Göttingen, Haendel Sarrasine (pasticcio) 10.V.2024

Festival Haendel de Göttingen

Göttingen, Deutsches Theater 6pm.

Georg Friedrich HAENDEL : SARRASINE (pasticcio) 


Mme de Rochefide : Myrsini MARGARITI, soprano 

Zambinella : Samuel MARINO, contre-ténor 

Sarrasine : Juan SANCHO., ténor

Balzac : Sreten MANOJLOVIC, baryton-basse

Mr de Lanty / Cardinal : Florian EPPINGER. 

Viennese FOP : Ronny THALMEYER. 

Mme de Lanty : Marina Lara POLTMANN. 


Kammerchor der Universität Göttingen (Antonius ADAMSKE). 

FestspielOrchester Göttingen.
Direction musicale : George PETROU 

Mise en scène : Laurence DALE

Décors et costumes : Giorgina GERMANOU

Lumières : John BISHOP 

Chorégraphe : Carmine De AMICIS 

Un spectacle surprise

          La mystérieuse création Sarrasine a enfin dévoilé ses secrets en ce jour de première au Deutsches Theater de Göttingen. En effet le programme du festival avait laissé plus d’un spectateur perplexe et dubitatif cette année face à une proposition restreinte, a priori moins alléchante pour ne pas dire moins ambitieuse qu’à son habitude, dont ce spectacle Sarrasine. Un pasticcio d’airs pour la plupart inédits (des airs alternatifs, écrits pour des reprises, pour des chanteurs en particulier, etc…) qui aura aiguisé les papilles des passionnés. Et ils n’auront pas été déçus. Certains airs ont fait sensation et les découvrir en live demeure une émotion particulièrement savoureuse. Le choix d’un livret français aura pu rebuter ou du moins intriguer certains. On pourrait légitimement se demander que vient faire Balzac et ses personnages dans ce spectacle. D’ailleurs à l’issue de la première partie, on reste perplexe sur les intentions du metteur en scène Laurence Dale qui visiblement n’a pas su rendre son propos clair et explicite. "On ne voit que" des beaux costumes, des airs qui se succèdent. C’est somptueux, le spectateur en prend plein les mirettes mais on peut  légitimement déplorer le manque de profondeur et de théâtralité.

          Heureusement, la seconde partie va largement compenser cet écueil et offrir une tension dramatique forte et dévastatrice, jusqu’aux larmes au moment du rideau final. En effet, on comprend enfin que le sculpteur Sarrasine est éperdument épris de la belle Zambinella mais il réalise qu’il s’agit d’un homme et se sent trahi au point de vouloir "la" tuer ou de se donner la mort. Les textes courts en français sont extrêmement touchants voire poignants. On ressort complètement chamboulé de ce spectacle. Il faut dire que nous avons été complètement dupés, comme le sculpteur l´a été, à l'apparition de la belle Zambinella. Nous avons cru nous aussi, pendant les premières minutes, qu’il s’agissait sans nul doute d’une femme. Son entrée a été savamment pensée. Une arrivée du fond de la scène avec un déplacement lent et progressif vers le public. Une voix féminine mystérieuse, dans une robe jaune absolument somptueuse. A ce jeu, Samuel Marino s’est montré particulièrement convaincant dans le rôle de Zambinella, un rôle sur mesure qui révèle cette fascinante ambiguïté des genres, à l'époque de Haendel comme de nos jours. Son soprano prend toute sa plénitude dans la partie haute de la voix et les vocalises, trilles et autres roucoulades sont un régal. En revanche, sa voix parlée dans les récitatifs était quasi inaudible et désagréable. Son air de rossignol "Parolette, vezzi e sguardi" a fait grand effet, de même que son air hyper virtuose tiré de l’opéra Atalanta "Tu solcasti il mare infido".

          Son courtisan usurpé, le sculpteur Sarrasine, incarné par le ténor Juan Sancho, a fait lui aussi sensation. Avec son timbre chaud de baritenor et une voix extrêmement flexible qui lui ont permis de briller dans l'air "Un disprezzato affetto", il a fait fuser les vocalises. Effet sensationnel. Un artiste qui sait désormais mieux maîtriser sa voix en évitant de pousser les aigus qui ne lui réussissent pas.

          Reste deux autres personnages, dont Balzac en personne, interprété par l’élégant baryton-basse Sreten Manojlovic qui a eu fort à faire dans la première partie. Avec son timbre soyeux et son agilité dans les vocalises, il a su conquérir le public. Les duos avec une voix de basse sont rares, aussi était-il fort appréciable d'entendre la cantate  italienne "Tacete, ohimè, tacete" qu'il a interprété en compagnie de la soprano Myrsini Margariti. Cette dernière, à l’esthétique avantageuse, nous a gratifié de son soprano, rond, uniforme, soyeux. Quel bonheur d’entendre le très rare air d’Ottone 'Spera sì, mi dice il core'. La grande admiratrice de Haendel, Mrs Pendarves, prétendait qu’à chaque fois qu’elle jouait cet air dans ses appartements, un petit oiseau se manifestait à sa fenêtre. 


          Signalons, enfin, le point fort de cette mise en scène : les touches d’humour qui viennent ponctuer le spectacle sans le dénaturer. Il est toujours risqué d’apporter de l’humour à un opera seria, au risque de le voir sombrer dans l'opera bouffa. Ici il n’en est rien, le juste équilibre est respecté. Il y a notamment un personnage alcoolisé, un membre du chœur omniprésent qui ne cesse de faire toutes sortes de gaffes. 

Autre point fort du spectacle : la direction tonique et trépidante de George Petrou. Il confère drame, tension et force à un orchestre qui répond admirablement.

                                                Ruggero Meli

Quelques photos du spectacle

​© A​l​c​i​r​o Th​e​o​d​o​r​o​ D​a​ S​i​l​v​a