Un Trionfo del Tempo sincère et touchant
Festival de Bad Kissingen, Erlöserkirche. Jeudi 10 juillet 2025 à 19h30
Georg Friedrich Haendel : Il Trionfo del Tempo e del Disinganno
Belleza : Julie Roset, soprano
Piacere : Rebecca Leggett, soprano
Disinganno : Jasmin White, contralto
Tempo : James Way, ténor
Les Arts Florissants
William Christie direction
Nous ne répéterons jamais assez combien l'oratorio de jeunesse de Haendel 'Il Trionfo del Tempo e del Disinganno' relève du sublime. Avec son sujet d’une simplicité presque enfantine : La Beauté, encouragée par Le Plaisir, se pense éternelle mais va vite déchanter au contact du Temps et de La Désillusion. L'oeuvre s'avère être une puissante allégorie émotionnelle sur le temps qui passe et nous rappelle notre condition de mortel. William Christie et son équipe Les Arts Florissants ont choisi de ne rien sacrifier à l’œuvre : une fois n’est pas coutume, l’œuvre n’a subi absolument aucune coupure, tous les da capo sont restés miraculeusement intacts. Une interprétation fiévreuse et délicate à la fois avec un orchestre qui sait favoriser les contrastes, la vivacité ainsi que les moments d’émotion. Un crescendo émotionnel qui a fini par toucher toute la salle ainsi que tous les artistes au bord des larmes. Une interprétation bien rodée après une tournée débutée en 2024 à Royaumont avec une distribution légèrement différente (Ana Vieira Leite était la soprano). Quatre jeunes solistes pour servir cette œuvre magique : la soprano Julie Roset dans le rôle de Bellezza. Le ténor James Way dans le rôle de Tempo, que l’on connaît plutôt bien maintenant (on se souvient d’une tournée de L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato entre autres) et deux interprètes moins connus : la jeune Rebecca Leggett en Piacere et Jasmin White en Disinganno.
Tous ont joué la carte de la sincérité et d'une émotion à fleur de peau. Pourtant, si nous nous hasardons à pousser la comparaison avec des artistes confirmés et uniquement dans les versions récemment entendues, nous pourrions déchanter assez vite. Comment ne pas penser notamment aux sublimes Marie Lys, Sophie Junker, Nikola Hillebrand ou Jeanine De Bique (Belezza), aux surdouées du baroque Sophie Rennert, Cecilia Bartoli, Julia Lezhneva (Piacere), aux contre-ténors Carlo Vistoli, David DQ Lee, Xavier Sabata, Reginald Mobley (Disinganno). Qu'importe, les artistes réunis au festival de Bad Kissingen étaient animés d'un bel esprit d'équipe et particulièrement inspirés sous l'oeil attentif d'un William Christie bienveillant et toujours aussi vaillant dans sa direction.
La soprano Julie Roset incarne une Bellezza de toute beauté ! Elle remplace avantageusement et surclasse aisément le soprano bien fade d'Ana Vieira Leite. Avec sa voix innocente presque d'enfant, elle incarne une Belezza fragile, délicate et toute en émotion. Son air final, chanté, murmuré depuis la chaire de l'église Erlöser, s'est mu en une prière que les auditeurs ont vécu aux bord des larmes. Ajoutons une virtuosité sans faille notamment dans le redoutable 'Un pensiero nemico di pace' et une propension aux fioritures du meilleur goût. A noter cependant, des attaques pas toujours nettes.
Le ténor James Way se joue de toutes les difficultés de la partition et donne une version fiévreuse de son personnage Il Tempo. Avec sa voix extrêmement bien timbrée et sonore, une expressivité affutée, il magnifie des airs tel que les très contrastés 'Urne voi' et 'Folle' et rend chacun de ses airs absolument passionnants.
La voix de Jasmin White, prend toute sa dimention et ses qualités lorsqu'elle se retrouve dans le registre des graves. son robuste contralto en ressort plus typé et impressionnant encore. On pourra déplorer cependant un manque de finesse ça et là.
Enfin, Rebecca Leggett dont la voix tire davantage vers le soprano que le mezzo-soprano, nous laisse un peu perplexe. Certes, son interprétation est empreinte d'une grande sincérité et a pu toucher les auditeurs dans 'Lascia ch'io pianga', mais sa voix ne suscite aucun enthousiasme particulier. Un air tel que 'Tu giurasti' manquait de détermination et de force expressive.
A eux quatre, ils ont enflammé le fameux quatuor dans lequel la soprano crie désespérément qu'elle veut du temps 'Voglio tempo', l'un des moments forts de cette interprétation. Un déchainement vocal proche de la folie.
Ruggero Meli