ROUEN : HANDEL SERSE 12.III.2023

Georg Friedrich Haendel : SERSE, opéra en trois actes sur un livret de Nicollo Minato et Silvio Stampiglia, créé le 15 avril 1738 à Londres. 

Rouen, Théâtre des Arts, dimanche 12 mars à 16h00.

Durée 3h15, entracte inclus. En italien surtitré en français. 

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie 

Direction musicale, clavecin : David Bates 

Mise en scène, scénographie, costumes : Clarac & Deloeuil > Le Lab 

Collaboration à la scénographie : Christophe Pitoiset 

Collaboration artistique : Lodie Kardouss 

Lumières : Rick Martin 

Vidéo : Julien Roques et Benjamin Juhel 

Création graphique : Julien Roques 

Dramaturgie : Luc Bourrousse 

Coproduction Staatstheater Nürnberg, Opéra de Rouen Normandie, dans le cadre du festival SPRING

photos © Lucy Leung

ROUEN     12.III.2023 : Serse réduit à une histoire d'ados affligeante mais sauvé par l'orchestre

Un spectacle que nous avions déjà eu l'occasion de subir à Nuremberg il y a cinq ans. Sur scène une piste de skateurs et toute la panoplie des "djeuns branchés" : joggings, baskets, couleurs flashy, boule à facettes, spots, gestuelle de banlieue, vulgarité, invectives. Les deux frères, Serse et Arsamene se disputent l'amour de la belle Romilda. 

Rien ne nous aura été épargné au point de nous infliger en plus du reste, des interviews filmées de skateurs aux commentaires réducteurs du type "Ma planche c'est ma femme". Certes les livrets de l'époque de Haendel ne brillaient pas par leur finesse ni leur profondeur intellectuelle, comme celui de Serse d'ailleurs. Ce n'est pourtant pas une raison de les rendre encore plus inintéressant. Passé les premières minutes, le spectacle devient répétitif et n'est même pas particulièrement drôle (or c'est la particularité de cet opéra de l'être, une rareté dans la production du Caro Sassone). 

De plus, si le but était, entre autres, de faire venir le jeune public à l'opéra, c'est un flop à notre humble avis. Pour avoir organisé très souvent des sorties scolaires à l'opéra, nous savons bien que les jeunes attendent surtout de vivre une expérience unique "comme dans les films", être assis dans une loge et découvrir des spectacles magiques qui vous sortent du quotidien et de la médiocrité ambiante. Nous doutons fort que ces skateurs ne reviennent un jour à l'opéra. 

A Rouen, on pouvait légitimement penser, au vu de la distribution annoncée, qu'elle sauverait en partie ce spectacle. Pourtant le Serse de Jake Arditti n'a pas vraiment convaincu. Certes, sa plastique physique était en parfaite adéquation avec le rôle du jeune skateur tatoué et musclé mais le rôle, trop grand pour ses capacités vocales, l'a mis à mal avec notamment des aigus criards et métalliques. Quant à son frère Arsamene, interprété par la coqueluche des contre-ténors Jakub Orlinski, sa prestation, certes honnête, n'a pas non plus déclenché d'enthousiasme particulier. Bien entendu nous avons eu droit à quelques acrobaties de sa part. A croire qu'il suffit de faire des numéros de cirque pour être populaire... 

Côté dames, la Romilda de Mari Eriksmoen n'a pas vraiment brillé : la voix est limitée, et les aigus désagréables. Et dire que l'artiste avait fait un début fulgurant notamment avec le chef Harnoncourt. L'été dernier elle nous avait déjà franchement déçu dans le rôle de Cleopatra de l'opéra Giulio Cesare à Beaune. 

On pensait que Cecilia Molinari serait une Amastre d'exception, or sa prestation, loin d'être mauvaise, n'avait rien de passionnant. Dernièrement nous avons entendu dans ce même rôle la phénoménale mezzo-soprano Daniela Mack (à Pampelune sous la direction de Harry Bicket : une intégrale devrait sortir bientôt avec la sublime Emily D'Angelo dans le rôle de Serse). 

Restait heureusement, les deux "petits" rôles de luxe, respectivement celui d'Ariodate chanté par un Luigi De Donato plein de panache et l'irrésistible Elviro interprété par Riccardo Novaro. C'est surtout la sublime Sophie Junker dans le rôle d'Atalanta avec sa voix facile, brillante voire éclatante, qui nous a comblé de bonheur. 

L'autre grand sauveur de la soirée aura été sans conteste l'ingénieux David Bates à la tête de l'orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie. Incisif, vif, inventif, il magnifie la partition avec grand art en faisant briller l'orchestre au point parfois de couvrir les voix. La rédaction de BAROQUENEWS adore ce chef qui nous a fait souvent vibrer. On pense notamment à sa brillante interprétation d'Orlando à Londres ou encore son magnifique récital avec l'excellent contre-ténor Carlo Vistoli à Halle. 

Un spectacle qui a reçu un accueil mitigé en cette deuxième représentation : à la fois très applaudi mais aussi abondamment hué. Il semblerait qu'une diffusion télévisée soit prévue. Hasard du calendrier, nous avons assisté une semaine avant cette production à un brillant spectacle de ce même Serse à Detmold en Allemagne (voir notre compte rendu plus bas) d'une grande finesse humoristique. Un spectacle inventif et autrement passionnant. 

                                                                                                                                                                                   Ruggero Meli