Handel ARIODANTE, Valencia 04.III.2022

Georg Friedrich HANDEL ARIODANTE

Opera seria in three Acts, HWV 33

Anonymous libretto after Ginevra, principessa di Scozia by Antonio Salvi

Valencia, Palau de les Arts, 4.III.2022


Il Re di Scozia: Luca Tittoto, bass-baritone

Ariodante: Ekaterina Vorontsova, mezzo-soprano

Ginevra: Jane Archibald, sopran

Lurcanio: David Portillo, tenor

Polinesso: Christophe Dumaux, countertenor

Dalinda Jacquelyn Stucker, soprano

Odoardo: Jorge Franco, baritone 


Cor de la Generalitat Valenciana 

Director Francesc Perales 

Orquestra de la Comunitat Valenciana

Conductor Andrea Marcon 

Stage director Richard Jones 

Set designer and costume designer Ultz Lighting 

designer Mimi Jordan Sherin 

Choreography Lucy Burge 

Puppet stage direction Finn Caldwell 

Puppet design Nick Barnes, Finn Caldwell

photos: Miguel Lorenzo & Mikel Ponce

          An Ariodante looking austere and not so appealing at first (a Mormon like group of people) but the story works fine and above all the cast is close to perfection under the fiery baton of Andrea Marcon.

          L’opéra Ariodante jouit d’une cote particulière au sein de tous les opéras du compositeur Georg Friedrich Haendel. En effet, il est régulièrement à l’affiche des théâtres un peu partout dans le monde. Il faut dire que son livret y est pour beaucoup car contrairement à bon nombre d’opéras baroques, sa trame dramatique possède l’avantage d’être intéressante, claire et efficace. Pourtant, la mise en scène de Richard Jones ne tire pas vraiment partie de cette clarté de prime abord et nous présente l’opéra au travers d’un groupe religieux austère et froid qui ne valorise pas vraiment l’œuvre avec ses décors minimalistes mais imposants: trois pièces en enfilade (cuisine couleur charbon, salle à manger décorée d’une collection de couteaux de cuisine et la chambre de Ginevra. Deux portes imaginaires, matérialisées par une serrure montée sur une barre en L permettent le passage d’une pièce à l’autre. Les costumes ont un look désuet et ont tendance à rendre les personnages ternes et peu attrayants. Cette ambiance pleine d´austérité pourra bien rebuter le spectateur. Pourtant ce spectacle  possède un certain nombre de qualités heureusement, car les rôles sont extrêmement bien définis et le drame fonctionne : le roi d’Ecosse est le chef d’un groupe religieux de type Mormons, et reçoit les fidèles dans sa demeure, sa fille Ginevra s’apprête à marier le très humble Ariodante tandis que Polinesso est l’incarnation du diable déguisé en prêcheur. Enfin Dalinda est la servante de la maison, au service de Ginevra mais aussi du perfide Polinesso qui la manipule comme on manipulerait une marionnette, tandis que Lurcanio, frère d’Ariodante est un fidèle parmi les autres. Le personnage le mieux caractérisé est sans conteste le perfidie Polifemo et son vil double jeu. Détestable à souhait, il trompe son monde en prêchant la bonne parole moralisatrice, « embobine » Dalinda et en abuse pour arriver à ses fins: mettre la main sur Ginevra et le pouvoir. Il endormira cette dernière avec des somnifères pendant que Dalinda lui empruntera sa robe et se fera passer pour elle sous les yeux ébahis d’Ariodante et de son frère. Ébranlé dans sa foie, Ariodante, après être passé par toutes les émotions, va manifester un violent rejet à l’encontre de tous ses principes religieux en jetant à terre sa bible et en renversant le tas de bibles soigneusement empilé par l’insoupçonnable Polinesso qui se servait de la région et de son statut au sein du groupe comme d’une couverture imparable. En filigrane, la critique acerbe d’une religion archaïque, sclérosée, punitive, excluante et culpabilisante. 

Pour le coup, c’est la nature même de l’air « Dopo notte » qui va être bouleversée, passant d’un air d’exultation jubilatoire à un air emprunt de courroux et de dissidence. Le mariage d’Ariodante est un désastre et la vie heureuse qu’on lui avait promise a volé en éclats. Contrairement au livret, Ginevra, innocente et complètement traumatisée par le stratège de Polinesso qui l’a faite passer pour une impudique voire une catin aux yeux de son père et de tous, fait sa valise à jamais. 

          Ajoutons que les ballets, souvent coupés, mais maintenus ici, ont été remplacés par un spectacle de marionnettes plutôt bien réussi qui prédit une vie heureuse au couple avec plein de bébés puis fait de Ginevra une prostituée. 

          Notons que l’opéra a été joué dans sa quasi totalité. Seul le duo Lurcanio / Dalinda manque à l’appel: visiblement, même si le couple se retrouve à la fin, la cassure a été inévitable. Signalons aussi que le personnage « secondaire » de Dalinda prend une place importante dans cette production, elle est « sans le vouloir » le rouage de toute l’intrigue et sa culpabilité est particulièrement touchante et enrichie le drame d’une tension supplémentaire. 

          D’ailleurs, pour interpréter ce rôle pivot, il fallait une soprano à la voix et à la personnalité fortes comme celle de Jacquelyn Stucker: une Dalinda de luxe. Avec cette voix richement timbrée et sa forte implication, la soprano s’est montrée absolument bluffante, faisant presque ombrage au rôle majeur de Ginevra qu’elle aurait pu aisément interpréter. Sa voix généreuse  percute et touche. Sa virtuosité et son aplomb dans l’air « Neghitosi » a fait grand effet. Nous avions déjà pu apprécier cette soprano dans le rôle d’Armida de l’opéra Rinaldo du même Haendel à Glyndebourne. 

           Jane Archibald incarne une Ginevra pleine d’innocence, mais à la personnalité bien trempée. Elle sait chanter et jouer avec candeur mais aussi avec théâtralité, voire en tragédienne : « Il mio crudel martoro », criant de douleur, a révélé certains passages volontairement scandés comme le serait une voix pleine de sanglots. Un air particulièrement mis en valeur également par la mise en scène, qui montre son père la forçant à avancer en la tirant par le bras, et elle de résister, un supplice infini sur un rythme lancinant et d’agonie, sous les yeux accusateurs et punitifs de toute la communauté. Absolument bouleversant. Notons que Jane Archibald chantera le rôle titre d’Alcina cet été à Glyndebourne. 

          Le ténor David Portillo, tout à fait à l’aise dans le rôle de Lurcanio, nous a confondu par sa sensibilité à fleur de peau notamment dans l’air « Del mio sol vezzozi rai » et fasciné par son implication passionnée dans les airs virtuoses « Tu vivi » et « Il mio sangue » et ce malgré quelques imperfections dans certaines vocalises. Un artiste à suivre.

          C’est le contre-ténor Christophe Dumaux, spécialiste des rôles de vilains qui incarnait le diabolique Lurcanio. Son timbre rageur, l’éclat de ses aigus, sa facilité dans la virtuosité, tout contribue à le rendre criant de vérité. Un régal d’ignominie. Son grand éclat de rire après avoir dupé tout son monde est à l’image d’un cynisme machiavélique que l’on avait rarement vu dans ce rôle. Dès le debut de l’opéra, il entre dans l’intimité de Ginevra, en passant tel un voleur par la fenêtre de sa chambre, puis en fouillant ses vêtements, en les palpant et en les sentant avec lascivité. Un véritable viol avant l’heure.

          Luca Tittoto incarne le patriarche écossais Il Duca di Scozzia avec panache et grandeur. Sa voix chaude et bien timbrée couplée à une émission fluide et généreusement projetée, ont fait de chacun de ses airs des moments précieux. Il faut dire qu’il avait déjà chanté le rôle avec ce même chef notamment sur la scène de l’opéra de Bâle il y a quelques années (la mezzo-soprano Franziska Gottwald chantait Ariodante). signalons son air « Voli coll’ali » au da capo risqué et audacieux avec en prime un orchestre très affirmé qui fait claquer ses cordes comme des coups de canons pour célébrer le mariage. 

          Enfin la surprise est venue de la mezzo-soprano Ekatarina Vorontsova dans le rôle redoutable d’Ariodante. Dotée d’un beau mezzo à la vocalise aisée, son incarnation juvénile et fraîche a contribué à rendre son personnage attachant. Sans toutefois transcender le rôle, la prestation de l’artiste a été tout à fait convaincante. Son « Scherza infida », loin de l’interprétation murmurée d’une Anne Sofie Von Otter, s’est mu en une déchirante plainte ulcérée. 

          Signalons également que le chef Andrea Marcon, spécialiste de musique baroque a réalisé un travail admirable avec l’orchestre de l’opéra de Valence, pourtant peu enclin à cette musique. Son interprétation, fine et hautement dramatique, foisonnant de détails et vivifiante, a largement contribué à faire de cette performance une véritable réussite.