Hambourg, Elbphilharmonie 15.V.2025
Göttingen, Stadthalle 16.V.2025
Georg Friedrich Haendel (1685 - 1759) : Solomon, oratorio en trois actes. Texte attribué à Thomas Morell, ou au compositeur, aidé de Newburgh Hamilton, d’après l’Ancien testament, créé le 17 mars 1749 à Londres (Covent Garden).
Distribution lors de la création :
Solomon : Caterina Galli, contralto
Solomon's Queen : Giulia Frasi, soprano
Nicaule, Queen of Sheba : Giulia Frasi, soprano
First harlot : Giulia Frasi, soprano
Second harlot : Sibilla Gronamann (Mrs Pinto), mezzo-soprano
Zadok, the High Priest : Thomas Lowe, ténor
A Levite : Henry Theodore Reinhold, basse
Solomon : Lena SUTOR-WERNICH, contralto.
Queen (mère de Solomon) : Francesca LOMBARDI MAZZULLI, soprano.
Queen of Sheba : Francesca LOMBARDI MAZZULLI, soprano.
Zadok : James WAY, ténor.
Levite : Armin KOLARCZYK, baryton.
1st Harlot : Carlotta COLOMBO, soprano.
2nd Harlot : Francesca LOMBARDI MAZZULLI, soprano.
Attendant : Isaak LEE, baryton
Festspielorchester Göttingen.
NDR Vokalensemble.
George PETROU, direction
Lena Sutor-Wernich, la révélation
Disons-le d’emblée, après ces 3h d’écoute, une pointe de déception s’est emparée de nous. Le chœur ne nous a pas procuré le frisson attendu notamment dans le phénoménal "Praise the Lord", nous n’avons pas pleuré dans l’air de la prostituée "Can I see my infant gor'd", les rôles de la Reine et de la Reine de Saba auraient mérité d’avoir un peu plus de charme, enfin le baryton manquait franchement d’énergie et de conviction. Ça fait beaucoup !
Les deux sopranos n’étaient franchement pas mauvaises mais la voix fraîche et claire de Carlotta Colombo n'a pas suffi à restituer la profondeur et la douleur de son personnage. Quant à Francesca Lombardi Mazzulli, on aurait aimé entendre une voix plus séduisante et surtout une interprétation plus noble. Elle nous a tout de même offert un très beau "Will the sun forget to streak".
Heureusement, les bons moments étaient également nombreux. Nous retiendrons surtout la direction de George Petrou qui sait comme personne insuffler le drame à son orchestre et donner du caractère à la musique du Caro Sassone. Mais aussi l’excellente prestation du ténor, ou plutôt du baryténor James Way qui affrontait vaillamment les parties virtuoses avec son timbre charnu, sa voix bien projetée et une clarté du texte exemplaire. Ses quatre airs ont fait fort effet.
Non pas que le chœur de la radio NDR ait démérité, mais nous avons entendu chœur plus flamboyant dans cette œuvre. D’ailleurs l’un des highlights de ce concert aura été, sans nul doute, le chœur du rossignol à la fin de l’acte I : les piaillements à l’orchestre combinés à ceux du chœur ont suscité le ravissement du public. Jamais cette partie chorale n'aura été restituée avec autant de ravissement.
Mais le plus beau cadeau aura été la voix de Solomon, inattendue, profonde, charnue et d’un grave barytonnant. Une voix qui appartient à la contralto ou plutôt la mezzo-soprano Lena Suter-Wernich puisque les notes aiguës lui semblaient tout aussi aisées que les graves. Une interprète qui avait déjà marqué les esprits à Göttingen il y a quelques années dans l’oratorio Hercules du même Haendel puis dans Alcina à Darmstadt (rôle de Bradamante). Elle signe ici une prestation de haut vol, avec des nuances raffinées et une belle sensibilité. On tient là l’un des meilleurs sinon le meilleur Solomon jamais entendu ! Rien que pour cette voix unique et si particulière, ce Solomon valait véritablement le déplacement !
Samuel Passetan
Georg Friedrich Haendel : Tamerlano
Deutsche Oper Gôttingen, samedi 17 mai 2025 à 18h
Dramma per musica en trois actes
Texte de Nicola Francesco Haym d'après les livrets d'Agostino Piovene et Ippolito Zanelli, d’après la tragédie pour musique d’Agostino Piovene.
Tamerlano: Lawrence Zazzo
Bajazet: Juan Sancho
Asteria: Louise Kemény
Andronico: Yuriy Mynenko
Irene: Dara Savinova
Leone: Sreten Manojlovic
FestspielOrchester Göttingen
Direction musicale : George Petrou
Mise en scène : Rosetta Cucchi
Décors : Tiziano Santi
Costumes : Claudia Perdigoni
Lumières : Ernst Schieβl
Une réussite !
Un lieu sombre et peu rassurant hanté par des fantômes. Voilà le décor imaginé par la metteuse en scène Rosetta Cucchi. Sommes-nous dans l’esprit de Tamerlano ou dans son inconscient ? Faire face à ses démons, voilà le défi que doit relever le tyran Tamerlano et assumer les conséquences de tous ses actes odieux et sanglants passés. Un monde manichéen fait de blanc et noir. Un noir d’outre tombe mais classieux (un peu comme l’intérieur de l’opéra de Lyon), un cube recouvert de parois laquées noires et diverses portes matérialisées par des contours lumineux. Des issues qui s’ouvrent mais qui resteront fermées à certaines occasions, une façon de montrer le désarroi des personnages en quête désespérée de solutions qui n'arrivent pas. Réduit à l’état d’animal, Bajazet est enfermé dans une cage sous le plateau et Tamerlano - sorte de mix de Karl Lagerfeld et du Dracula de Coppola - lui lance des épluchures de pommes ou des restes de légumes. Une mise en scène dans laquelle les personnages ne savent pas toujours à quoi s’occuper mais qui globalement affiche une élégance grâce à un décor léché et qui finit par passionner par son émotion et son intensité dramatique. Il faut dire que l’orchestre, avec à sa tête l’excellent George Petrou, a largement contribué à cette tension dramatique. Jamais l’œuvre ne nous avait semblé aussi tendue et bouleversante. Son sens de la pulsation, de révéler des détails insoupçonnés de la partition, de bousculer les tempi, de rendre cette partition si vivante, si palpitante, nous a totalement conquis. C'est vraiment un grand moment de musique ! De plus, la distribution nous a fait décoller de notre fauteuil. À commencer par l’excellent Andronico de Yuriy Mynenko, qui possède ce petit plus dans la voix qui vous fait vibrer à chacun de ses airs. Délicat et puissant à la fois, il se permet des cadences spectaculaires. A noter un léger décrochage de registres (manque d’uniformité) dans certains airs qui descendent très bas. Après avoir été LA révélation du fameux Artaserse de Nancy il y a treize ans, il reste l’un des tous meilleurs contre-ténors encore actuellement et mériterait une notoriété plus grande. L’autre rôle particulièrement magnifié aura été le Bajazet de Juan Sancho. A part un costume d’une laideur absolue (une serpillière ajourée), sa voix de bariténor s'est révélée absolument parfaite dans ce rôle de géniteur fier et suicidaire. Sa bravoure et ses éclats de voix indignés étaient marquants et son interprétation viscérale du rôle qui le conduit à s'empoisonner s'est avérée poignante.
Dara Savinova, quant à elle, offre un mezzo de grande qualité au rôle d’Irene. Tout y est : une technique rompue à toute épreuve, un timbre de velours, des cadences spectaculaires, une vaillance héroïque qui va la mener prochainement à chanter le rôle-titre de l'opéra Giulio Cesare à Tallin. Trois airs et trois moments forts.
Le baryton-basse Sreten Manojlovic s’est notamment distingué dans un air spectaculaire, peut-être le plus beau de tout le répertoire haendélien "Nel mondo e nell’Abisso". Un tour de force salué par un déchaînement du public.
Louise Kemény a fait ce qu'elle a pu pour sauver son rôle du naufrage. Annoncée malade, elle est apparue avec une voix diminuée et des problèmes techniques pénalisants. Toutefois, elle est également parvenue à faire preuve d'audace et d'effets vocaux probants.
Enfin Lawrence Zazzo qui avait été problématique dans Rinaldo à Karlsruhe tout récemment, tire davantage parti du rôle de Tamerlano. Il faut dire qu’il s'agit d'un rôle qu'il connaît bien pour l’avoir interprété sur les planches de l'opéra de Francfort deux saisons de suite (voir notre compte rendu). Le métier aidant, il sait ménager ses effets vocaux et surprendre avec notamment des cadences percutantes. Saluons également son jeu d’acteur passionnant et jusqu’au-boutiste qui le mènera jusqu’à la folie. Seul l'air hyper virtuose "A dispeto" a mis l'artiste en grande difficulté le poussant à réaliser ses vocalises en secouant la tête.
Avec un choeur final de toute beauté, chanté a capella (contrairement à la partition de Haendel) par des personnages meurtris, affaiblis par tant de tourments, l'oeuvre finit par vous tordre le ventre. Magnifique.
Samuel Passetan
Congrats, Nic McGegan!
Lundi 19 mai 19hAula der Universität, Göttingen
Airs de Vivaldi et de Haendel
Arianna Venditelli, mezzo-soprano
Nicolas McGegan, clavecin et direction
Julia Kuhn, violon
Gabriella Jones, violon
Ildiko Ludwig, viole
Julien Barre, violoncelle
Alex McCartney, theorbe
Concert entre amis
Concert intimiste et en toute simplicité. Une impression d’avoir été convié chez des amis musiciens avec au clavecin un Nicolas McGegan qui fêtait son anniversaire. La volonté de fêter l’événement en musique et parmi ceux qu’il aime et ceux qui l’aiment. Car Nic, pour les intimes, a œuvré pendant tellement d’années ici « chez lui » à Göttingen, notamment en tant que directeur artistique. Qu’il est fascinant de l’observer au clavecin avec son air juvénile, sa fraîcheur encore intacte, prêt à s’émerveiller d’un rien avec son sourire radieux qui ne l'a pas quitté de la soirée. En compagnie de cinq autres musiciens, il nous a offert de délicieuses sonates de Vivaldi et de Haendel ainsi que des airs de ces mêmes compositeurs en compagnie de la flamboyante mezzo-soprano Arianna Venditelli. Avec sa voix longue, sa virtuosité débridée, son souffle infini, son délicat phrasé, elle a su remporter un franc succès auprès du public en ce lundi 19 mai 2025 à la Aula der Universität de Göttingen. Nous retiendrons surtout le délicat « Vengo a vuoi » de Vivaldi, chanté avec une pointe de retenue pour nous mener subtilement vers un moment de grâce.
A part une vocalise légèrement savonnée dans l’air « Fra le procelle » ou bien une petite frustration dans l’air « Dite, ohimè! » qui aurait mérité davantage d’abandon, ou encore la lenteur dommageable de l’air « Un raggio di speme », Arianna Venditelli nous a fait forte impression et nous a même enthousiasmé dans ses airs virtuoses tel que le très courroucé « Crude furie » ou bien l’éclatant « Dopo notte ».
Ruggero Meli
Concert de Gala
Jeudi 22 mai 2025 à 19h30 Stadthalle Göttingen
Airs de Haendel
Ann Hallenberg, mezzo-soprano
FestspielOrchester Göttingen
George Petrou, direction musicale
Un florilège d'airs qui ont marqué la carrière de la diva baroque
L’un des événements du festival Haendel de Göttingen cette année aura été le récital de la plus haendelienne des chanteuses baroques, Ann Hallenberg. Après avoir été la star du baroque durant des décennies, sa carrière semble avoir pris un coup d’arrêt, et beaucoup la pensaient « remise aux oubliettes » (il est vrai que ses apparitions se font rares), pourtant ses capacités vocales sont quasi intactes. À part quelques notes peu séduisantes, des tempi volontairement prudents, une virtuosité légèrement moins affinée et véloce, ou des passages moins bien projetés, le reste n’est que splendeur, panache, raffinement, expressivité. Rien que ça !
Pour celles et ceux qui ont suivi sa carrière, le programme était l’occasion de retrouver tous ses airs fétiches qui ont fait sa renommée tel que l’air maternel « Vieni o figlio » d’une ineffable tendresse (rôle de Matilda, de l’opéra Ottone, enregistré au disque mais aussi interprété sur scène).
Un programme qui faisait également la part belle à des airs virtuoses tel que le fameux « Qual leon » de l’opéra Arianna in Creta avec cors. On se souvient encore de sa formidable prestation au festival baroque de Beaune en juillet 2002 sous la baguette de Christophe Rousset.
On apprécie toujours autant l’incomparable ciselé de son phrasé, son raffinement, le délié de ses vocalises, la rondeur de sa voix, son mezzo si séduisant et reconnaissable entre tous. Des qualités qui lui ont permis de magnifier notamment les deux airs d’Ariodante. Un « Dopo notte » toujours aussi brillant malgré sa lenteur et malgré des erreurs d’exécution dans la partie A comme dans le da capo.
Un recital largement plébiscité par un public visiblement tombé sous le charme de cette artiste émérite qui nous a permis d’entendre deux bis : l’air de fureur « Crude furie » de l’opéra Serse et l’incontournable « Lascia chio pianga » de Rinaldo qui agit tel un baume sur une plaie.
Oui, Ann Hallenberg n’a pas dit son dernier mot !
Ruggero Meli