Opéra de Zurich, 14 mars 2025
Georg Friedrich HAENDEL : AGRIPPINA HWV 6, opéra en 3 actes composé en 1709 pendant le séjour en italie du compositeur. Ouvrage certainement composé sur un livret du Cardinal Vincenzo Grimani. Première représentation le 26 décembre 1709 à Venise au théâtre San Giovanni Grisostomo.
Anna Bonitatibus, Agrippina
Nahuel Di Pierro, Claudio
Lea Desandre, Poppea
Christophe Dumaux, Nerone
Jakub Józef Orliński, Ottone
José Coca Loza, Pallante
Hagen Matzeit, Narciso
Yannick Debus, Lesbo
Statistenverein am Opernhaus Zürich
Kathrin Brunner, Dramaturgie
Orchestre La Scintilla Zurich
Harry Bicket, Direction
Jetske Mijnssen, Mise en scène
Ben Baur, Décors
Hannah Clark, Costumes
Bernd Purkrabek, Lumières
À l’Opéra de Zurich, Agrippina de Haendel s’offre une lecture contemporaine signée Jetske Mijnssen, simple dans sa forme mais globalement efficace. Sans révolutionner le livret, la metteuse en scène choisit de transposer l’action dans une demeure bourgeoise moderne, entre luxe discret et bon goût convenu. Dès l’ouverture, le spectateur est happé par un prologue filmique inattendu : l’accident de voiture de Claudio, qui lance l’intrigue avec une tension immédiate, soutenue par une battue étonnamment vive d’Harry Bicket. Le chef britannique, habituellement plus sobre, semble électrisé par la verve de l’orchestre La Scintilla, qui fait resplendir la partition du maître du baroque.
Dans ce cadre domestique, Agrippina règne d’une main de fer sur une maisonnée en crise. Son fils Nerone, adolescent rebelle et imprévisible, tombe amoureux de la servante Poppea, qui compte bien user de ses charmes pour déjouer les intrigues maternelles et parvenir à ses fins : épouser Ottone, l’élu de son cœur. La mise en scène imagine une fin dramatique : Poppea empoisonne toute la famille, sauf Agrippina, assez méfiante pour ne pas goûter au champagne fatal. Jetske Mijnssen reprend ici plusieurs motifs déjà vus dans son Ariodante strasbourgeois : même décor cossu, même atmosphère domestique, même figure d’un serviteur ou infirmier.
Les jeux de cache-cache dans les placards de cuisine font mouche et provoquent un humour bienvenu, tandis qu’alcool et cigarettes viennent teinter la scène d’une ironie douce-amère. Rien de fondamentalement neuf donc, mais une lecture cohérente et théâtralement efficace – mieux tenue, d’ailleurs, que son Ariodante précédent.
Anna Bonitatibus retrouve son rôle fétiche d’Agrippina avec une autorité raffinée. Elle évite la caricature et cisèle chaque phrase avec une intelligence musicale rare. La subtilité de sa projection et son sens de la nuance font d’elle une manipulatrice fascinante, aussi froide que séduisante.
Face à elle, Léa Desandre surprend agréablement en Poppea. La mezzo française, souvent entendue dans des rôles masculins, aborde ici une tessiture de soprano qui met idéalement en valeur la clarté de son timbre. Dans 'Se giunge un dispetto', elle choisit la version la plus virtuose – rarement donnée – et livre un feu d’artifice de vocalises d’une précision étourdissante.
Jakub Józef Orliński, en Ottone, se distingue par une sobriété bienvenue : pas de fantaisie hip-hop ni d’esbroufe, mais un chant sincère et sensible ('Voi che udite' d’une grande émotion).
Christophe Dumaux campe un Nerone nerveux et brillant, d’une crédibilité scénique totale, tandis que Nahuel Di Pierro, en Claudio, alterne entre grandeur comique et désarroi touchant, malgré une légère fatigue vocale passagère. Le reste de la distribution se montre à la hauteur, contribuant à une homogénéité bienvenue.
Malgré le potentiel dramatique exceptionnel du livret – rare dans le répertoire baroque –, Jetske Mijnssen reste dans une mise en scène plus illustrative qu’analytique. Le spectacle se regarde avec plaisir, mais sans véritable vertige. Heureusement, quelques scènes savoureuses viennent pimenter l’ensemble, portées par un plateau investi et un orchestre en grande forme. Seul regret : de nombreuses coupures dans la partition, qui amenuisent quelque peu la richesse du tissu musical de Haendel.
Ruggero Meli