Opéra de Rome, Basilique de Maxence, vendredi 4 juillet 2025 21h (3 représentations : 2, 4 et 5 juillet 2025)
Dans le cadre du festival Caracalla : Tra sacro e umano (27 juin - 7 août)
Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759) : La Resurrezione HWV 47, oratorio en deux parties sur un livret de Carlo Sigismondo Capece.
Nouvelle production de l'Opéra de Rome.
Marie Madeleine : Ana Maria Labin, soprano
Un ange : Sara Blanch, soprano
Marie, femme de Cléophas : Teresa Iervolino, contralto
Saint Jean l’Évangéliste : Charles Workman, ténor
Lucifer : Giorgio Caoduro, baryton-basse
Orchestre National Baroque des Conservatoires
George Petrou, direction
Mise en scène : Ilaria Lanzino
Décor : Dirk Becker
Costumes : Annette Braun
Lumières : Marco Filibeck
Un spectacle de prime abord déroutant car insolite. D’aucuns pourront même se sentir bousculés, voire heurtés, jusqu’à l’indignation quand d’autres adhéreront. En effet, certaines scènes anti-christiques sulfureuses risquent bien de choquer une partie de l’auditoire : crachats et jets violents d’objets en tout genre dont la bible en direction du Christ en croix pour son 'inaction' ou l’inversion de la croix chrétienne en guise de rébellion en faisant le choix du diabolique en réaction à une foi déçue.
Ilaria Lanzino nous raconte l’histoire d’une famille endeuillée suite au décès (noyade ?) de leur enfant unique. Maddalena la mère est inconsolable... Les décors placés sur un plateau tournant nous mènent de l'église aux différentes pièces de la maison de cette famille.
Le spectacle nous porte tout d'abord au cœur d’une église (triptyque lumineux et autel au centre), où ont lieu les funérailles de l’enfant. Quel plus beau cadre naturel que celui de cette basilique de Maxence à ciel ouvert ? La scène se fige soudain à l’arrivée d’un ange superstar rehaussé d’ailes blanches immenses. Un look de rock star, micro à la main, suivi de cinq acolytes : des pom-pom girls & boys aux allures de joueurs de football américains. Un décalage brutal en pleine procession de deuil. L’ange déploie ses ailes et fait un show de super star. L’un des acolytes va soudain se rebiffer en réfutant de rester plus longtemps au service de l’ange. Lui aussi souhaite briller, et à sa manière. Pour cela, il va se débarrasser de son apparat blanc, en passant par un striptease sulfureux, pour revêtir d’abord un T-shirt moulant noir. L’Ange déchu va poursuivre sa révolte et sa mutation en Lucifer en revêtant cette fois une robe à paillettes du plus bel effet baroque. La noirceur et la décadence de ce Lucifer en ressortent plus éclatantes encore. Boucles d’oreilles et rouge à lèvres en prime. C’est donc une autre narration qui se joue en parallèle. Les êtres « surnaturels » se livrent une lutte acharnée et semblent se jouer des êtres humains sur terre en les mettant à l’épreuve avec ce décès.
Flash back, la famille est à l’hôpital en train de tenter de sauver l’enfant qui finalement ne survivra pas. S’en suit une série de moments déchirants où la maman se retrouve dans la chambre de son fils et s’efforce de ranger ses nounours dans des cartons avant de les étreindre. Son époux et sa belle-mère, respectivement San Giovanni et Cleofe, tentent de l’apaiser en vain. Elle rejette son mari et le frappe et assène même une violente gifle à Cleofe. Elle va reprendre espoir en trouvant réconfort auprès de la prière et la lecture de la bible au point d’en devenir euphorique « Ho non so che nel cor » et faire l’amour à son époux de manière désespérée avant de revenir à la triste réalité. Elle s’adonne alors à l’alcool et finit par cracher au visage de son mari qui va la répudier, prendre une autre femme avec laquelle il aura un enfant. Maddalena, devenue épave, finira par se couper les veines. Mais c’était sans compter sur l’intervention de l’ange qui décidera de rendre la vie à l’enfant. Rêve ou réalité ? Liesse finale.
Voilà ce qu’a imaginé Ilaria Lanzino : une histoire passionnante mais surtout bouleversante d'une famille qui vole en éclat et qui pose la question du vivre après un tel drame. Certes, nous sommes loin du livret de l’oratorio de Haendel qui ne fait que raconter la mort et la résurrection du Christ. Un livret avare d’actions et une œuvre qui n’a jamais été pensé pour la scène; alors ne valait-il pas mieux opter pour ce choix radical plutôt que de risquer l’ennui ? D’aucuns trouveront incongru de « trahir » à ce point le propos de l’oratorio du Caro Sassone. Pourtant si le public parvient à accepter la transposition, un exercice intellectuel peu aisé il est vrai, le plaisir et l’émotion que l’on reçoit de ce spectacle s’en trouvent décuplés. Il y a seize ans c’est ce qu’avait réalisé Claus Guth dans son Messie qu’il portait à la scène en faisant le choix de raconter une histoire similaire (deuil au sein d’une famille qui se déchire) tout en tentant de coller au plus près possible du livret : une réussite !
La distribution, plutôt de très bonne facture, réserve même de bonnes surprises comme la présence de la soprano Sara Blanch dans le rôle de l’Ange. Pour une chanteuse rompue au bel canto et peu coutumière du style et de la technique baroques, elle réalise une performance de premier plan. Aigus faciles accompagnés d’harmoniques graves. Une voix plus consistante que d’habitude pour ce rôle dévolu traditionnellement aux voix célestes. Les vocalises suscitent le respect notamment dans l’air virtuose le plus redoutable de la partition, celui d’entrée ‘Disseratevi, o porte d’Averno’. Touchant ‘Se per colpa di donna infelice’ que l’artiste embellit de variations et de fioritures des plus exquises.
Maria Maddalena, le rôle central de cette mise en scène, est incarné avec force et engagement par une Ana Maria Labin chauffée à blanc. Son chagrin, sa révolte, son euphorie soudaine, sa décadence forcent l’émotion jusqu’aux larmes. Son soprano, de toute beauté, possède ce je ne sais quoi de spécial qui vous touche en plein cœur. Son ‘Ferma l’ali’ fragile, triste à mourir, désespéré et révolté tout à la fois aura certainement été l’un des points forts de ce spectacle. Tandis que l’air ‘Del ciglio dolente’, pris à toute vitesse avec ses vocalises qui fusent, n’aura pas manqué de susciter l’admiration.
Teresa Iervolino incarne le rôle de Cleofe, ici une grand-mère clopin-clopante mais à la santé vocale éclatante. Peut-être aurait-il été judicieux d’éviter de grossir le trait à ce point pour faire comprendre qu’elle est la grand-mère du petit. Toujours est-il que le spectateur s’est régalé du velouté de sa voix et de la profondeur de notes graves peu communes. Les récitatifs sont habités, charnels et intenses. La chanteuse ne fait qu’une bouchée du très contrasté ‘Naufragando va per l’onde’ et de ses vocalises infernales.
Dans le rôle de Lucifer, Giorgio Caoduro fait un show débridé et marque les esprits par sa forte présence sur scène. Il faut dire que sa robe à paillettes y est pour beaucoup. Un diable féminisé pour mieux vous entourlouper. Son timbre de baryton-basse nous a conquis même si sa technique atteint parfois ses limites : vocalises trop scandées dans ‘O voi del erebo’ et notes aiguës tendues à certains endroits. En revanche sa vocalise descendante sur le mot ‘guerra’ aura été une pure merveille.
Reste le cas du ténor Charles Workman, que Baroque News a souvent entendu et réellement apprécié au cours de sa longue carrière. L’un des meilleurs ténors. On se souvient notamment de son divin Jupiter dans Semele, pour ne citer que ce rôle. Mais voilà, le temps a passé, et la voix ne possède plus ce moelleux, cette facilité, cette aisance, qui suscitaient tant d’admiration. Même s’il parvient à offrir quelques jolis moments tel que l’air ’Caro figlio’, la voix a malheureusement tendance à détonner quand certaines notes aiguës sonnent bien pâlichonnes. A la traîne dans ‘Ecco il sole’, il tire même l’air ‘Quando è parto’ vers l’ennui. Le rôle de San Giovanni mérite un traitement plus délicat, plus nuancé à l’image d’un Cyril Auvity qui transcendait véritablement le rôle tout récemment à la Philharmonie de Paris.
Le chef George Petrou offre, comme à son habitude, un écrin musical de luxe aux chanteurs et rend justice à une partition sensible, contrastée et tonique à la fois.
Notons que chanteurs et musiciens étaient amplifiés et régulièrement sujets aux pétarades de motos et autres véhicules aux sirènes tonitruantes. Les âmes sensibles au moindre papier de bonbon, pages de programme consultées ou toussotement, risqueraient bien de quitter le concert !
Ruggero Meli