Paris : Haendel Semele 13.II.2025
Entre déjà vu et idées lumineuses
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, jeudi 13 février 2025, 19h30
Georg Friedrich Haendel : SEMELE, oratorio en trois actes HWV 58 d’après Les Métamorphoses d’Ovide. Livret adapté de celui de William Congreve écrit pour l’opéra Semele de John Eccles (vers 1706). Créé sous forme d’oratorio le 10 février 1744 au Théâtre Royal de Covent Garden à Londres. Première réalisation scénique le 10 février 1925 à Cambridge
Semele : Pretty Yende, soprano
Jupiter / Apollo : Ben Bliss, ténor
Athamas : Carlo Vistoli, contre-ténor
Ino : Niamh O’Sullivan, mezzo-soprano
Juno : Alice Coote, mezzo-soprano
Cadmus / Somnus / High priest : Brindley Sherratt, baryton-basse
Iris : Marianna Hovanisyan, soprano
Comédiens Lauren Bridle, Bridget Lappin, Bailey Pepper, David Rawlins Figurants enfants Jade Agrabi, Mathilda Game, Apolline Pouchard (Maîtrise des Hauts-de-Seine)
Chœur et orchestre Le Concert d’Astrée
Direction musicale : Emmanuelle Haïm
Mise en scène : Oliver Mears
Scénographie et costumes : Annemarie Woods
Lumières : Fabiana Piccioli
Chorégraphie : Sarah Fahie
Les aficionados de l’œuvre risquent de connaître une certaine déception à la vue des éléments de mise en scène "empruntés pour ne pas dire plagiés" à d’autres productions de l’opéra Semele de Georg Friedrich Haendel. En effet, une bonne partie de l’opéra se déroule sur et autour d’un lit immense (déjà vu avec Robert Carsen pour ne citer que lui), et l'on retrouve les sacs d’emplettes de grandes marques, les essayages de robes et autres parures, la photo que Junon consulte à l’envers et qu’Iris se permet de remettre délicatement à l’endroit pour ne pas froisser sa patronne excédée, etc.
Heureusement, certaines idées intéressantes vont venir pimenter ce spectacle au goût de déjà vu, surtout dans la deuxième partie de l’opéra. Clin d’œil au conte de Cendrillon : Semele, la soubrette, s’affaire à retirer les cendres de la cheminée (on se rendra compte à la fin qu’elle ramassait en fait les cendres d’une précédente Semele, et que déjà se prépare une troisième) tandis que le Dieu Jupiter se met à la courtiser. Mais contrairement à Cendrillon, l’ascension sociale sera ici fatale. La scène de Somnus, qui vit dans sa baignoire dans une salle de bain transformée en dépotoir où des centaines de cannettes et autres bouteilles vides sont amoncelées dans une démesure totale, restera certainement le point fort et désopilant de cette production. L’air supposé victorieux de Junon à la fin de l’œuvre « Among pleasures » est totalement contredit par une Juno abattue. Repentante ? Lassée de ce rôle de mégère, et de devoir sans cesse « réparer » les incartades de son mari ? Sentiment de culpabilité à l’égard d’une Semele sacrifiée, génitrice exploitée et privée de son bébé ? Idem pour l’air jubilatoire d’Athamas à la fin du spectacle « Despair no more » qui passe de l’ironie à la folie extrême.
Des éléments qui viennent compenser un spectacle qui avait mal débuté avec sa première partie plutôt prévisible et qui frisait l'ennui.
Côté distribution, et disons-le d’emblée, Pretty Yende n’a pas vraiment brillé dans le rôle titre. Dotée de moyens conséquents que l’on devine ou que l’on entend avec parcimonie seulement, son implication laisse perplexe (certaines vocalises sont prises avec un volume tellement léger qu’elles deviennent insignifiantes). L'auditeur navigue entre beauté du timbre et laideur de certains sons. Un même constat que nous avions précédemment fait lors de sa prise de rôle baroque dans l’opéra Giulio Cesare à Francfort l’an dernier. Un seul de ses airs aura véritablement convaincu : « No no I’ll take no less », dans lequel l’artiste a fait preuve d’une férocité et d’une détermination vocale que l’on aurait aimé retrouver tout du long. Un air débridé qui souligne l’état de démence atteint par le personnage placé sous camisole.
Comment peut-on couper le da capo d’un air absolument essentiel de cette œuvre : l’air du miroir « Myself I shall adore » ?
La très bonne surprise est venue du ténor Ben Bliss dans le rôle de Jupiter. Formidable de projection, de brillance, d’aisance vocale, d’embellissements, d’implication. On ne sait plus quoi louer tant il excelle ! Son éclatante virtuosité dans l’air « I shall amuse her » n'a eu d'égal que le doux frisson qu'il nous a procuré dans l’air si poétique « Wher’er you walk ». Un artiste à suivre absolument !
L’autre grosse performance de la soirée, malgré une partition limitée est venue du flamboyant contre-ténor Carlo Vistoli qui a montré des talents d’acteur insoupçonnés en se déchaînant littéralement dans son air « Despair no more shall wound me ». Une fulgurante interprétation qui lui permet de faire émerger ce rôle d'habitude discret.
Même si la Junon d’Alice Coote manquait d’aisance dans certaines vocalises, notamment dans l’air ‘Hence, hence, Iris hence away’ (pris avec un tempo bien prudent), sa voix, cinglante, a fait grand effet. On se souvient alors avec bonheur de sa Dejanira dans l’opéra Hercules du même Haendel ici même au Théâtre des Champs Elysées en février 2014.
Grâce à sa voix caverneuse, la prestation honnête et plutôt convaincante de l’inépuisable baryton-basse Brindley Sherratt aura marqué les rôles de Cadmus, du Grand Prêtre et surtout celui de Somnus et sa mémorable sortie de bain !
Dans les rôles secondaires, mention spéciale à la voix solide et corsée de la mezzo-soprano Niamh O’Sullivan dans le rôle d’Ino (sœur de Semele et secrètement amoureuse d'Athamas), ainsi que le séduisant et très élégant soprano de Marianna Hovanisyan dans le rôle d’Iris.
L’opéra finira sa course avec un chœur festif doux amer voire terrifiant (Semele a été brûlée vive dans le fourneau après qu’on lui a arraché son enfant des entrailles) qui nous a laissé songeurs.
Ruggero Meli