HANDEL GIULIO CESARE Ambronay 28.IX.2019

AMBRONAY 28 September 2019 20h Abbatiale

HANDEL: GIULIO CESARE 

(concert version)

Giulio Cesare : Christopher Lowrey countertenor

Cleopatra : Karina Gauvin soprano

Cornelia : Eve-Maud Hubeaux soprano

Sesto : Ann Hallenberg mezzo-soprano

Tolomeo : Kacper Szelazek contre-ténor

Achilla : Ashley Riches basse

Les Talens Lyriques

Christophe Rousset direction 

          Fidèle à ses bonnes habitudes, le festival d'Ambronay propose cette année encore un programme baroque ambitieux et de grande qualité en mettant notamment au programme certainement la plus géniale des oeuvres de Haendel: Giulio Cesare, un opéra dans lequel chaque air constitue un bijoux baroque ! Pour l'occasion la formation des Talens Lyriques et leur chef Christophe Rousset, habitués du festival et spécialistes de ce répertoire et de Haendel en particulier (ils ont déjà donné l'ouvrage à la scène et au concert notamment en 1999 à Montpellier et quelques années après à Paris), ont été sollicités pour magnifier l'oeuvre avec une distribution qui, disons le d'emblée s'est révélée de haute volée. A commencer par le rôle-titre qui a été confié, une fois n'est pas coutume, à un homme, en l’occurrence le contre-ténor américain Christopher Lowrey, que le grand public connaît peu encore mais qui multiplie pourtant ces dernières années les exploits haendéliens d'excellence (Baroque News l'a déjà souvent entendu avec bonheur dans notamment Rodelinda, Orlando et Semele à Londres, Arminio à Göttingen, Pergolesi Stabat Mater à Essen, Legrenzi La Divisione del Mondo à Nancy...). Cet interprète fait désormais partie des meilleurs contre-ténors du moment et l'a encore admirablement démontré lors de cette tournée de trois concerts (Bucarest, Paris et enfin Ambronay) dont cette soirée du samedi 28 septembre 2019 dans l'abbatiale d'Ambronay. Christopher Lowrey possède un physique certes avenant mais presque angélique ce qui ne correspond pas à priori à l'image que l'on pourrait se faire d'un Cesare conquérant et potentiellement belliqueux capable de faire face à la perfidie d'un Tolomeo bien retors. Or dès son entrée "en scène" l'interprète s'est littéralement métamorphosé, en affichant un Cesare à la fière prestance dans l'arioso "Presti omai l'Egizia terra" mais surtout un redoutable et menaçant Cesare dans son air furibond "Empio diro tu sei" à la vue de la tête décapitée de Sesto Pompeo censée l'intimider ! La voix acquiert alors mordant et intensité sans jamais faiblir, les vocalises, bien sonores, fusent d'un trait sans que le contre-ténor ne reprenne son souffle, ce qui renforce encore sa crédibilité dans le rôle ! Admirable ! Le timbre est proche de celui d'un Bejun Metha mais plus séduisant et à la tessiture un peu plus haute, ce qui lui permet de réaliser de brillantes cadences. En revanche, certaines notes graves avoisinent l'inaudible sans pour autant constituer une véritable gêne pour l'écoute. L'un des highlights de la soirée aura certainement été son air "Quel torrente" au 3e acte, air très rarement donné car généralement coupé par les chefs ou metteurs-en-scène, interprété avec brio et panache, dans une fougue toute contagieuse. Christopher Lowrey a embrasé l'abbatiale ! 

          Deux autres gosiers sublimes faisaient partie de la distribution, et même s'il est vrai qu'elles n'ont plus vraiment l'âge ni trop la voix de leur rôle, et nous sommes bien embêtés de le signaler : Karina Gauvin en Cleopatra et surtout Ann Hallenberg en Sesto, elles n'ont pas démérité, bien au contraire. Car il n'est pas question de bouder son plaisir à l'audition de ces deux interprètes d'exception. L'une, Karina Gauvin, possède davantage désormais la voix d'une Alcina avec son timbre riche et mature plutôt que celle d'une Cleopatra, pour laquelle une pointe de fraîcheur, de candeur, de malice juvénile et de sex appeal est certainement nécessaire, mais quelle voix tout de même, car ce que nous perdons d'un côté nous le gagnons en force dramatique, en personnalité marquante. L'air "Se pieta" donne le frisson, "V'adoro pupille" est rendu avec une intensité graduée fort inhabituelle pour se terminer dans l'extase et la béatitude. Chacune de ses interventions passionne avec cet art ciselé de la caractérisation notamment dans des récitatifs totalement habités, nous avons affaire à une Cleopatra déterminée et malicieuse. L'apothéose étant l'air "Da tempeste" dont le da capo très audacieux a surpris par ses fioritures uniques et très personnelles. 

          Le Sesto de la mezzo-soprano Ann Hallenberg est absolument impeccable: tout y est maîtrisé à la perfection (chaque mot semble avoir été pensé et chargé d'expressivité), trop peut-être car ne manque t'il pas du coup une certaine spontanéité, une certaine maladresse à cet adolescent vengeur et impétueux ? Mais là encore, quelle voix au demeurant ! Les récitatifs et airs bénéficient d'une charge dramatique particulière et une diction hors pair ! Et quel bonheur de pouvoir entendre enfin des airs tels que "La Giustizia" ou "L'aura che spira" trop souvent coupés, car considérés (certainement à tort) comme des redites. Ici le personnage bénéfice de tous ses airs pour le grand plaisir d'un public comblé ! Mais la soirée a bien faillie être interrompue en plein milieu de l'air de Sesto "Langue offeso" teinté de gémissements et d'une agitation inattendus suite au malaise d'une spectatrice. Peut-être aurait-il été plus crédible encore pour la mezzo-soprano Ann Hallenberg d'endosser le rôle tellement noble de Cornelia et ainsi intervertir avec Eve-Maud Hubeaux qui possède cette impétuosité et une voix un brin rêche plus à même d'incarner un Sesto vengeur (elle avait été une formidable Armida à Bâle dans une version inédite de Rinaldo dans laquelle Armida est une mezzo-soprano et Argante est un contre-ténor !). Heureusement cette Cornelia n'est pas dépourvue de charme et d'aplomb pour autant. Elle est aussi capable d'une grande sensibilité au point d'en faire délicatement mourir l'air "Priva son". Les récitatifs surprennent par la force dramatique qu'elle y confère. Son duo avec Ann Hallenberg "Son nata a lagrimar" a particulièrement ému notamment grâce à une façon bien particulière de chanter les soupirs"Ah, ah..." à la fois tristes et plaintifs mais aussi plein de détresse.

          Le perfide Tolomeo quant à lui, était incarné par le jeune contre-ténor polonais Kacper Szelazek. Avec cette pointe d'acidité dans la voix et une tessiture pas toujours homogène (des "défauts" qui deviennent des qualités dans ce rôle) en plus d'une interprétation forte de caractère, il rivalise aisément avec son ennemi Cesare et convainc dans des airs tels que "Domero la tua fierezza" dans lesquels il peut laisser libre court à sa tyrannie.  

          Reste le baryton-basse Ashley Riches, au physique démesuré et à la voix impressionnante. En quelques années ce dernier est devenu LE baryton-basse assigné à tous les rôles haendéliens. Baroque News l'a déjà entendu avec bonheur dans notamment des œuvres telles que Solomon ou Semele. Avec sa voix bien timbrée, facile, expressive et inventive, il joue parfaitement les amoureux lascifs, maladroits et légèrement vulgaires. Il n'a fait qu'une bouchée de ses deux airs (l'air du deuxième acte étant coupé).  

          Même si Christophe Rousset sait conférer tempérament et fougue à l'ouverture ou à un air tel que "Empio diro tu sei", il semble s'assagir avec le temps, et mène ses Talens lyriques avec une force tranquille et des tempi délibérément (plutôt) modérés (comme l'air de Cleopatra "Tutto puo donna vezzosa" pris lentement certainement pour souligner une douce séduction plutôt que la brillance d'un personnage triomphant, absolument certain de son sex-appeal). On aurait peut-être aimé un peu plus de contrastes, de surprises, d'inventivités orchestrales. 

          Outre le fait que ce Giulio Cesare était constitué d'une distribution de grande qualité aux personnalités extrêmement fortes et expérimentés qui n'avaient pas besoin de mise-en-scène pour jouer pleinement leur rôle, (ce qui a notamment donné lieu à de riches da capo et des cadences endiablées), l'un des intérêts résidait aussi dans l'opportunité d'entendre des airs trop souvent coupés dont l'air de Cleopatra "Tu la mia stella sei" en plus des autres airs cités dans cet article. A signaler aussi que le chef a opté pour une version dépourvue de deux personnages mineurs : Nireno (qui n'a qu'1 seul air ou seulement des récitatifs selon les versions) et Curio (qui chante uniquement des récitatifs) et a procédé à la coupe de quelques da capo dont, fait inhabituel, le duo final et surtout le chœur final. Ils auraient pourtant permis de faire briller l’œuvre dans un final encore plus flamboyant. Ou bien, serait-ce une façon de poursuivre l'interprétation de l’œuvre et ainsi afficher une joie bien éphémère ?