Un chaos maîtrisé
NANCY, Opéra de Lorraine, vendredi 3 octobre 2025 à 20h (première)
Georg Friedrich Haendel : Orlando, opéra en 3 actes sur un livret d’un auteur anonyme, inspiré de Carlo Sigismondo Capece, de Grazio Braccioli et de l’Orlando furioso de l’Arioste
Orlando Noa BEINART, mezzo-soprano
Angelica Mélissa PETIT,, soprano
Medoro Rose NAGGAR-TREMBLAY, contralto
Dorinda Michèle BREANT, soprano
Zoroastro Olivier GOURDY, baryton
En alternance Orlando enfant : Aurèle Gascon-Kamblock, Adèle Prouvèze. Dorinda enfant : Charlotte Lecomte, Sarah Vidal-Rosset. Angelica enfant : Arthur Lavigne, Calixte Mohoric. Medoro enfant : Louise Levicki, Augustin Vallet.
Élèves du Conservatoire régional du Grand Nancy
Maîtrise citoyenne itinérante de l’Opéra national de Nancy-Lorraine
Orchestre de l'Opéra national de Nancy-Lorraine
Direction musicale et clavecin Christophe Rousset (3, 5, 7 oct), Korneel Bernolet (9 oct)
Assistanat à la direction musicale et chef de chant Korneel Bernolet
Mise en scène Jeanne Desoubeaux
Assistanat à la mise en scène Laura Ketels
Scénographie Cécile Trémolières
Assistanat à la scénographie Helen Hebert
Costumes Alex Costantino
Assistanat aux costumes Nathalie Matriciani
Lumières Thomas Coux dit Castille
Chorégraphie Rodolphe Fouillot
Reprise de la chorégraphie Gösta Sträng
Coordination d’intimité Monia Aït El Hadj
Production déléguée Théâtre du Châtelet
Production déléguée de la reprise Opéra national de Nancy-Lorraine
Coproduction théâtre de Caen, Théâtres de la Ville de Luxembourg
ARGUMENT
Un noble chevalier, Orlando, est partagé entre son devoir de faire une guerre qu’on ne voit pas et son amour irrépressible pour la reine Angelica, en couple avec Medoro, un prince, lui-même aimé par une autre, Dorinda, bergère de son état. Tiraillés entre jalousie et frustration, chacun des personnages vit dans l’insatisfaction, jusqu’à l’intervention de Zoroastro, un magicien-philosophe.
Acte I
Il fait nuit. Zoroastro, étudie le destin d’Orlando en regardant les étoiles. Tant qu’il sera prisonnier de son amour pour Angelica, le héros ne pourra consentir à partir à la guerre. Dans la forêt, Dorinda, la bergère, pense à son beau prince, Medoro. Soudain, on entend des heurts : Orlando se bat pour sauver la vie d’une princesse.
Angelica, autrefois redevable vis-à-vis d’Orlando, a, elle aussi, déjà sauvé une vie : celle de Medoro dont elle est, depuis, éprise, et à qui elle a juré fidélité. Medoro déclare à Angelica qu’il partage les mêmes sentiments mais il n’a pas le courage d’éconduire Dorinda.
Dorénavant, Angelica et Medoro éprouvent le même dilemme. Zoroastro attire l’attention d’Angelica sur la réaction qu’aurait Orlando s’il était informé de cette trahison. En réaction, Angelica feint la jalousie et accuse Orlando d’en aimer une autre qu’elle. Le héros nie et se dit prêt à tout pour lui prouver qu’il l’aime, elle. Les deux amants, Medoro et Angelica, fuient lorsqu’ils sont surpris par Dorinda, à qui ils avouent leur amour.
Acte II
Dorina est désormais seule et triste. Elle révèle le secret qui lui a été confié par les deux amants. Orlando devient furieux et promet de se venger d’un tel affront. Zoroastro place Angelica et Medoro sous sa protection : il leur conseille encore de fuir et de ne se laisser guider, l’un et l’autre, que par la raison.
Soudain, Orlando surprend Angelica mais elle disparaît aussitôt, grâce à l’intervention de Zoroastro. À cause de sa jalousie, Orlando sombre dans la folie. Maintenant, il se croit en enfer.
Acte III
Angelica a donné rendez-vous à Medoro dans la maison de Dorinda mais elle disparaît mystérieusement. Quand Orlando fait son apparition, il confond Angelica avec Dorinda. Dorénavant, Zoroastro utilise la magie pour sauver Orlando. Lorsque Dorinda apprend à Angelica qu’Orlando a détruit sa maison en enterrant vivant Medoro, Angelica défie le héros. Orlando, désespéré, croit avoir tué tous les protagonistes et sombre dans un profond sommeil.
Zoroastro fait apparaître les amants, vivants, et proclame le triomphe de la sagesse.
Le spectacle envahit la scène avant même que les premières notes ne retentissent. Le chahut s’installe. Des enfants courent dans tous les sens, leurs cris et leurs gloussements envahissent l’espace. Revendiquant une proximité assumée avec le film La Nuit au musée, la mise en scène mêle rêve, croisement des mondes, jeux et interactions entre hier et aujourd’hui, entre adultes en crise et enfants insouciants.
Écrivons-le net : le livret d’Orlando, d’après celui de Carlo Cigismondo Capece pour Domenico Scarlatti, lui-même inspiré de l’Orlando furioso de l’Arioste, n’est plus guère accessible au public contemporain. Si la musique a franchi les siècles et continue de captiver les oreilles des spectateurs, de toucher les cœurs, de soulever les poitrines et d’enchanter, l’histoire qu’elle raconte, elle, suscite peu d’intérêt. Il faut donc faire preuve d’ingéniosité pour tenter de la rendre actuelle.
Le parti pris de Jeanne Desoubeaux est le suivant : au musée, lorsque l’heure de la fermeture arrive, les tableaux prennent vie, les personnages s’incarnent et rencontrent leurs doubles enfantins. Ces derniers sont de jeunes écoliers facétieux, échappés à la vigilance de leur maître, et se retrouvent enfermés dans le musée. Orlando (Noa Beinart), Dorinda(Michèle Bréant), Angélica (Mélissa Petit), Medoro (Rose Naggar-Tremblay) et Zoroastre (Olivier Gourdy) jouent leurs amours contrariées, accompagnés dans leurs tourments par les enfants.
Cette ambition scénique ne produit cependant pas l’effet escompté. Le spectacle patine : les chorégraphies ne prennent pas, gênées par des chanteurs empruntés, engoncés dans des costumes ternes, maladroits dans leurs gestes et leurs postures. Seule Dorinda, gracieuse et habitée, réussit la gageure du chant et de la danse, en parfaite harmonie avec les jeunes danseurs du Conservatoire Régional du Grand Nancy.
Si les enfants apportent tout au long du spectacle une touche de légèreté et d’espièglerie, leur présence ne sert pas toujours la musique. Ainsi, dès l’ouverture, la musique de Haendel — pourtant bien dirigée tout au long du spectacle par Christophe Rousset, à la tête non de ses Talens Lyriques mais du solide Orchestre de l’Opéra de Nancy — est masquée par les bruits d’une classe en visite. Cris et interjections couvrent les premières notes et empêchent le spectateur de pénétrer dans la musique, de faire le voyage du monde d’aujourd’hui vers celui d’hier, du tumulte de la ville vers l’harmonie des sons.
C’est presque un miracle, dans cette mise en scène finalement assez brouillonne — dont on se dit parfois qu’elle s’efforce de cocher toutes les cases d’un modernisme conformiste (une scène de déshabillage mutuel tombe ainsi particulièrement à plat) — que l’émotion parvienne à naître. C’est la grâce du chant et des interprétations qui sauve l’ensemble, au service d’une musique finalement plus percutante que sa mise en scène.
Les voix sont belles. Orlando est touchant : l’interprétation de Noa Beinart est efficace, même si le guerrier qu’elle incarne manque un peu de personnalité. Peut-être aurait-on pu envisager un contre-ténor dans le rôle, pour lui donner davantage de relief vocal. Rose Naggar-Tremblay est une belle mezzo-soprano, au timbre aux couleurs subtiles. On l’avait cependant préférée dans le rôle-titre de Giulio Cesare à Toulouse la saison dernière. Les deux chanteuses ont un physique proche et des voix de registre similaire.
Mélissa Petit, en Angélica, livre une prestation convaincante. Mon voisin de droite exprimait son ressenti après le spectacle : il la trouvait tout à fait à sa place dans le rôle, évoquant une voix légère et fruitée, à l’aise dans les vocalises. Ma voisine de gauche, moins enthousiaste, la trouvait moins assurée dans les aigus et notait que la partition, jouée en 440, ne l’aidait sans doute pas.
Michèle Bréant, en Dorinda, fait l’unanimité. C’est la belle surprise de cette distribution : à l’aise dans son jeu, elle excelle dans le chant. Elle possède une voix légère et tonique, qui sait se faire touchante, notamment dans l’air « Se mi rivolgo al prato ». Zoroastre, enfin, offre une voix solide et percutante, même si son timbre reste un peu clair.
Lorsque le rideau tombe, les applaudissements, mesurés mais sincères, semblent traduire une reconnaissance discrète : malgré ses maladresses et une mise en scène parfois brouillonne, le spectacle a su, porté par la qualité des interprètes et la force de la musique, offrir quelques instants de grâce qui viennent illuminer une proposition globalement inégale.
Jean-Pascal Paillette