Madrid : Haendel Theodora 15.XI.2024
Entre fascination et dégoût
Madrid, Teatro Real, vendredi 15 novembre 2024 à 19h30.
Georg Friedrich HAENDEL (1685 - 1759) : THEODORA, oratorio en trois parties sur un livret de Thomas Morell.
Theodora : Julia Bullock, soprano
Irène : Joyce DiDonato, mezzo-soprano
Didymus : Iestyn Davies, contre-ténor
Septimius : Ed Lyon, ténor
Valens : Callum Thorpe, baryton-basse
Le Messager : Thando Mjandana, ténor
Acteurs et danseurs Aquira Bailey-Browne, Ben Clifford, Sarah Northgraves, David Rawlins, Holly Weston, Kelly Vee
Orchestre et chœur du Royal Opera House
Direction musicale : Ivor Bolton
Mise en scène : Katie Mitchell
Décors : Chloe Lamford
Scénographie : Sarita Piotrowski
Costumes : Sussie Juhlin-Wallen
Lumières : James Farncombe
Les productions de Theodora se succèdent et s’ajoutent à la collection des déceptions. Pas moins de 5 DVDs pour l’œuvre la plus empreinte de piété de Georg Friedrich Haendel et aucune n’arrive à la cheville de la mythique production de Glyndebourne mise en scène par les soins du génial Peter Sellars. Un spectacle qui avait notamment révélé le contre-ténor David Daniels. Et cette coproduction entre Madrid et Londres, imaginée par Kathie Mitchell n’arrange rien : une transposition contemporaine qui se déroule vraisemblablement à l’ambassade de Rome avec un Valens corrompu par l’argent, 'consommateur' abusif de femmes (prostituées), et exécrable avec son personnel surtout féminin. Le combat religieux défendu par le livret semble complètement anéanti, remplacé par le combat féministe. Theodora et Irene se rebiffent et seront sévèrement punies pour avoir fomenté un attentat à la bombe. Pire que la mort, Theodora qui travaille en cuisine, sera condamnée à la prostitution. Même si l’on reste perplexe par le concept, le point fort de cette mise en scène réside dans son traitement cinématographique. On a l’impression de visionner un film policier, les bons et les méchants se confrontent à coup d’armes à feu. L’impressionnante enfilade de pièces (on passe des cuisines, au salon, à la salle des plaisirs, à la chambre, puis en chambre froide) défilent à l’horizontale comme une pellicule cinématographique que l’on déroulerait et scruterait à la loupe. Deux scènes font l'objet d'un traitement particulièrement et sciemment provoquant voire choquant : celle où Theodora chante son sublime air intimiste 'With Darkness deep' dans cette pièce capitonnée rouge dédiée à la luxure, accompagnée de deux prostituées s’adonnant à des figures de pole dance. Et celle dans la chambre froide, dans laquelle Theodora et Didymus sont traités comme ces carcasses de cochons accrochées pour consommation ultérieure. On est alors partagé par l'intention louable voire fascinante de Katie Mitchell à montrer une réalité forte et prégnante et le résultat quelque peu dégradant. En effet, les deux moments les plus sublimes de la partition s'écoutent dans un cadre repoussant voire écœurant. L’idée du film policier et ses rebondissements fonctionne en partie mais les bonnes idées sont parcimonieuses et s’épuisent rapidement. On passe son temps à regarder les personnages s’affairer dans les cuisines : tantôt ils lavent des verres ou les remplissent, préparent le café, nettoient de fond en comble, etc... D'aucuns trouveront le temps long. De plus, confectionner une bombe paraît peu crédible par des personnages à la morale et à la bonté d’âme si pure et dont le texte dit tout le contraire.
Julia Bullock, dans le rôle de Theodora ne convainc que partiellement. Même si son timbre révèle des couleurs intéressantes, son soprano englobe naturellement une partie sombre intéressante et nécessaire au rôle. Cependant, la partie haute de la voix réserve des notes tendues et plutôt désagréables. Joyce DiDonato en revanche fascine toujours autant avec cette façon de ciseler les phrases musicales, varier à souhait l’intensité et les couleurs, le tout chanté avec une généreuse projection. Ses cadences et fioritures ont fait le bonheur du public. Les airs d’Irène, pour la plupart élégiaques, n’en sont ressortis que plus beaux.
Avec sa voix solide et sa prestance, le ténor Ed Lyon s’impose aisément dans le rôle de Septimus. Son bariténor est parfaitement adapté au rôle. Seules certaines notes aiguës semblaient tendues tandis que certaines vocalises manquaient de raffinement (des à-coups désagréables).
Seul le rôle de Dydimus était différemment distribué par rapport au 'cast' de Covent Garden de 2022 (voir le DVD). En effet, le contre-ténor Iestyn Davies remplaçait avantageusement Jakub Jozef Orlinski et nous a fait profiter de la beauté d'une voix au timbre limpide. Chacune de ses interventions n'aura été qu'un pur régal. Enfin le baryton basse Callum Thorpe, à la voix solide, rocailleuse et brusque convenait parfaitement au rôle du tyran Valens, même si quelques décalages gênants avec l’orchestre ont pu être relevés pendant son premier air. Signalons enfin la voix remarquable de Thando Mjandana dans les quelques interventions du messager.
En bref, un spectacle au traitement cinématographique intéressant mais en partielle contradiction avec le livret et des scènes volontairement provocatrices et dérangeantes ont pu heurter une partie du public.
Ruggero Meli