Vivaldi Juditha Triumphans, Stuttgart 11.II.2022

VIVALDI JUDITHA TRIUMPHANS, devicta Holofernis barbarie RV 644

Stuttgart Opera, Friday 11 February 2022, 7pm

Oratorium sacrum militare in two acts, sung in Latin. Libretto by Iacopo Cassetti 


Juditha Rachael Wilson

Holofernes Stine Marie Fischer

Vagaus Diana Haller

Abra Gaia Petrone

Ozias Linsey Coppens


Mitglieder des Staatsopernchores, Musiker*innen des Staatsorchesters Stuttgart

Conductor Benjamin Bayl


Direction and setting Silvia Costa

Costumes Laura Dondoli

Light Bernd Purkrabek

Choir master Bernhard Moncado

Dramaturgie Franz-Erdmann Meyer-Herder, Antonio Cuenca Ruiz

pictures © Martin Sigmund

 

         A production not so easy to understand and watch, enhancing a group of feminists fighting for their rights against the male tiranny. Yet a very good cast, orchestra & conductor helped to turn this staged oratorio into a thrilling moment.


          Juditha Triumphans devicta Holofernis barbariae, l’œuvre certainement la plus prisée, jouée et enregistrée de Vivaldi (en témoigne ses 15 réalisations discographiques quand la plupart de ses autres opéras ne bénéficient que de deux, trois ou quatre enregistrements. Toute la discographie de Vivaldi est d’ailleurs disponible sur notre site), fait de plus en plus l’objet de versions scéniques et l’on dénombre ces dernières années quelques belles productions notamment à Venise, à Amsterdam et tout récemment à Athènes. D’ailleurs Vivaldi lui-même avait proposé à sa création, une version scénique de l'oeuvre, interprétée par les jeunes filles (dans tous les rôles, même masculins) de l’Ospedale de la Pieta de Venise, le tout avec grand succès. En effet, cette scène biblique (Les assyriens, sous le commandement du général Holopherne, envoyé par  Nabuchodonosor, ont envahi la ville israélienne de Bethulie. Pour sauver son peuple, Judith va le séduire et lui trancher la gorge pendant son sommeil) n’était autre qu’une allégorie pour célébrer la victoire du maréchal Matthias von Schulenburg, chef des armées vénitiennes qui avait chassé les Turcs à Corfou en juillet 1716 et libéré La Serenissima. 

Mettre en scène cet oratorio est loin d’être une mince affaire et suppose de relever quelques défis: 

Ce dernier point est d’ailleurs solutionné dans cette production par le fait qu’il n’y ait qu’un seul camp ! Tous sont unis dans une seule entreprise et les personnages tels que Holopherne, feignent de jouer les ennemis quand Vagaus participe pleinement à la mission du groupe: dénoncer et combattre la tyrannie masculine et revendiquer l´émancipation et l´indépendance féminine, défendre les droits des femmes. C’est la raison pour laquelle Silvia Costa, qui a choisi de conserver l’histoire de Judith en Israël mais dans un contexte contemporain, a imaginé son spectacle en deux grandes parties:

          En effet, la première partie montre un groupe d’infirmières qui se préparent à mener un combat. Elles s’entraînent, s’affairent et vaquent à leurs tâches respectives: certaines soignent les blessés dans une tente d’hôpital de guerre, quand d´autres nettoient les armes, etc. La préparation est rigoureuse et minutieuse, et la tâche finale semble périlleuse, aussi rien n’est laissé au hasard, il faut que tout soit parfaitement rodé ce qui donne lieu à des chorégraphies militaires au cordeau. Judith est le leader de ce groupe féministe, elle se conditionne pour sa mission (préparation physique et mentale), guidée par l’étoile de David, un hexagramme intensément lumineux, qui veille et guide le groupe telle l’étoile du berger.

          La seconde partie, quant à elle, se déroule dans ce qui s’apparente à une arène, lieu symbolique qui permet aux personnages de diffuser un message et de le mettre en scène au centre d’un cercle de lumière. Le public est convié au spectacle. Cette mise en abîme du théâtre dans le théâtre, va permettre au groupe d’afficher ses revendications et son combat: déploiement de banderoles et de drapeaux rouges, le sang est largement répandu car il faut marquer les esprits. Il s’agit en fait d’un mouvement féministe à l’image des FEMEN qui théâtralisent scandaleusement leurs actions coups de poing afin de réveiller et bousculer les consciences. Holopherne n’est qu’une féministe parmi les autres qui feint d’être un homme, elle joue le rôle du tyran qui devra être décapité (d'ailleurs la décapitation n'aura pas lieu, le visage d'Holopherne sera voilé et une tète qui lui ressemble sera déposée au dessus du corps), elle représente le symbole de tous les hommes qui voudraient asservir les femmes et les réduire au silence. Le groupe revendique son émancipation, la liberté, le droit à l´avortement (des embryions sont extraits d’un vagin), etc. Ce combat pour l´abolition de la suprématie et de la tyrannie de la gente masculine se matérialise également par le biais de la chute symbolique d´une gigantesque statue d´un dictateur.

           En résumé, un spectacle certes intelligent, à la thématique brûlante toujours d´actualité, qui suscite grand intérêt mais qui donne du fil à retordre car sa compréhension reste trop souvent opaque et risque de laisser perplexe une bonne partie du public. De plus, l’esthétisme choisi est loin d’être séduisant, et pourra fortement déplaire (les bébés avortés, les chemises trempées dans le sang, les bouteilles d'oxygène...). Heureusement les bons et beaux moments restent nombreux comme l´air "Agitata" qui donne lieu à une tempête cérébrale matérialisée par une agitation anarchique de la foule autour d´une Judith tourmentée. Citons également le très intéressant travail autour des astres (ils sont très présents dans le livret et dans ce spectacle à l’image de cette superbe lune déployée en éventail du quart de lune à l’éclipse), les sympathiques chorégraphies, la toile de tente qui se transforme en tapis de fleurs et Judith érigée en madone processionnelle. Une Judith transcendée au point de faire des incantations presque sataniques tout en se badigeonnant abondamment de sang. Mentionnons aussi le travail autour de peintures vivantes: les personnages se meuvent jusqu'à trouver une position parfaite qu´ils figent pour former des tableaux ou des clichés significatifs de leurs revendications. Le jeu de séduction entre Holopherne et Judith: chacun pense piéger l´autre à l´aide de rubans et l´emprisonner.

          Côté distribution, quelques bonnes surprises mais aussi un peu moins bonnes comme la voix de Stine Fischer dans le rôle d´Holopherne qui peine à convaincre. Timbre quelque peu ingrat et une voix en recherche de notes graves. Son chant a parfois du mal à passer la rampe, ce qui contraint l’interprète à "gonfler" sa voix artificiellement à certains moments. Certes il s’agit du rôle du tyran mais on aurait aimé une voix plus solide et virile et pourquoi pas plus séduisante ?

          A contrario, Diana Haller fait un feu d´artifice vocal dans le rôle de Vagaus, au point que l’on ne voit plus qu´elle sur scène. Véritable bête de théâtre par sa présence et gestuelle naturelles et convaincantes, on reste admiratif devant tant d´aplomb, de facilités vocales et d´expressivité. Sans parler de son ébouriffante virtuosité, ses prises de risques sur des notes suraiguës inattendues (air: "Umbrae carae") et ses da capo inventifs et audacieux. D´ailleurs le très attendu air "Armate face" a tenu toutes ses promesses, d´autant qu´il a bénéficié d´un bel effet scénique avec ces immenses rideaux rouges sang violemment agités tout autour de la scène. BAROQUENEWS a déjà pu apprécier, et avec grand bonheur, cette talentueuse interprète dans les rôles d’Ariodante et de Ruggiero d’Alcina dans ce même théâtre mais aussi à Strasbourg. Une interprète à suivre donc. Signalons d´ailleurs qu´elle chantera le rôle de Giulio Cesare de Haendel cet été.

          Diana Haller aurait bien pu éclipser le rôle-titre si Rachael Wilson n´avait été une admirable Judith. Grâce à ses qualités vocales, le chant de la liberté devient vibrant. Une voix pleine et sombre mais aussi délicate et sensible, longue, aux couleurs variées. Son expressivité ainsi que la clarté de sa diction rendent même les récitatifs passionnants. Son personnage est habité, exalté, passionné et nous fait décoller de notre siège lors notamment de ses parties incantatoires. Son air "Agitata" (déjà mentionné plus haut) est interprété avec une telle passion qu’il en devient presque un air de folie. Quant à l’air "Veni veni", certainement le plus beau de la partition, personne ne pourra résister à son enchantement. Un air magique. 

          Reste deux mezzo-sopranos de bonne tenue: Gaia Petrone dans le rôle d´Abra (qui avait déjà chanté ce rôle à Versailles), affiche une voix veloutée mais un brin trop discrète. Pourtant, son chant de l´espoir (son dernier air) était particulièrement réussi. Enfin Linsay Coppens en Ozias, que l'on a tendance à confondre avec Judith (une ressemblance physique certainement voulue pour montrer la force commune de cette entreprise risquée) fait un travail propre et irréprochable.

           Au delà de ce spectacle un brin opaque, dérangeant, provocateur, gore, il reste la divine musique de Vivaldi admirablement mise en valeur par les musiciens de l´orchestre de Stuttgart et leur chef Benjamin Bayl. Car ces airs, à l’instrumentation variée et aux mélodies lancinantes, s’ils sont bien joués, ont la capacité de ne plus vous quitter. Citons quelques exemples particulièrement réussis dans cette production: Les flûte enchanteresses de l’air « Veni, veni » qu’on aimerait qu’elles ne s’arrêtent jamais. Cet air mérite une écoute live pour mesurer sa portée émotionnelle ! 

Le son si particulier de la viole d’amour qui transforme l’air "Quanto magis generosa" en véritable prière. 

Le fascinant groupe de luths dans l’air « O serve volate ». 

Le fruité des clarinettes dans le chœur. 

Le surprenant air à la mandoline et ses fleurs piétinées qui pointent cette vie si éphémère. 

Le chant de la liberté de Judith divinement accompagné au violoncelle et au théorbe. 

L’air de séduction d’Holopherne accompagné au hautbois, à l’orgue et continuo. 

Les cordes des violons à peine effleurées confèrent à l’air « Vivat in pace" une ineffable tendresse et sensualité. 

Alors même si la mise en scène aura plus ou moins convaincu les uns ou les autres, selon la sensibilité et les goûts de chacun, la musique de Vivaldi aura séduit à coups sûrs le public.