Wexford, O’Reilly Theatre, National Opera House, samedi 18 octobre 2025, 19h30
DEIDAMIA, opéra en trois actes composé par Georg Friedrich Haendel sur un livret de Paolo Antonio Rolli, créé au Lincoln’s Inn Fields Theatre de Londres le 10 janvier 1741
Deidamia Sophie Junker, soprano
Nerea Sarah Gilford, soprano
Achille Bruno de Sá, sopraniste
Ulisse Nicolò Balducci, sopraniste
Fenice Rory Musgrave, baryton-basse
Lycomede Petros Magoulas, basse
Mise en scène et direction orchestrale George Petrou
Scénographie et costumes Giorgina Germanou
Lumières Daniele Naldi & Paolo Bonapace
Assistante à la mise en scène Constantina Psoma
Assistante à la scénographie Marisa Soulioti
Un divertissement irrésistible de fantaisie et d'émotion
George Petrou, chef d’orchestre désormais aussi metteur en scène, n’en est pas à son coup d’essai : après Semele et Giulio Cesare, il signe avec Deidamia un spectacle d’un équilibre remarquable, où la force dramatique se marie à un humour permanent sans jamais trahir l’esprit de l’opéra seria.
Une mise en scène inventive et lisible
L’action se déroule sur l’île de Skyros, entre rivages marins, fonds sous-marins, fête de village et visite de musée. Achille, déguisé en femme pour échapper à la guerre de Troie, est surveillé par son amante Deidamia et le menaçant Hercule. Entre amour, jalousie et quiproquos, George Petrou tisse un double récit ingénieux : celui du livret original et celui d’un groupe d’amis contemporains en vacances, vivant des mésaventures amoureuses semblables à celles des héros antiques. Ce parallèle, à la fois drôle et fin, apporte une touche de dérision qui renforce la modernité du propos : rien n’a changé, les passions restent les mêmes. Les deux époques cohabitent sans se croiser, sauf lors de scènes où la frontière se brouille — comme celle du tir forain où Achille, invisible aux yeux des vacanciers, abat les cibles sous les regards incrédules. Autre trouvaille : Nerea découvrant sur la plage une valise contemporaine et s’interrogeant sur ses mystérieux objets — serviettes hygiéniques, maquillage, lunettes de soleil ou talons hauts qu’elle finit par adopter. Ces moments de pure comédie font mouche et participent à un rythme enlevé qui ne faiblit jamais.
Une féérie visuelle
Les décors séduisent par leur inventivité : la brume d’un navire échoué, la transparence des fonds marins où les personnages semblent flotter, ou encore les perspectives en trompe-l’œil inspirées du XVIIIᵉ siècle. L’usage de la vidéo, parfois trop présent, crée de jolis effets visuels, sauf dans la scène du rossignol 'Nasconde l’usignol', où l’oiseau projeté sur fond noir manque d'originalité. Les éléments s'adaptent aux émotions, comme dans 'No, no, quella beltà', où la colère de Deidamia éclate en plein orage.
Des cartes postales envoyées “à la Amélie Poulain” ponctuent le spectacle et ajoutent une touche fantaisiste.
Une distribution de bonne facture
Dans le rôle-titre, Sophie Junker rayonne : son soprano léger et corsé à la fois, à la projection généreuse, éblouit par sa précision et son expressivité. Elle allie tendresse et fougue dans un 'Va’, perfido!' incandescant. Ses airs, déjà enregistrés pour son disque La Francesina, ont ici gagné en audace et en feu baroque — notamment dans 'M’hai resa infelice'.
Sarah Gilford (Nerea) offre un chant brillant et souple, notamment dans de superbes cadences aigues, mais la proximité de timbre avec celui de Junker crée parfois un manque de contraste.
L’entrée de Bruno de Sá (Achille/Pyrrha) fait sensation : sa voix androgyne, d’une pureté et d’une hauteur stupéfiantes, trouble et fascine. On perçoit dans la salle un murmure de surprise : est-ce une femme ? Est-ce un homme ? Son aria belliqueuse Ai Greci électrise le public.
Nicolò Balducci (Ulysse), moins en forme que d’habitude, peine un peu dans l’aigu, mais se rattrape par un final virtuose et spectaculaire : aria 'Come all'urto agressor'.
Sans totalement démériter, le baryton-basse Rory Musgrave (Phönix) a accusé un manque de projection et certaines de ses vocalises se sont révélées poussives.
Enfin Petros Magoulas campe un Lycomède touchant, à la voix solide et expressive — superbe moment suspendu dans 'Nel riposo e nel contento'.
Une lecture orchestrale flamboyante
L’orchestre, peu familier du répertoire baroque, s’est admirablement plié à la direction vive et inspirée de George Petrou. Sa battue énergique et colorée révèle une partition brillante, digne du meilleur Haendel.
Le festival de Wexford confirme son rôle de temple des raretés et prouve, une fois encore, son flair pour les redécouvertes. Deidamia rejoindra prochainement le Festival Haendel de Göttingen — une étape à ne pas manquer.
Ruggero Meli