Château de Versailles, 29 avril 2025 20h
Georg Friedrich Haendel : Alcina HWV 34. Dramma per musica en trois actes sur un livret anonyme d’après Alcina delusa da Ruggiero d’Antonio Marchi inspiré d'Orlando furioso de Ludovico Ariosto et créé à Londres en 1735
Alcina : Lisette Oropesa, soprano
Ruggiero : Gaëlle Arquez, mezzo-soprano
Morgana : Gwendoline Blondeel, soprano
Bradamante : Teresa Iervolino, contralto
Oronte : Philippe Talbot, ténor
Melisso : Guilhem Worms, baryton-basse
Oberto : Samuel Mariño, contre-ténor sopraniste
Les Épopées
Clavecin et direction : Stéphane Fuget
Ce n’est pas tous les jours qu’il nous est donné l’opportunité de goûter à Haendel interprété par de grandes voix et que ce crossover soit concluant. Bon nombre d’artistes s’y sont essayés avec plus mais surtout moins de réussite. Citons récemment, Pretty Yende, pas vraiment à sa place dans Semele au Théâtre des Champs Elysées. Dans notre cas, Lisette Oropesa, une spécialiste du bel canto et de répertoires plus tardifs que le baroque s'en sort rudement bien.
Après une première tentative, déjà très aboutie l’été dernier au festival de Beaune, Stéphane Fuget et son ensemble Les Épopées reprennent l’opéra Alcina de Georg Friedrich Haendel lors d’un concert unique dans le somptueux écrin de l’opéra royal de Versailles en ce mardi 29 avril 2025. Une version quasi complète (à l’exception de quelques ballets, le da capo du trio et le joyeux chœur final). Le chef a préféré finir sur une note douce amère avec le chœur ‘A l’orror’ et ainsi éviter la conventionnelle liete fine prévue par le compositeur. Avec un sens du drame aiguisé et une lecture très personnelle voire originale, il parvient à magnifier l’œuvre et par la même occasion à nous surprendre : hardiesse, tempi contrastés, changements de rythmes soudains, etc... Seulement, certains tempi nous ont dérouté, comme celui, bien trop lent à notre goût, de l’air ‘Verdi prati’. La pauvre Gaëlle Arquez semblait bien embarrassée par la longueur des phrases à tenir. N’oublions pas que l’ensemble a été fondé il y a peu et que le maestro ne fait que démarrer son périple haendélien. Gageons qu’il nous réserve de belles surprises à venir et des performances encore plus concluantes.
Lisette Oropesa incarne le personnage d’Alcina avec une voix pleine, franche, aux couleurs lumineuses et sombres à la fois. Elle semble pouvoir faire ce qu’elle veut de sa voix en plus de faire valoir son timbre crémeux au charme fou. Elle s’était déjà essayée avec succès dans ce rôle à Londres en 2024 (dans une mise en scène assez décevante), mais également dans deux autres œuvres de Haendel, celle de Theodora et celle de Giulio Cesare (rôle de Cleopatra). Sa capacité d’adaptation au style et aux techniques du répertoire baroque demeure bien bluffante. Seulement avec des moyens pareils, on a vraiment le sentiment qu’elle pourrait aller beaucoup plus loin dans le drame, dans l’incarnation fiévreuse et incandescente d’une Alcina désespérée comme l’avait réalisé Renée Fleming.
Sa sœur Morgana était interprétée par le brillant soprano de Gwendoline Blondeel. Une artiste qui continue de se bonifier avec le temps. La voix est dorénavant plus fruitée et plus ronde. Très touchante dans le déchirant ‘Credete al mio dolore’, on apprécie ses cadences et sa virtuosité dans l’air attendu ‘Tornami a vagheggiar’. Pourtant là encore, on a le sentiment qu’elle pourrait aller plus loin encore dans les coloratures virtuoses dans la lignée des grandes comme Beverly Sills ou Joan Sutherland.
L’autre chanteur que l’on n’attendait pas vraiment dans ce répertoire, c’est le ténor Philippe Talbot, un mozartien et un spécialiste du bel canto. Il tire plutôt bien son épingle du jeu, sans toutefois être totalement marquant. On apprécie la douceur et les couleurs de son ténor.
Gaëlle Arquez, annoncée malade, s’est révélée plutôt favorablement en voix. Même si son personnage reste encore un brin féminin dans le rôle de Ruggiero, l’artiste sait faire preuve d’intensité et d’éclat et se montrer crédible dans le rôle. Elle n’a pas déçu dans l’air virtuose ‘Sta nell’Ircana’ dont elle aura eu raison avec panache dans un da capo échevelé, inventif et plein de prestance.
Excellente prestation de la part de la contralto colorature Teresa Iervolino. Avec son caractère vocal bien trempé, elle en impose. On reste fasciné par la vitesse d’exécution des vocalises au service de l’expressivité dans ses deux premiers airs pris à un rythme effréné mais aussi par la douceur et la tendresse de son troisième et dernier air : une caresse qui fait un bien fou.
Avec son unique air ‘Pensa a qui geme’, Guilhelm Worms fait valoir sa somptueuse voix de baryton-basse : bien timbrée et consistante. Il convainc.
Enfin le contre-ténor sopraniste Samuel Marino excelle dans le rôle du petit Oberto à la recherche de son géniteur. Un rôle qui lui sied parfaitement, il parvient à nous émouvoir par sa simplicité, son innocence et sa légèreté.
Nous avons hâte de découvrir ce que nous réserve Stéphane Fuget et son ensemble Les Épopées à l’avenir.
Samuel Passetan