Machines, monstres et enchantement : le triomphe de Rinaldo à Rennes
Opéra de Rennes le 31 août 2025 18h
Georg Friedrich Haendel : Rinaldo, opéra seria en trois actes sur un livret de Aaron Hill & Giacomo Rossi. Créé au Haymarket de Londres le 24 février 1711.
Rinaldo : Paul Figuier, contre-ténor
Almirena : Maïlys de Villoutreys, soprano
Armida : Camille Poul, soprano
Argante : Damien Pass, baryton-basse
Goffredo : Mathilde Ortscheidt, contralto
Ensemble : Le Caravansérail
Direction musicale : Bertrand Cuiller
Marionnettistes : Rita Tchenko, Henri Botte et Gaëlle Fraysse
Production : La co[opéra]tive
Mise en scène : Claire Dancoisne
Assistanat à la mise en scène : Marie Liagre
Costumes : Élisabeth de Sauverzac
Bref synopsis
Sur fond de Croisades, Haendel met en musique l’intrigue amoureuse de Rinaldo et d’Almirena, mise à rude épreuve par les machinations du redoutable duo formé par Argante et Armida. L’amour, la magie et la guerre se mêlent dans un opéra où se succèdent enchantements et tourments.
Haendel à Londres
Rinaldo fut le premier opéra de Haendel représenté à Londres. Créé le 24 février 1711, il connut un triomphe qui installa durablement le compositeur sur la scène anglaise et consacra la suprématie de l’opéra italien dans la capitale. Composé en deux semaines, dit-on, il séduisit autant par l’inventivité musicale que par une mise en scène spectaculaire : on y voyait alors Armida apparaître sur un char tiré par des dragons et son jardin peuplé de véritables oiseaux.
Une féerie entre fantastique et conte
Initialement prévu en plein air, le spectacle a dû être déplacé à l’Opéra de Rennes à cause d'une météo hostile. Le public s’attendait alors, comme signifié par mail, à une simple version de concert, mais à la surprise générale, la compagnie a présenté la production complète avec tous ses décors de Claire Dancoisne – seul le dragon manquait à l'appel nous a-t-on dit.
Un monde halluciné, entre conte médiéval et univers post-apocalyptique façon Mad Max, peuplé de monstres improbables et de machines délirantes. Argante surgit sur un gigantesque poisson mécanique, tandis que Rinaldo fait son entrée sur un cheval d’acier. L’esthétique naïve du théâtre de foire apporte un charme irrésistible, d’autant que le rythme des trouvailles scéniques se succède sans fléchir. Certains procédés sont ingénieux : une prison recréée à partir de quelques barreaux brandis à la main, une autre figurée par une simple échelle sous laquelle Rinaldo semble enfermé ; des batailles représentées par des chariots transportant de petits soldats sur balancier qui donnent l’illusion d’une armée en marche ; ou encore la scène des sirènes contée par des marionnettes. Ce mélange d’ingéniosité artisanale et d’imaginaire débridé garde le spectateur en éveil constant.
Le spectacle sait aussi jouer de l’humour, comme lorsque les sbires aux dents acérées d’Armida se présentent avec une tronçonneuse et un bidon d’essence, ou lorsqu'ils se transforment en hard rockeurs. Mais derrière le rire surgit l’émotion : la douleur d’Armida rejetée, la détresse d’Almirena captive. La naïveté assumée de la mise en scène rend ces affects d’autant plus sincères. On rit, on tremble, on souffre avec les personnages.
Une distribution française de haut vol
La distribution, intégralement française, a brillé par son homogénéité et son engagement. • Le contre-ténor Paul Figuier, qui incarnait le rôle-titre de Rinaldo, a livré une prestation pleine d’intensité dramatique. Cantonné aux rôles secondaires, encore cet été à Beaune dans le petit rôle de Narciso (Agrippina), il impressionne par son énergie et son engagement. Sa plainte « Cara sposa » bouleverse, et son panache dans « Or la tromba » ou « Venti turbini » séduit malgré une tessiture qui limite parfois les cadences héroïques.
• La soprano Maïlys de Villoutreys, dans le rôle d’Almirena, a charmé par sa délicatesse, son élégance mais aussi par le raffinement de ses da capo. Impossible de résister au très attendu et délicat « Lascia ch’io pianga ». • La contralto Mathilde Ortscheidt, qui interprétait le rôle de Goffredo, a connu un début un peu hésitant dans son premier air, mais a rapidement séduit par la chaleur et la séduction de son timbre.
• La soprano Camille Poul, en Armida, a marqué les esprits par sa présence scénique spectaculaire, coiffée de serpents venimeux, et par ses éclats furibonds. Sa plainte « Ah crudel » a bouleversé par son intensité.
• Le baryton-basse Damien Pass, qui incarnait Argante, a sans doute été la révélation de la soirée. Son entrée fracassante « Sibilar gli angui d’Aletto » a immédiatement conquis. La richesse de son timbre et son expressivité à fleur de peau ont rendu son personnage à la fois terrifiant et vibrant d’humanité.
Un orchestre complice
Hormis quelques trompettes passagèrement dissonantes, Le Caravansérail, dirigé avec fougue et souplesse par Bertrand Cuiller, a porté haut les couleurs du Caro Sassone. Après sept ans de tournée et une trentaine de représentations, l’ensemble connaît la partition dans ses moindres détails. Cette ultime soirée à Rennes résonnait comme un adieu empreint d’émotion à un projet collectif d’exception.
une oeuvre resserrée mais efficace
Quelques coupes (dont le rôle d’Eustazio) ont allégé l’action sans toutefois trahir l’esprit de l’ouvrage. Le rythme y a gagné en fluidité, sans rien ôter de la richesse émotionnelle et musicale.
Un enchantement
Avec cette mise en scène inventive et cette distribution habitée, l’Opéra de Rennes a offert un Rinaldo qui a su recréer l’émerveillement de la création londonienne. Une soirée où la magie de Haendel, servie par le génie collectif des artistes et artisans, a transformé le théâtre en un véritable lieu d’enchantement.
Ruggero Meli