Une programmation baroque ambitieuse et éclectique
Innsbruck, Château d'Ambras, salle espagnole, le vendredi 1er août 2025 20h
Tormento e gelosia
Margherita Maria Sala, contralto
Ensemble Locatelli
Direction et violoncelle Thomas Chigioni
programme :
Baldassare Galuppi (1706-1785) :
Concerto à quattro Nr. 3 [2] D-Dur (um 1740) (tiré de: 'Sette Concerti a 4 istrumenti sul gusto del Corelli, per 2 violini, viola e basso' ; Quelle: I-MOe MS. MUS. F. 443-3; S-Uu Gimo 112, ici en tant que «Concerto secondo»).
Maestoso - Allegro [spiritoso] - Andantino
«La Gelosia» Cantata a voce sola con istromenti (1782) (Quelle: F-Pn D-4297)
Recitativo «Perdono, amata Nice»
Aria «Bei labbri, che amore formò»
Recitativo «Son reo, non mi difendo»
Aria «Giura il nocchier, che al mare»
Benedetto Marcello (1686-1739)
Sinfonia (tirée de : <<Arianna abbandonata>> Cantata a voce sola con stromenti S. 98 [nach 1727] ; Quelle: D-Mbs Mus. ms. 941)
Prestissimo - Adagio assai - In Menuet. Presto
Antonio Vivaldi (1678-1741) :
Recitativo ed Aria: «Amor hai vinto - Passo di pena in pena» (tiré de : «Amor hai vinto» Cantata ad alto solo con istromenti RV 683 [nach 1726] Quelle: I-Tn Foà 27, cc. 53r-56v.)
Giovanni Alberto Ristori (1692-1753)
«A quest'ombre» Cantata con Istromenti (Quelle: A-Wn E. M. 166 [nach 1730])
Aria «A quest'ombre»
Recitativo «Di questo ciglio al moto»
Aria «Furie dell'Erebo»
*** pause ***
Leonardo Leo (1694-1744)
Concerto Nr. 3 d-Moll pour violoncelle, cordes et basse continue L 60 (April 1738) (Quelle: I-Nc 1.6.15/2)
Andante grazioso - Col spirito Amoroso - Allegro
«Frena l'ardir se m'ami», Aria con violini (Orontea) (de l'opéra «Emira», Naples, 1735; Quelle: I-Nc Cantate 173.21)
Aria «Né pace, né calma» (Quelle: I-Nc Cantate 173.29)
Lodovico Ferronati (1540-1623)
Concerto B-Dur für Violine, Streicher und Basso continuo CFC 1:B1 (Quelle A-Wn E. M. 122d)
Allegro - Largo - Allegro
Antonio Vivaldi
«Cessate, omai cessate» Cantata ad alto solo con istromenti RV 684 (nach 1720/24) (Quelle: I-Tn Foà 28, cc. 2r-12v.)
Recitativo: «Cessate, omai cessate»
Aria: «Ah, ch'infelice sempre»
Recitativo: «A voi dunque ricorro»
Aria: «Nell'orrido albergo»
Bis 1 : Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : «Venti turbini» (Rinaldo)
Bis 2 : Alessandro Scarlatti (1660-1725) : «Dormi, o fulmine di guerra» (La Giuditta)
Bis 3 : Reynaldo Hahn (1874-1947) : A Chloris
L'incandescente Margherita Maria Sala
La fascinante contralto Margherita Maria Sala est chez elle à Innsbruck. C’est dans cette ville qu’elle a connu la consécration en remportant le prestigieux concours Cesti en 2020 — une évidence. Depuis, elle s’est illustrée dans plusieurs productions du festival, notamment dans L’Idalma de Pasquini en 2021, L’Olimpiade de Vivaldi en 2023 ou Cesare in Egitto de Giacomelli en 2024.
Il était donc temps que le Festival de Musique Ancienne d’Innsbruck lui consacre un récital. Un programme mûri avec soin, conçu en étroite collaboration avec son ensemble depuis deux ans, et qui fera l’objet d’un enregistrement discographique une fois les derniers ajustements apportés.
Dès les premières notes, aucun doute ne subsiste : les artistes, parfaitement préparés, livrent une exécution maîtrisée. Avec une complicité palpable, Margherita Maria Sala et l’ensemble Locatelli ont offert au public — venu nombreux au château d’Ambras — un récital traversé de passions humaines et d’émotions à vif. Autant de qualités interprétatives que l’on avait déjà pu admirer récemment dans La Resurrezione de Haendel à Beaune. Mais c’est en solo que l’on mesure pleinement l’ampleur de son art. Et la claque est immense.
Elle croque les mots avec audace, serre les dents pour faire jaillir la douleur, les tourments, les déchirures intimes. Une sensibilité à fleur de peau, jamais démonstrative : les récitatifs deviennent limpides, vibrants, frémissants. Ses personnages vivent sous nos yeux, rongés par la culpabilité, dévorés par la jalousie ou paralysés par l’angoisse. Margherita Maria Sala nous emporte dans de vertigineuses montagnes russes émotionnelles.
Mais le plus fascinant reste sans doute la voix elle-même : un contralto capiteux, ample, charnel, agile dans les vocalises et capable de cadences brillantes. Dans l’air de Galuppi Giura il nocchier, c’est une mer en furie qui nous submerge ; dans Venti turbini de Haendel, les bourrasques nous arrachent le souffle. Une voix rare, racée, à la projection souveraine, promise à de grands rôles baroques, mais pas seulement — en témoigne l’intense À Chloris de Reynaldo Hahn, offert en bis avec ce qui est certainement le plus difficile à réaliser : la simplicité.
Plus encore que les airs, ce sont les récitatifs qui enflamment, crépitent, bouillonnent et foudroient : Cessate, omai cessate explose avec une urgence saisissante. La voix s’impose, forte, sûre d’elle, mais laisse affleurer une fêlure dans des pianissimi saisissants. Ah, ch’infelice sempre déchire par sa douleur, tout comme la partie centrale de Per me non v’è ristoro, ou encore le récitatif accompagné A voi dunque ricorro, pris sur un rythme piqué, avec une voix accablée par la peine, chaque syllabe pesant son poids de souffrance. Un tourment rendu presque insoutenable.
Margherita Maria Sala, jeune contralto italienne, est d’ores et déjà une artiste lyrique accomplie. Et pourtant, son diamant encore partiellement brut promet des raffinements futurs qui ne cesseront de nous surprendre. Le programme faisait alterner des pages célèbres — comme les deux cantates de Vivaldi — et des œuvres rares ou inédites signées Leo, Galuppi, Marcello, Ristori ou Ferronati. À ce titre, les deux airs de Leo nous ont semblé moins intéressants que le reste du programme. L’ensemble Locatelli, qui l’accompagnait, s’est montré parfois sage, mais non dénué de souffle ni d’élan. Sous la houlette des frères Chigioni — Jeremie au violon et Thomas au violoncelle et à la direction — l’ensemble a su briller dans plusieurs moments instrumentaux, notamment l’Adagio de Marcello, porté par les délicates notes piquées du luth, le superbe concerto pour violoncelle de Leo et le passionnant concerto pour violon de Ferronati. Des découvertes tout à fait remarquables. À noter que Thomas Chigioni a malheureusement dû interrompre le concert suite à la rupture d’une corde.
Gros succès pour ce concert à retrouver sur les ondes de la radio autrichienne Ö1 le 24 septembre à 19h30. À ne manquer sous aucun prétexte.
Ruggero Meli
Margherita Maria Sala
Ensemble Locatelli
Thomas Chigioni
Innsbruck, Château d'Ambras, salle espagnole, le samedi 2 août 2025 20h
The Queen's Lover
Céline Scheen, soprano
Ensemble La Chimera
Direction, luth et guitare baroque Eduardo Egüez
programme :
Premier voyage (1605)
ESPAGNE
Diego Ortiz (1510 - 1570) : Recercada quarta sobre la folía (Trattado de glosas sobre clausulas y otros generos de puntos en la musica de violone, Rom: Valerio & Luigi Dorico, 1553)
Juan Vázquez (um 1500 - um 1560) : Con qué la lavaré (Libro de Musica para Vihuela, intitulado Orphenica lyra, Sevilla: Martin de Montesdoca, 1554).
Por vida de mis ojos (Recopilación de sonetos y villancicos, Sevilla: Juan Gutiérrez, 1560)
Bartolomé de Selma y Salaverde (1595 - 1640) : Balletto, Corente et Gagliarda (Canzoni fantasie et correnti da suonar ad una 2. 3. 4. con basso continuo, Venedig: Bartolomeo Magni, 1638)
FRANCE
Jean-Baptiste Besard (1567 - 1625) : Où luis-tu soleil de mon âme (Thesaurus harmonicus divini Laurencini Romani, Köln: Gerard Greuenbruch, 1603)
Pierre-Francisque Caroubel (1549 - 1611) : Passameze, L'espagnolette et Courante de la Volte (Terpsichore, Musarum Aoniarum, Wolfenbüttel: Michael Praetorius, 1612)
François Richard (1585 - 1650) : Les yeux baignés de pleurs (Airs de cour avec la tablature de luth, Paris: Pierre Ballard, 1637)
Pierre-Francisque Caroubel : Gaillarde, Bransle de Montirande et Volte (Terpsichore, Musarum Aoniarum, Wolfenbüttel: Michael Praetorius, 1612)
FLANDRES
Pierre Phalèse (der Jüngere) (1545 - 1629) : Padoana J'ay du mal tant et La Gaillarde
L'arboscello ballo furlano (Recueil de danseries, contenant presque toutes sortes de danses, Antwerpen: Pierre Phalèse & Jean Bellère, 1583)
Orlando di Lasso (1532 - 1594) : Bonjour mon cœur (Quatriesme livre de chansons a quatre et cinca parties nouvellement compose convenables tant aux instruments comme à la voix, Louvain: Pierre Phalèse, 1564)
- Pause -
ANGLETERRE
John Dowland (1563 - 1626) : M. John Langton's Pavan
M. Giles Hoby his Galiard (Lachrimae, or Seven Tears, London: John Windet, 1604)
Thomas Campion (1567 - 1620) : Sweet, exclude me not
Where shall I refuge seek? (Two Bookes of Ayres, the First contayning Divine and Morall Songs, the Second Light Conceits of Lovers, London: Thomas Snodham, 1613)
Deuxième voyage (1611/15)
ITALIE
Lorenzo Allegri (1567 - 1648) : Primo Ballo detto della Notte d'Amore (aus: Il Primo Libro delle Musiche, Venedig: Bartolomeo Magni, 1618)
Giulio Caccini (1551 - 1618) : Torna, deh torna (Nuove Musiche e nuova maniera di scriverle, Florenz: Zanobi Pignoni, e Compagni, 1614)
Anonyme : Fuggi, fuggi, fuggi dal mondo bugiardo (Il Ballo di Mantova / La Mantovana) (Giuseppe Cenci [gest. 1616] zugeschrieben; Quelle (u. a.): I-Fc MS. 85. Arm.o A, CF.83, DAM.1965, c. 80v)
Claudio Monteverdi (1567 - 1643) : Ecco di dolci raggi (Scherzi musicali cioè arie, madrigali in stil recitativo, con una ciaccona, Venedig: Bartolomeo Magni, 1632)
Andrea Falconieri (1585 - 1656) : Follia (Il primo libro di Canzone, Sinfonie, Fantasie, Capricci, Brandi, Correnti, Gagliarde, Alemane, Volte, Neapel: Pietro Paolini & Gioseppe Ricci, 1650)
Troisième voyage (1622)
La mort
Josquin Desprez (um 1450 - 1521) : Mille regrets
(L'unziesme livre des chansons, Antwerpen: Tielman Susato, 1549)
Juan del Encina (1468 - 1529)
Todos los bienes del mundo (Cancionero de Palacio [Cancionero musical de Palacio / Cancionero de Barbieri]; Quelle: E-Mp MS 1335)
Qui était Juan de Tassis y Peralta ?
Scandales et affaires
Juan de Tassis y Peralta, 2e comte de Villamediana (1582–1622) : personnage ambivalent et débordant d'excès, mais aussi l'un des poètes les plus importants de l'Espagne du XVIIe siècle. Né à Lisbonne, fils du respecté diplomate Juan de Tassis y Acuña, il était à la fois impulsif et audacieux, considéré comme un coureur de jupons, et se forgea rapidement une réputation d'amateur de luxe, de pierres précieuses, de jeux de cartes et de chevaux. Il mena une vie agitée et ponctuée de scandales, mais son intelligence fit de lui un adversaire redouté parmi ses contemporains (plus honorables). Ses nombreuses liaisons et sa satire mordante et impitoyable le rendirent persona non grata à la cour et le conduisirent à l'exil à plusieurs reprises.
Les anecdotes à son sujet sont nombreuses : après la mort du roi Philippe III, il retourna à Madrid et s'attira les foudres de Philippe IV en entamant une liaison avec Doña Francisca de Tavara, dame d'honneur de la reine et maîtresse du roi. Il aurait également courtisé la reine Isabelle de Bourbon et de Médicis, et lui aurait même tenu la main lors d'une représentation théâtrale. La légende raconte qu'il aurait délibérément mis le feu au théâtre d'Aranjuez lors d'une représentation à laquelle assistait la reine, afin de pouvoir la sortir lui-même des flammes et lui permettre de jouir d'une vie plus paisible au palais que ce qui était autorisé. Quelque temps plus tard, il serait apparu à un bal masqué à la cour, vêtu d'un manteau brodé de pièces d'or, et aurait déclaré à ses bijoux qu'ils étaient son « véritable amour ». Une déclaration ambiguë qui a encore plus compromis la réputation de la reine.
Finalement, un procès intenté par l'Inquisition contre Villamediana, accusé de sodomie, a provoqué un tel scandale à la cour qu'il n'a plus été toléré. C'est probablement Philippe IV qui a ordonné sa mort : le 21 août 1622, deux gardes royaux ont arrêté la voiture du comte dans la Calle Mayor et l'ont mis à mort d'un coup d'arbalète. De nombreux poètes célèbres ont composé des odes à sa mémoire, notamment son ami Luis de Góngora, qui a imputé la responsabilité des événements au roi, mais aussi Juan Ruiz de Alarcón, qui a accusé ce dernier de malveillance, et Francisco de Quevedo, qui, bien qu'ennemi acharné du comte, lui a dédié une complainte. L'Inquisition prit fin le 5 décembre 1622, avec le bûcher de cinq esclaves.
Les lettres du comte...
Il y a peu, le Catalan Adrián Besné a examiné et catalogué l'héritage épistolaire de Juan de Tassis y Peralta. Il a accordé une attention particulière aux lettres adressées au duc d'Olmedo, camarade d'études et ami de toujours du poète. Dans ces lettres, le comte raconte ses aventures, ses voyages en France, en Flandre, en Italie et en Angleterre, mais aussi ses mésaventures et son exil. Une lettre écrite par Villamediana en août 1622, deux semaines seulement avant sa mort, est particulièrement intéressante. Il y confie ses craintes et ses inquiétudes à son ami d'un ton sombre : « Je sais bien, mon cher ami, à qui j'ai confié toutes mes inquiétudes, qu'en cette année 1622, après presque quarante ans d'existence, je mourrai, car telle est la volonté de Notre-Seigneur ou d'autres, que je ne nommerai pas, qui ont décidé qu'il devait en être ainsi. Ils m'ont déjà averti très sérieusement que ma vie était en danger. Ils me tueront, non pas tant pour ce que j'ai fait, mais pour ce qu'ils disent et la mauvaise réputation qu'ils répandent sur moi, votre ami. Ils me tueront, mais pas pour me faire taire, car j'affirme tout ce que j'ai dit et n'ai aucune intention de le changer. J'ai été un joueur et un coureur de jupons. J'ai dilapidé ma fortune, ainsi que celle de deux, trois, voire cinq autres qui ont gagné avec moi. » J'ai couché avec des milliers de courtisanes, mais vous savez aussi bien que moi que je n'ai jamais eu l'intention de nuire à qui que ce soit. Certains m'envient pour ce que je dis et ce que je ne dis pas, même si je sais que ce qui est dit et ce qui reste me coûtera la vie. Je suis prêt. Que tout soit pour le bien et l'honneur de notre roi Philippe IV et de l'Espagne, l'envie comme le ressentiment fécond. Quand mon heure viendra, j'espère que Dieu, notre Seigneur, me recevra comme un enfant dans son étreinte paternelle. Toi, Olmedino, mon meilleur ami, tu sais que, comme tout chrétien, je souhaite mourir vieux, et j'espère qu'il en sera ainsi. Je veux que tu sois celui qui ferme mes yeux à l'heure de ma mort, après avoir embrassé mon épée ou ta croix. D'ici là, mon ami Olmedo, mon bon et grand ami, comme toujours : que Dieu soit avec toi, qu'il veille sur toi et te protège. Et moi, garde-moi dans ta mémoire… » … dans la version de La Chimère
Création du spectacle
« Lorsque nous avons rencontré Adrian cet été-là, il était très excité, débordant d'enthousiasme à l'idée de découvrir certaines lettres dont il ne cessait de parler », raconte Eduardo Egüez, luthiste et directeur de l'ensemble La Chimère, qui partage une amitié de longue date avec le romaniste et une grande passion pour les projets littéraires et musicologiques communs. « En quelques jours, il nous a convaincus de lire toute cette pile de lettres, et plus encore : moins de dix jours après qu'il nous en ait parlé, nous avions déjà monté un programme musical sur Juan de Tassis y Peralta et étions impatients de le réaliser. »
C'est ainsi qu'est née l'idée du programme « L'Amant de la Reine ». Un voyage qui emmène les auditeurs à travers les mots des femmes qu'il a aimées et sur les lieux d'exil du comte Villamediana, que ce soit en France, en Flandre, en Italie ou en Angleterre.
L'ensemble, qui monte sur scène avec un consort de violes, est complété par un violon et L'œuvre, accompagnée musicalement par la soprano belge Céline Scheen, ravive l'atmosphère d'une époque où les distances géographiques étaient encore réelles et tangibles, où l'on pouvait se perdre dans la forêt aussi facilement que dans les ruelles brumeuses d'une ville côtière, emportant avec soi les secrets d'une vie sans retenue.
Margherita Pupulin
Un voyage musical aux quatre coins de l'Europe
Un concert comme un récit
Dans l’intimité feutrée de la salle espagnole du château d’Ambras à Innsbruck, le 2 août 2025, l’ensemble La Chimera a proposé un concert construit comme un récit conté, mêlant pièces instrumentales et vocales. Sous la direction d’Eduardo Egüez, luthiste et guitariste baroque, six musiciens – dont quatre gambistes, une violoniste et une harpiste – ont embarqué le public sur les traces de Juan de Tassis y Peralta, poète et dramaturge espagnol du début du XVIIᵉ siècle, à travers trois voyages effectués en 1605, 1611 et 1622.
Un itinéraire musical européen
Le programme évoquait, par étapes, les contrées traversées : l’Espagne de Diego Ortiz et Juan Vázquez, la France de Jean-Baptiste Besard et Pierre-Francisque Caroubel, la Flandre de Josquin Desprez et Orlando di Lasso, l’Italie de Giulio Caccini et Claudio Monteverdi, et l’Angleterre de John Dowland et Thomas Campion.
Le destin d'un poète sulfureux
Personnage brillant mais controversé, Juan de Tassis y Peralta fut impliqué dans de nombreux scandales et finit exilé. Auteur de satires acerbes contre la cour de Madrid, il aurait été assassiné en 1622 sur ordre de Philippe IV, soucieux d’éviter un procès embarrassant pour la monarchie.
Céline Scheen, narratrice et interprète
Le fil conducteur de ce périple : l’amour, décliné en chansons et ballades. Pour incarner ce récit multilingue, La Chimera a fait appel à la soprano belge Céline Scheen, artiste solaire à la diction limpide. Les musiciens, disposés en large arc de cercle, l’accueillent tandis qu’elle s’assied sur un tabouret, ouvrant un mystérieux livre d’où semblent jaillir les histoires chantées. Le public se laisse porter par un recitar cantando raffiné, au charme délicat, souvent teinté de mélancolie et parfois d’une austérité méditative.
Beauté du style et petites réserves
Céline Scheen illumine ces pièces avec un sens du style sûr, un usage élégant du trillo (différent du trille XVIIIᵉ siècle), et une expressivité nuancée, malgré quelques inflexions minaudières. On regrettera l’ajout anecdotique – et peu gracieux – d’une gestuelle baroque par l’une des instrumentistes lors d’un air de Caccini, qui n’apportait rien de plus au propos.
Des moments marquants
Si certaines pages, par leur atmosphère uniforme, ont pu laisser poindre un soupçon d’ennui, d’autres moments ont véritablement séduit, tels le poignant air anonyme 'Fuggi, fuggi, fuggi dal mondo bugiardo', dont le titre résonne étrangement encore aujourd’hui ou l’entraînante espagnolade de Juan del Encina, 'Todos los bienes del mundo', à laquelle il ne manquait qu’une paire de castagnettes. Et, en bis, un exquis 'Folle è ben' de Tarquinio Merula, d’une poésie ineffable.
Un public conquis
Les amateurs de musique ancienne, venus en nombre, ont réservé un accueil chaleureux et soutenu à l’ensemble et à leur chanteuse, visiblement conquis par ce voyage musical hors du temps.
Ruggero Meli
Innsbruck, Landestheater, vendredi 8 août 2025 à 19h
Antonio Caldara : Ifigenia in Aulide, opéra en 3 actes sur un livret d'Apostolo Zeno. Première : Vienne, Leopoldinian Court Theatre, 1718.
Ifigenia : Marie Lys, soprano
Achille : Carlo Vistoli, countertenor
Clitennestra : Shakèd Bar, mezzo-soprano
Agamennone : Martin Vanberg, ténor
Elisena : Neima Fischer, soprano
Teucro : Filippo Mineccia, countertenor
Ulisse : Laurence Kilsby, ténor
Arcade : Giacomo Nanni, baryton-basse
Accademia Bizantina
Direction musicale : Ottavio Dantone
Mise en scène, costumes et conception : Anna Fernández & Santi Arnal
Costumes et décors : Alexandra Semanova
Lumières : Noxfera
Des chanteurs d'exception face à un spectacle inégal
Un début pourtant prometteur
Le spectacle s’ouvre avec éclat : le personnage de Licenza entrouvre le rideau et chante un air magistral célébrant la victoire finale, soutenue par l’éclat d’une trompette triomphante. Une entrée en matière brillante, renforcée par l’excellente idée de transformer la fin de l’opéra en prologue. Marie Lys, future Ifigenia, y effectue une apparition spectaculaire.
Une première partie dépourvue de tension
Hélas, l’enthousiasme retombe vite. La première partie s’enlise dans une absence de tension, laissant les chanteurs livrés à eux-mêmes. Le manque de direction d’acteurs se fait criant. Bien sûr, il y a quelques tentatives, mais elles se révèlent répétitives et peu concluantes. Chacun transporte son « double » : les dames tiennent une poupée, les messieurs un casque à plumes muni d’ouvertures en forme d’yeux, qu’ils retirent et remettent à volonté. Une mise à distance censée atténuer les douleurs ? Si l’on ne suit pas le texte — dense et encombré de récitatifs interminables — il devient presque impossible de comprendre les ressorts du drame. Et il manque l’essentiel : l’émotion.
Un drame qui s'éveille... tardivement
La seconde partie, portée par un livret qui se réveille enfin, donne au drame sa véritable dimension : Ifigenia sacrifiée, un père déchiré, deux rivales en conflit, une mère dévastée mais combative. Mais cet élan reste insuffisant pour sauver un spectacle enlisé dans l’inaction… et qui dure presque quatre heures. Quant à la musique, inégale, elle réserve quelques beaux moments, mais aucun air ne s’impose vraiment au point de mériter d’intégrer un récital à notre humble avis.
Une esthétique naïve et bricolée
Visuellement, le décor principal, plutôt séduisant, représente la mer, une île où oiseaux et animaux évoluent… animés par les mains de figurants. Des panneaux ornés de symboles grecs, plutôt disgracieux, sont déplacés derrière les chanteurs. Quelques éléments d’inspiration baroque apparaissent : un univers pastoral, une statue de Diane en carton-pâte, un banc en pierre blanche, des panneaux de tissu latéraux disposés en perspective. Mais le traitement, naïvement pittoresque, manque de finition et vire au cheap. Les costumes ne relèvent pas le niveau : les messieurs portent des sortes de peaux de mouton garnies de plumes, des sandales, des bermudas et des casques de guerriers à plumes — chaque élément semblant provenir d’un autre ensemble, donnant l’impression de bergers coiffés pour la guerre. Quant aux marionnettes que certaines dames transportent, elles rompent plus qu’elles ne nourrissent le lien entre les personnages.
Intermèdes et atmosphères
Une danseuse accompagne certains changements de décor : élégante, mais sans impact particulier. Quelques atmosphères nocturnes se détachent cependant, comme lors de l’air 'Verace, o menzognera' d’Ifigenia, baigné d’une douce lumière de lune.
Une distribution de haut vol
Le plateau vocal, heureusement, relève le niveau du spectacle.
Carlo Vistoli, dans le rôle d’Achille, se montre impérial et fougueux, déployant une virtuosité éblouissante dans des airs héroïques que Caldara a particulièrement soignés. Ses soufflets impeccables et ses vocalises fulgurantes, notamment dans 'Se mai fiero leon' et 'Sposa, addio', en font l’interprète dominant de la soirée.
Marie Lys incarne une Ifigenia criante de vérité. Refusant de se limiter à la figure d’une victime innocente, elle insuffle à son personnage expressivité et panache. Elle investit les da capo de contrastes saisissants, théâtralise ses récitatifs avec brio et ose des éclats de colère qui font trembler la salle, comme dans 'Addio infida'.
Shakèd Bar campe une Clitennestra au tempérament affirmé, portée par une voix claire, une projection généreuse et un timbre particulièrement séduisant. Sa prestation touche particulièrement dans la tirade où elle dénonce la condition féminine :
Povero sesso! Schiavo
per tirannica legge
all’uom, perché di forza,
non perché di ragione egli ci avanza.
Martin Vanberg, dans le rôle d’Agamennone, se montre efficace mais sans véritable éclat, semblant moins à l’aise qu’à l’accoutumée.
Neima Fischer, qui prête sa voix à Elisena, rivale d’Ifigenia, livre une prestation correcte mais un peu bridée, loin de l’aisance et de l’éclat qu’elle avait montrés l’an passé dans Arianna in Creta de Haendel. Son 'O vergogna' manque de mordant.
Giacomo Nanni, en Arcade, impose une voix virile, claire et bien timbrée, et fait flamboyer son personnage tant dans les récitatifs que dans les airs.
Filippo Mineccia incarne un Teucro d’une grande intensité, entièrement habité par son personnage. Chaque geste, chaque inflexion de voix traduit l’ardeur et la sincérité de son engagement. Il alterne plainte, révolte et désespoir avec une vérité bouleversante. Son 'Tutto fa nocchiero esperto' accompagné d’un somptueux violon obligé, restera sans doute le plus bel air de la partition.
Enfin, Laurence Kilsby compose un Ulisse percutant, doté d’un timbre de ténor séduisant et d’une expressivité marquée. Effronté et provocateur, il s’impose particulièrement dans des récitatifs vibrants et dans l'air 'Erto, e scosceso', aux vocalises généreuses.
Une direction musicale solide
L’Accademia Bizantina, sous la direction précise et nerveuse d’Ottavio Dantone, accompagne avec cohésion et sens dramatique cette distribution de haut vol.
Ruggero Meli
Innsbruck, Haus der Musik, Kammerspiele, vendredi 22 août 2025 19h.
Antonio VIVALDI : GIUSTINO, dramma per musica en trois actes sur un livret d’Antonio Maria Lucchini.
Giustino : Justina Vaitkute, mezzo-soprano
Anastasio : Maximiliano Danta, contre-ténor
Arianna : Jiayu Jin, soprano
Leocasta / Fortuna : Sarah Hayashi, soprano
Vitaliano : Thoma Jaron-Wutz, ténor
Andronico : Lucija Varšić, mezzo-soprano
Amanzio : Benedetta Zanotto, mezzo-soprano
Polidarte : Massimo Frigato, ténor
Orchestre : Barockorchester:Jung
Direction musicale : Stefano Demicheli
Mise en scène : Claudia Isabel & Martin Peragallo
Décors et costumes : Polina Liefers
Coach vocal : Jeffrey Francis
Dramaturgie & surtitres : Uma Tholen
Une réussite !
Un rendez-vous attendu du festival
Chaque année, le festival de musique ancienne d’Innsbruck confie à une équipe de jeunes chanteurs, distingués au concours Cesti, la mission de porter une nouvelle production d’opéra. Cette saison, le défi était de taille : magnifier Giustino d'Antonio Vivaldi. Ce berger valeureux, ignorant sa lignée royale, finit par découvrir que ses ennemis sont ses propres frères, avant d’accéder au trône de Byzance et d’épouser Arianna, la femme qu’il aime.
Un mise en scène entre conte de fée et Commedia dell'arte
Claudia Isabel et Martin Peragallo signent un spectacle situé à mi-chemin entre le merveilleux du conte et la verve pittoresque de la Commedia dell’arte, rehaussée d’un humour discret. Des idées parfois simples mais efficaces : une horloge dont les aiguilles reculent ou avancent situe immédiatement les scènes dans le passé ou dans le futur, tandis que quelques accessoires symboliques – couronne de lauriers, ruban, livre – guident le spectateur dans le récit. Malgré des moyens limités, l’équipe obtient ainsi un résultat clair et inventif, et atteint un résultat bien plus probant que celui de la production d'Ifigenia in Aulide de Caldara, dont le budget était bien plus généreux pourtant.
Les costumes XVIIIe siècle, conçus par Polina Liefers, séduisent par leur raffinement : le Vitaliano argenté, à la fois élégant et guerrier, sa manche finement tréssée rappelle la côte de maille ; la robe bleue de Leocasta émerveille par sa grâce.
Les décors, ingénieux, reposent sur des blocs rotatifs à quatre faces figurant tantôt des arbres, tantôt des façades ou des intérieurs de palais, parfois amplifiés par la rotation de la scène entière. Cette mécanique donne une dynamique fluide et évite toute monotonie visuelle.
La lumière, travaillée avec finesse par Christoph Klein, enveloppe l’action d’ambiances feutrées ou éclatantes. Tout respire l’élégance, jusqu’aux touches naïves – moutons attendrissants, ours inoffensifs, monstres marins suggérés par un tissu bleu étincelant –, jamais ridicules ni bouffonnes.
Une distribution plutôt solide
Réunie pour l’occasion, la troupe de jeunes chanteurs a convaincu par sa fraîcheur et, déjà, par de solides qualités vocales.
Héros et héroïnes
Dans le rôle de Giustino, Justina Vaitkute impressionne par une voix singulière, oscillant avec naturel entre timbre de soprano et de contralto. Son air au psaltérion « Ho nel petto un cor si forte » fut l’un des moments forts de la soirée. En vanche, l’air « Sul l’altar » aurait gagné à être abordé de manière plus incisive encore.
Le contre-ténor Maximiliano Danta confirme sa victoire au Cesti 2024 : les très attendus airs d'Anastasio « Vedrò con mio diletto » et « Sento in seno » respirent intensité et musicalité. Un chanteur que l'on ne manquera pas de suivre, promis à une belle carrière.
Jiayu Jin dans le rôle d'Arianna séduit par une voix ronde et fruitée, malgré des graves un peu discrets. Ses cadences éclatantes et son air « Mio dolce amato sposo », interprété avec passion, marquent les esprits.
Sarah Hayashi (Leocasta), pourtant annoncée souffrante, a offert son soprano lumineux et sensible notamment dans le douloureux « Senza l’amato ben », sa virtuosité dans « Nacque al bosco », et sa détermination passionnée dans « Senti l’aura ». Son personnage gagne en profondeur, au-delà de la naïveté première.
Les rivaux et seconds rôles
Malgré un certain manque d’assurance encore, Thoma Jaron-Wutz (Vitaliano) parvient à séduire dans ses airs brillants « Il piacer della vendetta » et « Quel torrente ».
Lucija Varsic (Andronico), pourtant prometteuse suite à ses performances aux concours Cesti et de Froville et très présente scéniquement, n’a bénéficié que d’un seul air et demi, une frustration autant pour elle que pour le public.
Benedetta Zanotto campe un Amanzio crédible mais dont la projection expressive reste encore à étoffer.
Enfin, Massimo Frigato assure avec efficacité le rôle plus modeste de Polidarte.
Un orchestre énergique
Sous la direction vive et rigoureuse de Stefano Demicheli, le Barockorchester:Jung a su rendre justice à la partition foisonnante du « Prêtre roux », en soutenant avec souplesse les chanteurs.
Quand Vivaldi rime avec émerveillement
Entre conte de fées et Commedia dell’arte, entre humour discret et élégance visuelle, ce Giustino aura su charmer autant par la qualité de sa distribution que par l’inventivité de sa mise en scène. Une réussite à la fois visuelle et vocale.
Ruggero Meli
Innsbruck, Hofburg, Riesensaal, dimanche 24 août 2025, 20h
Tag & Nacht
Claire Le filliâtre, soprano
Ensemble Les Epopées
Direction et clavecin, Stéphane Fuget
PROGRAMME :
Sébastien Le Camus (um 1610 - 1677) : Laissez durer la nuit (aus: XIV. Livre d'Airs de différents autheurs, Robert Ballard: Paris, 1671 / Airs à deux et trois parties, Christophe Ballard: Paris, 1678)
Joseph Chabanceau de La Barre (1633 - 1678) : Allez, bergers, dessus l'herbette (aus: Livre d'Airs de différents auteurs & Airs à deux parties, avec les seconds couplets en diminution, Robert Ballard: Paris, 1669)
Jean-Henri d'Anglebert (1629 - 1691) : Suite in G (aus: Pièces de Clavecin ... Livre premier, L'Auteur: Paris, 1689). Prélude - Gavotte «Le beau berger Tircis» - Menuet «La jeune Iris» - Menuet «Dans nos bois»
Antonia Bembo (um 1643 - um 1720) : Ah! Que l'absence est un cruel martire (aus: Produzioni Armoniche ... Consecrate al Nome Immortale Di Luigi XIIII. Il Grande Ré di Francia, e di Navarra, Paris, 1695-1700
Honoré d'Ambruys (um 1640 - nach 1702) : Petits oiseaux, que vous êtes heureux & Le doux silence de nos bois (aus: Livre d'Airs ... avec les seconds couplets en diminution, mesure sur la basse continue, L'Auteur: Paris, 1685)
André Danican Philidor (1652 - 1730) : Suite in D (Nr. 1 aus: [4] Pieces à deux Basse de Viole, Basse de Violon et Basson, L'Auteur: Paris, 1700). Premier Air - Allemande - Air en suitte - Gigue - Chaconne
Jean-Baptiste Lully (1632 - 1687) : Plainte d'Ariane («Rochers, vous êtes sourds») (aus: La Naissance de Vénus LWV 27, Ballet, Troisième entrée, UA: Paris, Palais Royal, 26. Januar 1665)
***
Louis Couperin (1626 - 1661) : Suite in F (aus: Bauyn Manuscript Bd. 2, nicht vor 1676). Prélude - Bransle de basque - Tombeau de Monsieur de Blancrocher
Marc-Antoine Charpentier (1634 - 1704) : Au bord d'une fontaine (aus: Brunetes ou petits airs tendres, avec les doubles et la basse-continue, mélées de chansons à danser ... tome premier, Christophe Ballard: Paris, 1703)
Auprès du feu, l'on fait l'amour (Chansonette, aus: Meslanges de musique latine, française et italienne, quatrième anée, Jean-Baptiste-Christophe Ballard: Paris, 1728)
Anonymus : Aus «Les Gentils airs ou airs connus ajustés en duo our deux violoncelles, bassons ou violes» (Charles-Nicolas Le Clerc: Paris, o. D.). La Furstemberg - C'est dans nos bois - Non toujours dire non - Tambourin
François Couperin (1668 - 1733) : Zéphire, modère en ces lieux (Brunete, aus: Recueil d'airs sérieux et à boire de differents auteurs pour l'année 1711, Christophe Ballard: Paris, 1710?)
Jaques Champion de Chambonnières (um 1601/02 - 1672) : Sarabande in G (aus: Bauyn Manuscript Bd. 1, nicht vor 1676)
Michel Lambert (um 1610 - 1696) : Goûtons un doux repos (aus: XXXIII. Livre d'airs de différents auteurs, Christophe Ballard: Paris, 1690)
Jean-Baptiste Lully : Plainte de l'Italienne («Di rigori armata il seno») (aus: Le Bourgeois Gentilhomme LWV 43, Le Ballet des Nations, Quatrième Entrée, UA: Château de Chambord, 14. Oktober 1670)
Bis : Michel Lambert : "Ma bergère"
Raffinement à la française
En réaction aux fastes éclatants de la cour de Louis XIV, la musique de l’époque sut imaginer un monde parallèle, plus intime, où l’ombre se préférait au soleil, la nuit au jour, et la simplicité pastorale aux artifices de la pompe versaillaise.
Certes, ce programme dominé par des plaintes d’amants éconduits et malheureux pouvait, à la longue, engendrer une certaine lassitude. Mais difficile de rester insensible au charme de ces airs de cour, surtout lorsqu’ils sont servis avec autant d’élégance par Les Épopées, en formation réduite, sous la direction attentive du claveciniste Stéphane Fuget. À leurs côtés, la soprano Claire Lefilliâtre, l’une des spécialistes les plus raffinées de ce répertoire exigeant, a apporté sa science du texte et son art des inflexions.
Ce concert formait un parfait contrepoint à celui de la veille par El Gran Teatro del Mundo, consacré à des pièces « à la française » composées par des musiciens allemands. Ici, avec ces airs de cour, le public put se plonger au cœur même de ce qui se pratiquait en France à la fin du XVIIᵉ siècle.
Claire Lefilliâtre, entre grâce et fragilité
Chez Claire Lefilliâtre, on goûte avant tout la clarté de la diction et la maîtrise des fioritures typiquement françaises, si subtiles dans leurs élans ornementaux. Quelques réserves toutefois : dans l’air de Couperin « Zéphire modère en ces lieux », l’interprétation manquait parfois d’assurance, certains passages trop graves lui ont donné du fil à retordre (début du programme), tandis que la voux avait tendance à serrer le son le bas médium parfois. Mais l’ensemble demeure d’une grande élégance, la chanteuse sachant rendre à ces airs leur grâce légère autant que leur pouvoir de toucher l’auditeur.
Un répertoire d'une rare richesse
Au-delà des incontournables Lully, Lambert, Couperin ou Charpentier, ce programme offrait de belles découvertes : Joseph Chabanceau de La Barre, Antonia Bembo, Honoré d’Ambruys, André Danican Philidor ou encore Jacques Champion de Chambonnières.
Mention spéciale au dialogue raffiné entre la basse de violon et le clavecin, mariage d’une complémentarité idéale : aux graves profonds, chauds et veloutés du premier répondaient les sonorités claires et cristallines du second, créant une texture sonore d’une séduction irrésistible.
La soirée s’acheva sur un air de Lully, étonnamment écrit en italien mais dans un style typiquement français, avant qu’en bis ne retentisse l’irrésistible air de Lambert « Ma bergère » – où, avec humour, la bergère préfère son chien à son berger.
Le public, venu nombreux, ne s’y est pas trompé : l’enthousiasme général confirmait qu’en ces airs apparemment simples se cache un univers de subtilités et de raffinement, que les interprètes ont su révéler avec art.
Ruggero Meli
Innsbruck, Landestheater, mercredi 27 août 2025 à 19h
Tommaso Traetta: “Ifigenia in Tauride”, opéra en 3 actes sur un livret de Marco Coltellini. Première représentation : Vienne, 1763. Chanté en italien avec surtitres en allemand et en anglais.
Ifigenia : Rocío Pérez, soprano
Oreste : Rafał Tomkiewicz, contre-ténor
Toante : Alasdair Kent, ténor
Pilade : Suzanne Jerosme, soprano
Dori : Carolina Bengtsson soprano
Les Talens Lyriques
Chœur NovoCanto
Direction musicale : Christophe Rousset
Mise en scène : Nicola Raab
Décors et costumes : Madeleine Boyd
.
.