Vendredi 10 octobre 2025, 20h. Grand Manège de Namur.
ACIS AND GALATEA
Musique de Georg Friedrich Haendel, texte de John Gay d’après Ovide.
Galatea : Charlotte Bowden, soprano
Acis : Guy Cutting, ténor
Damon : Valerio Contaldo, ténor
Polyphemus : Staffan Liljas, baryton-basse
Chœur de Chambre de Namur
Cappella Mediterranea
Direction et clavecin : Leonardo Garcia Alarcon
Sous la direction enflammée de Leonardo García Alarcón, la pastorale de Haendel s’est transformée, le temps d’une soirée, en un véritable drame lyrique incandescent. Orchestre déchaîné, solistes en état de grâce, chœur galvanisé : un concert d’une intensité rare.
On connaît Acis & Galatea comme une charmante pastorale, légère, naïve et délicatement chambriste. Mais hier soir, au Grand Manège de Namur, tout a basculé. Sous la baguette incandescente de Leonardo García Alarcón, l’œuvre a pris des accents d’opéra héroïque. Orchestre fourni, tempi exaltés, solistes habités : jamais la musique de Haendel n’avait semblé aussi dramatique. Chaque air, chaque récitatif, chaque note vibrait d’une urgence vitale. Deux heures de musique fulgurantes, vécues comme un grand souffle collectif. Plutôt qu’un concert statique, Alarcón proposait une mise en espace fluide : les chanteurs se déplaçaient autour de l’orchestre, s’approchaient du public, entraient et sortaient de scène, multipliant les angles d’expression. Un choix scénique sobre mais hautement vivant.
Fidèle compagnon du chef, le Chœur de Namur a prêté à l’œuvre une ampleur proche de l'oratorio. Le son, ample et généreux, a porté une émotion continue, renforçant la dramaturgie sans la figer. Seule réserve : dans l’air déchirant 'Must I my Acis still bemoan', on aurait souhaité un chœur plus murmuré, plus intérieur. Le choix du plein volume, ici, contrarie un peu la fragile ligne du soprano, qui répète le mot 'die' avec une pudeur bouleversante.
Quelques nuances lumineuses, quelques images projetées en fond de scène : il n’en fallait pas plus pour assoir le drame pastoral dans une atmosphère poétique. Cette lune suspendue dans le ciel de Namur ajoutait une touche simple, presque cinématographique, à la tension de la musique.
Guy Cutting campe un Acis tendre, amoureux et combatif, doté d’un timbre noble et d’une aisance vocale souveraine. À ses côtés, Valerio Contaldo (Damon) séduit tout autant : un rare bonheur d’entendre deux ténors d’un tel niveau dans le même concert. La Galatea de Charlotte Bowden touche par la sincérité de son chant, la souplesse et la grâce de sa ligne. Une nymphe délicate, d’une émotion désarmante. Quant à Staffan Liljas (Polyphème), il impose une prestance et une fougue indéniables. Mais à ce niveau d’exigence, on rêverait d’une basse plus profonde, d’un grain plus tellurique — un Luigi De Donato ou un Andreas Wolf, par exemple. Son second air, techniquement moins abouti, a laissé une impression plus mitigée.
L'orchestre Cappella Mediterranea, porté par son chef, a vibré d’un même élan : précision, souffle, panache. En guise de bis, la passacaille de King Arthur de Purcell a couronné la soirée, tandis qu’un lâcher de ballons et de confettis célébrait les 20 ans de l’orchestre. Une conclusion festive à la hauteur d’un concert incandescent, qui aura su révéler toute la puissance dramatique d’une œuvre souvent réduite à son charme pastoral.
Une fois de plus, le Grand Manège de Namur confirme son rôle de haut lieu de l’émotion musicale.
Ruggero Meli