ROYAUMONT : Haendel Il Trionfo del Tempo e del Disinganno 6.X.2024
Le temps s'arrête à Royaumont
Le Triomphe du Temps, c’est le titre donné à cette dernière journée du festival de Royaumont : une façon de nous susurrer que tout touche certes à sa fin, mais que les graines des prochains concerts et donc du prochain festival sont déjà semées. Et la transmission est assurée (le jardin des voix de William Christie) au milieu de ce décor intact de vieilles pierres à l'âme musicale.
Deux concerts au programme : l’un entièrement consacré au clavecin avec un Francesco Corti survolté, l'autre lyrique avec le bijou de Haendel, l'oratorio Il Trionfo del Tempo e del Disinganno.
Haendel et D. Scarlatti : les jumeaux célestes
Dimanche 6 octobre 2024 à 11h30
Händel et Scarlatti, les jumeaux célestes
Francesco Corti, clavecin
PROGRAMME
Georg Friedrich Händel (1685-1759)
Suite 1 in A major HWV 426
Prelude – Allemande – Courante -Gigue
Domenico Scarlatti (1685-1757)
Sonata K 208 in A major (Adagio e Cantabile)
Sonata K 209 in A major (Allegro)
Sonata K 248 in B flat major (Allegro)
Sonata K 249 in B flat major (Allegro)
William Babell (c.1690-1723)
Prelude in F major
Georg Friedrich Händel
Overture from Rinaldo HWV 7 (transcript. By. William Babell)
Vivace – Allegro – Adagio – Giga (Presto)
Domenico Scarlatti
Sonata K 215 in E major (Andante)
Sonata K 216 in E major (Allegro)
Georg Friedrich Händel
Suite n. 3 in d minor HWV 428
Prelude (presto) – Allegro – Allemande – Courante – Air – Doubles – Presto
Vaillamment défendu par le talentueux claveciniste et chef italien Francesco Corti, ce concert n’a pas déçu et enthousiasmé le public venu nombreux. Doté d’une virtuosité qui donne parfois le tournis voire le frisson, le claveciniste italien sait impulser rythme et enthousiasme à son jeu et ainsi faire swinguer ces pièces pour clavecin : deux suites et une ouverture (celle de l’opéra Rinaldo) composées par Il Caro Sassone, ainsi que 6 sonates composées par le maître du clavecin Domenico Scarlatti.
Des œuvres mises en miroir que Francesco Corti fait converser avec brillance. A la joie communicative de Haendel, Scarlatti répond par des facéties ou de subtiles dissonances. Mais les deux rivalisent d’élégance et de grâce, et peuvent aisément adopter un ton grave, sombre ou faire preuve de virtuosités virevoltantes.
Pour l’occasion, Francesco Corti jouait sur un instrument rare et atypique: un clavecin anglais avec pédalier. Il a pu ainsi jouer de contrastes savoureux en actionnant ou non son pédalier et ainsi obtenir un son feutré, proche du virginal. Un jeu du clair-obscur tout à fait surprenant.
Ruggero Meli
Un Trionfo del Tempo sincère et touchant
Dimanche 6 octobre 2024 à 15h30
Il trionfo del Tempo e del Disinganno de Händel
Les Arts Florissants orchestre
William Christie direction
Ana Vieira Leite (Belleza) soprano
Rebecca Leggett (Piacere) mezzo-soprano
Jasmin White (Disinganno) contralto
James Way (Tempo) ténor
Emmanuel Resche-Caserta premier violon et assistant musical
Myriam Gevers, Catherine Girard, Christophe Robert, Tami Troman (cheffe des seconds violons), Sophie Gevers-Demoures, Michèle Sauvéviolons
Simon Heyerick, Samantha Montgomery altos
David Simpson, Magali Boyer, Alix Verzier violoncelles
Hugo Abraham contrebasses
Serge Saitta flûtes allemandes
Pier Luigi Fabretti, Yanina Yacubsohn hautbois
Evolène Kiener basson
Thomas Dunford théorbe
Florian Carré clavecin, orgue
Rita de Letteriis conseillère linguistique
Nous ne répéterons jamais assez combien cette œuvre de jeunesse de Haendel relève du sublime. Avec son sujet d’une simplicité presque enfantine : La Beauté, encouragée par Le Plaisir, se pense éternelle mais va vite déchanter au contact du Temps et de La Désillusion. L'oeuvre s'avère être une puissante allégorie émotionnelle sur le temps qui passe et nous rappelle notre condition de mortel. William Christie et son équipe Les Arts Florissants ont choisi de ne rien sacrifier à l’œuvre : une fois n’est pas coutume, l’œuvre n’a subi absolument aucune coupure, tous les da capo sont restés miraculeusement intacts. Une interprétation fiévreuse et délicate à la fois avec un orchestre qui sait favoriser les contrastes, la vivacité ainsi que les moments d’émotion. Un crescendo émotionnel qui a fini par toucher toute la salle ainsi que tous les artistes, et finir au bord des larmes. Quatre jeunes solistes pour servir cette œuvre magique : la protégée de William Christie, depuis qu’elle a gagné le concours de chant baroque de Froville, la soprano Ana Vieira Leite dans le rôle de Bellezza. Le ténor James Way dans le rôle de Tempo, que l’on connaît plutôt bien maintenant (on se souvient d’une tournée de L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato entre autres) et deux nouvelles recrues : la jeune Rebecca Leggett en Piacere et Jasmin White en Disinganno.
Tous ont joué la carte de la sincérité et d'une émotion à fleur de peau. Pourtant, si nous nous hasardons à pousser la comparaison avec des artistes confirmés et uniquement dans les versions récemment entendues, nous déchantons assez vite. Comment ne pas penser notamment aux sublimes Marie Lys, Sophie Junker, Nikola Hillebrand ou Jeanine De Bique (Belezza), aux surdouées du baroque Sophie Rennert, Cecilia Bartoli, Julia Lezhneva (Piacere), les contre-ténors Carlo Vistoli, David DQ Lee, Xavier Sabata, Reginald Mobley (Disinganno). Finalement, seul James Way tire véritablement son épingle du jeu avec son timbre corsé et capiteux à la projection insolente. Nous retiendrons tout de même le contralto tonique de Jasmin White, ainsi que le mezzo franc et direct de Rebecca Leggett. Seul le soprano d’Ana Vieira Leite nous laisse décidément perplexe. Certes, nous tenons là un soprano de bonne tenue et à l’execution plutôt efficace mais le timbre manque de charme, de séduction et elle n’arrive pas à bout, par exemple, des infernales vocalises de l’air ‘Un pensiero nemico di pace’.
De jeunes artistes, encore en devenir donc, mais qui ont su procurer l’essentiel au public : de l’emotion.
Ruggero Meli