HANDEL ESTHER, Vezelay 25.VIII.2022

Les Rencontres Musicales de Vézelay, La Cité de la Voix. Basilique Sainte-Marie-Madeleine. Jeudi 25 août 2022, 21h. 

Georg Friedrich Handel : ESTHER, oratorio (version de 1720) HWV 50a

Esther : Rachel REDMOND, soprano

Mordecai : Zachary WILDER, ténor 

Ahasuerus / First Israelite : Nicholas SCOTT, ténor

Priest : Carlo VISTOLI, countertenor

Haman : Lisandro ABADIE, baryton-basse

Israelite Woman : Emmanuelle DEMUYTER, soprano

Alexandre JAMAR, ténor 

Boris MVUEZOLO, ténor 

Lysandre CHALONQ, basse

LE JEUNE CHOEUR DE PARIS (Richard WILBERFORCE)

Ensemble LE STAGIONI

Dir. Paolo ZANZU

Chef d'Orchestre : Paolo ZANZU

Rachel REDMOND & Carlo VISTOLI

Nicholas SCOTT & Zachary WILDER

Lisandro ABADIE

          Esther, héroïne biblique qui aurait sauvé le peuple israélien d’un massacre orchestré par Haman , héroïne féministe avant l’heure qui s'enhardie à se présenter devant le roi (en sachant que quiconque ose le faire est condamné à mort) pour plaider la cause de son peuple. Haendel s’est emparé de l’œuvre de Racine et en a fait son premier oratorio en 1720 alors qu’il séjournait à Cannons chez son mécène le duc de Chandos. Pour la première fois, les chœurs prennent une part conséquente (il composait au même moment ses 12 Chandos Anthems avec de nombreuses parties chorales). Chef d’œuvre absolument méconnu et rarement donné (ce n’est guère que la troisième fois que BAROQUENEWS saisi la chance de l‘entendre live (Karlsruhe en 2013 sous la direction de Michael Hofstetter et Cologne en 2021 dans une version en hébreu et pas vraiment convaincante) regorge de pages d’exception comme le chœur final, phénoménal, qui à lui seul mérite une écoute. Un chœur qui fait certainement parti du top 3 des plus grands chœurs de Haendel (l’Alleluia du Messie et “Praise the Lord” de Solomon, étant les deux autres). La première version, courte, celle qu’ont choisi judicieusement d’interpréter les artistes en cette soirée du 25 août 2022 à la basilique de Vézelay (en comparaison à la version de 1732, plus longue) a l’avantage de concentrer le drame dans un temps court d'une durée approximative d'1h30 tout en allant à l’essentiel du drame. D’ailleurs le chef Paolo Zanzu l’a fait jouer d’une traite en bissant bien entendu le chœur final, qui à lui seul dure une dizaine de minutes.           

          Gros succès bien mérité pour des interprètes qui en ont donné une lecture fluide et intense avec des forces orchestrales et chorales de premier choix, en l’occurrence Le stagioni et Le Jeune Chœur de Paris. Tout s’enchaîne vite et bien. On est capable de suivre le déroulement des événements assez facilement. Ceci grâce également à l’implication et l’excellence des chanteurs solistes. Car la distribution réunie pour l’occasion frisait la perfection. A commencer par la sémillante et brillante soprano Rachel Redmond, tout à fait credible en Reine, tout à la fois fragile et touchante “Tears assist me” et impitoyable et véhémente face au tyran Haman “Flatt’ring tongue”. Et lorsqu’elle se met à pousser la note, elle envoie une salve d’harmoniques extraordinaire dans les oreilles. Nous avons pu l’apprécier déjà de nombreuses fois, et l’on se souvient de sa Bellezza (Il Trionfo del Tempo) à Tours, L’Allegro, il Penseroso de il Moderato à Beaune puis en tournée, sa magnifique Dalinda (Ariodante) à Göttingen et bien d’autres.            

          Zachary Wilder en roi Ahasuerus, possède une voix de ténor qui en impose et l’on ne résiste pas à son élan amoureux dans l’air “How can I stay when loves invites?” qui vous pousserait presque à vous lever pour danser. Son duo avec la soprano, si délicat, si fragile, et si éphémère fait partie des plus beaux moments de la soirée. C’est un artiste qui ne cesse de s’améliorer et l’on se souvient de ses magnifiques interventions dans l’opéra Radamisto à Essen.            

          Carlo Vistoli, contre-ténor surdoué et aux capacités quasi infinies, n’avait qu’un petit rôle dans cet oratorio, un luxe non négligeable, celui du prêtre, avec un seul grand air “O Jordan” une méditation teintée de nostalgie, à la fois solennelle et émouvante. Il bénéficiait également de deux récitatifs accompagnés intéressants qu’il a déclamé avec emphase ainsi que d'un sublime arioso au sein du chœur final. Ce contre-ténor est en passe de devenir, si ce n’est pas déjà fait, le meilleur de sa génération. Issu du Jardin des Voix, il fait une carrière impressionnante, il chantera prochainement le rôle de Ruggero dans l’opéra Alcina aux côtés de Cécilia Bartoli à Florence.            

          Dans le rôle du cousin d’Esther, Mordecai, qui pousse Esther à plaider leur cause devant le roi, le ténor Nicholas Scott nous a conquis avec ce timbre si séduisant qui nous fait penser à celui  du plus haendélien des ténors : Anthony Rolfe-Johnson. Comment résister au crémeux d’un timbre idéal pour restituer toute la douceur nécessaire à l’air “Tune your harp”, un petit bijou d'air, accompagné de divins pizzicati et d’une harpe enjôleuse. Chacune de ses interventions a suscité l’enthousiasme.            

          Lisandro Abadie dans le rôle du tyran Haman, assène ses mots comme on assène des coups dans l’air scandé “Pluck root and branch” mais s’avère finalement extrêmement touchant dans sa supplique (lorsqu’il se sait condamné à mort) “Turn not, O Queen” (avec ses scansions qui s’apparentent à un cœur qui bat, encore) puis lorsqu’il songe à son sort “How art thou fall’n”. Beau timbre que celui de ce baryton-basse avec parfois un petit manque de projection. On se souvient de ses interventions dans l’opéra Riccardo I à Karlsruhe mais surtout le rôle titre de Giulio Cesare de Haendel en Suisse il y a quelques années, dans lequel il avait été magistral.

          Une distribution complétée par quatre solistes du jeune chœur de Paris qui n’ont pas manqué de se distinguer et dont on retiendra la soprano Emmanuelle Demuyter  qui a interprété l’air “Praise the Lord with cheerful noise” d’une voix brillante et charnue à la fois (cette jeune soprano pourrait encore améliorer le délié de ses vocalises), mais surtout l’excellente basse Lysander Chalonq qui a véritablement fait briller l’éclat d’une voix sombre et souple dans le duo final avec Lisandro Abadie, duo faisant partie du chœur final. 

Final grandiose et jubilatoire qu’il faut avoir la chance d’entendre live. D’ailleurs on le réécouterai bien une troisième fois, mais pour cela il faudra attendre la diffusion de ce magnifique concert sur les ondes de France Musique. A surveiller.