait un événement majeur: une représentation unique, en version de concert de l’opéra Ariodante de Handel. Contrairement à la plupart des concerts du festival, aucune captation radio ou cd à la clef, pourtant la distribution réunie pour l’occasion aurait mérité une diffusion plus large.

          Le chef et directeur artistique du festival Laurence Cummings (qui laissera sa place à Georg Petrou l'an prochain) connaît son Haendel sur le bout des doigts et sait savamment doser ses tempi, élégant et dynamiques à la fois, sans jamais céder aux extrêmes (sauf peut-être lors du chœur final "Sa Trionfar", étonnamment pris avec douceur). Il a réuni pour l'occasion une distribution de rêve côté dames, un peu moins côté messieurs. A commencer par la phénoménale mezzo-soprano Emily Fons dans le rôle titre, qui a littéralement soufflé la salle de son aplomb, sa fougue, sa force vocale et expressive. Véritable amazone des temps modernes, elle brave les airs les plus périlleux avec un enthousiasme, une virtuosité et un panache sans égal. A l’aire des contre-ténors les plus brillants et qui briguent actuellement tous les rôles haendéliens, Laurence Cummings ose prendre le contre-pied de cette tendance car il sait qu’il "possède" un joyaux qui ferait disparaître même les plus acharnés des défenseurs de contre-ténors. La voix est ample et solide mais extrêmement souple et possède une richesse de couleurs et une densité qui lui permettent de couvrir l’ensemble de la tessiture large du rôle et d’entendre pleinement les notes extrêmes (si souvent escamotées ou difficilement audibles en général) sans parler des da capo, extrêmement soignés, inventifs et audacieux, dans lesquels elle se joue des difficultés les plus folles. Difficile de se remettre d’un tel choc vocal. On se souviendra longtemps des feux d’artifices: "Con l’ali di costanza" & "Dopo notte" mais aussi du déchirant "Scherza infida" pour ne citer que ces 3 airs.

          Sa partenaire, la soprano Marie Lys, dans le rôle de Ginevra, touche également à l’excellence et apporte fraîcheur, légèreté et force de caractère à un personnage injustement répudié. Décidément, la soprano helvétique ne cesse de nous surprendre et de nous émerveiller à chacune de ses apparitions (Lotario, Giulio Cesare, Alcina, Acis & Galatea (voir le compte-rendu) pour ne citer que les opéras de Haendel). Sa grande force est de posséder un médium (voire un bas médium) riche et sonore et d’une grande beauté associé à des aigus et des suraigus faciles et brillants. Sa virtuosité n’aura fait qu’une bouchée de l’air « Volate, Amori » et sa sensibilité à fleur de peau nous aura mis à genoux dans la plainte « Il mio crudel martoro ». 

          Enfin la soprano Rachel Redmond incarne idéalement la petite Dalinda, innocente, elle est le jouet du perfide Polinesso. Sa voix éclatante de limpidité, nous émeut de sa simplicité ainsi que de sa délicatesse dans l'air "Se tanto piace al cor" mais sait aussi nous étourdir de virtuosité dans l'air "Neghitosi" malgré d'importunes pollutions sonores. Cette soprano montante n’a décidément pas fini de nous surprendre, notamment après l’avoir brillamment entendue cet été à Beaune dans L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato et précédemment dans Il Trionfo del Tempo e del Disinganno à Tours.  

          Côté messieurs, le constat reste plus mitigé, à commencer par le Polinesso de Clint van der Linde qui possède un réel talent et une voix masculine bien atypique pour un contre-ténor ainsi qu’une bonne technique.  Mais peut-être le stress ou une préparation insuffisante par manque de temps l’ont rendu hésitant, détonnant parfois et mettant, par conséquent, en péril son personnage maléfique qui a pu paraître fébrile. Avec une meilleure préparation, nul doute qu’il puisse être excellent dans ce rôle. La noirceur de ses vocalises et sa perfidie ont tout de même fait leur effet. Drôle d’idée que de couper le da capo de l’air qui était supposé le faire triompher "Dover, giustizia, amor". Rappelons que nous l’avons récemment vu avec bonheur au festival de Grein en Autriche dans une version écourtée de Siroe (voir le compte-rendu) et précédemment dans le rôle titre de Giulio Cesare à Londres (voir le compte-rendu). Un contre-ténor injustement méconnu. 

          Dans le rôle du roi d’Ecosse et géniteur de Ginevra, le baryton Njal Sparbo, réalise une performance plutôt efficace sans toutefois briller. Le rôle fonctionne mieux avec une basse. 

         Enfin le petit rôle d'Odoardo (uniquement constitué de quelques récitatifs) a été brillamment interprété par la belle voix du ténor Steffen Kruse.

A noter que le concert était légèrement amplifié, étant donné l'étendue de la salle de concert la Lokhalle (qui fait penser à un hall de gare). 

Vivement le prochain festival Handel de Göttingen qui devrait retrouver, si tout va bien, sa place au mois de mai 2022.